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© Unsplash/Ismael Paramo
Guérisons miraculeuses
Port-Royal (Paris, France)
Nº 595
24 mars 1656

Le miracle de l’épine (1656)

La relique d’une épine de la couronne du Christ arrive à l’abbaye janséniste de Port-Royal (Paris, France) le 24 mars 1656, vendredi de la troisième semaine de carême. Or, Marguerite Périer, nièce et filleule de Blaise Pascal, est pensionnaire à l’abbaye depuis 1654. La petite fille est handicapée par une « fistule lacrymale » à l’œil que les médecins n’ont jusqu’à présent pas réussi à guérir. Mais, lorsqu’elle porte la relique à son œil malade, elle se trouve complètement guérie, le soir même.


Les raisons d'y croire

  • Les circonstances et les détails de la maladie et de la guérison de Marguerite Périer sont parfaitement connus, car ces événements eurent un grand retentissement. En effet, dans le contexte houleux qui entoure Port-Royal au XVIIe siècle, cet événement fit couler beaucoup d’encre. Nous disposons donc d’une très abondante documentation d’époque.

  • Marguerite souffre de cette affection depuis trois ans, avec des poussées inflammatoires régulières. Le pus sourd de son œil et dans sa gorge, et son palais est troué : la maladie est devenue réellement invalidante. La guérison a ceci d’exceptionnel qu’il ne reste pas la moindre marque du mal qui la défigurait ; même le palais est cicatrisé en quelques instants.

  • Il serait de mauvaise foi de dire qu’il s’agissait d’une obstruction du canal lacrymal qui aurait pu se résorber spontanément. En effet, s’il est facile aujourd’hui de guérir une dacryocystite chronique, en extirpant le sac lacrymal, il n’en est évidemment pas de même au XVIIe siècle. Le médecin avait porté un pronostic très sévère et ne voyait de salut que dans l’application du fer rouge, une torture qui aurait défiguré l’enfant. Ainsi, il n’y a pas lieu de considérer comme mensongère ou tendancieusement exagérée la description grave de la maladie qui est rapportée par diverses personnes.

  • La guérison de Marguerite Périer est imprévue, soudaine et inespérée. Elle ne peut être attribuée ni à la suggestion ni à quelque intervention d’ordre affectif, et encore moins à une simulation. En effet, il n’était pas prévu que Marguerite touche avec son œil malade le reliquaire, et son comportement a tout d’authentique : c’est seulement le soir qu’elle dit timidement : « Je pense que je suis guérie. »

  • Le couvent de Port-Royal ne se hâte pas de crier au miracle. La spiritualité janséniste n’est absolument pas encline au merveilleux. Si la guérison miraculeuse est connue de tous, ce n’est pas le fait des religieuses, qui sont tenues au silence à ce sujet, mais des médecins. Nous savons que mère Angélique croyait le miracle de l’épine authentique, mais elle était défavorable à la publicité qui en était donnée.

  • Blaise Pascal, scientifique de renom, est un témoin irréprochable : il constate chez sa filleule le début de la maladie et son évolution, jusqu’au dénouement, ce qui lui permet de conclure au miracle. « Si vous ne croyez en moi, croyez au moins aux miracles » (Les Pensées, Lafuma 854, Sellier 434)

  • Il est marquant de souligner que les jésuites, qui sont en querelle avec les jansénistes, dont Port-Royal devient progressivement le bastion intellectuel, finissent eux-mêmes par reconnaître l’authenticité du miracle. C’est le cas par exemple du père Annat.

  • La suite de la vie de Marguerite Périer témoigne en faveur de sa bonté et de son caractère honnête : elle se consacre à des œuvres charitables, vend ce qu’elle possède et fait de l’hôpital de Grenoble son légataire universel.

  • Le 22 octobre de la même année, après une enquête soignée, l’autorité de l’Église achève de confirmer ce miracle en ces termes : la guérison est « très certainement surnaturelle, et un miracle de la toute-puissance de Dieu ».

  • Cette guérison donne lieu à la réalisation d’un ex-voto .

  • Gilberte Périer – mère de Marguerite et sœur de Blaise Pascal – rapporte dans sa Vie de Pascal que ce dernier fut sensiblement touché par la guérison de sa nièce et qu’il la considéra comme une grâce de Dieu pour lui-même. Pascal y trouve une inspiration renouvelée qui nourrit sa réflexion au sujet des miracles et de la religion et fait naître en lui le désir de travailler à réfuter les principaux raisonnements athées. Ainsi, on doit au miracle de la sainte Épine la naissance de l’œuvre que l’on connaît sous le titre Les Pensées.


En savoir plus

Les religieuses de Port-Royal reçoivent la précieuse relique de l’épine de la couronne du Christ le vendredi 24 mars 1656. Vers 15 heures, elle est exposée à la vénération de tout le couvent. En signe de dévotion, les sœurs, l’une après l’autre, vont embrasser le reliquaire. Son tour venu, mademoiselle Périer s’approche. La religieuse qui tient le reliquaire, sœur Catherine de Sainte-Flavie Passart, propose spontanément à la malade d’approcher la relique pour lui faire toucher son œil.

Quelques heures plus tard, l’œil de Marguerite Périer est redevenu sain et normal. On attend quelques jours pour s’assurer que la guérison est bien définitive, puis l’on fait venir les médecins et les chirurgiens qui avaient ausculté la malade auparavant. Il est difficile pour eux de croire ce qu’ils voient, la guérison étant parfaite et entière.

Port-Royal ne se hâte pas de crier au miracle. Saint-Gilles († 1668), dans son Journal, explique que l’on « n’en fait pas grand bruit en cette sainte maison [...]. Ce qui vient de ce que ce ne sont pas là les plus grandes merveilles qui s’y font, les changements de vie et les vraies conversions y étant bien plus estimées, soit aussi parce qu’il se fait là souvent de semblables miracles dont il y a quelques-uns en ce livre ; mais on ne les publie pas » (Antoine Baudry de Saint-Gilles d’Asson, Journal d’un solitaire de Port-Royal). Dans ses Mémoires, Beaubrun († 1715) rapporte que « les médecins et les chirurgiens, touchés d’une si grande merveille que les religieuses tenaient secrète, se crurent obligés de la divulguer. Le bruit s’en répandit aussitôt dans tout Paris, et on vit tout le monde accourir en foule à ce monastère pour y honorer cette sainte Épine. »

Une instruction officielle est rapidement lancée, au cours de laquelle plusieurs témoins (dont Blaise Pascal) et des médecins permettent d’établir le déroulement des événements de façon certaine. Ce travail conduit à la reconnaissance du caractère miraculeux de la guérison.

Le « miracle de la sainte Épine » accentue la polémique entre jansénistes et jésuites et suscite une réflexion apologétique au sujet de la manière d’établir l’authenticité et la signification des miracles. Blaise Pascal y prend part ; la dix-huitième Provinciale porte la date du 24 mars 1657, comme si Pascal avait voulu marquer l’anniversaire du jour de la guérison de sa nièce. On reconnaît les fragments du recueil Les Pensées, qui ont été écrits après la guérison miraculeuse de sa nièce.

« Si vous ne croyez en moi, croyez au moins aux miracles. Il les renvoie comme au plus fort. Il avait été dit aux Juifs aussi bien qu’aux chrétiens qu’ils ne crussent pas toujours les prophètes ; mais néanmoins les pharisiens et les scribes font grand état de ses miracles, et essayant de montrer qu’ils sont faux ou faits par le diable, étant nécessités d’être convaincus s’ils reconnaissent qu’ils sont de Dieu.

Nous ne sommes point aujourd’hui dans la peine de faire ce discernement ; il est pourtant bien facile à faire. Ceux qui ne nient ni Dieu ni Jésus-Christ ne font point de miracles qui ne soient sûrs. Nemo facit virtutem in nomine meo et cito possit de me male loqui.

Mais nous n’avons point à faire ce discernement. Voici une relique sacrée, voici une épine de la couronne du sauveur du monde en qui le prince de ce monde n’a point puissance, qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous. Voici que Dieu choisit lui-même cette maison pour y faire éclater sa puissance.

Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue, et douteuse qui nous oblige à un difficile discernement. C’est Dieu même, c’est l’instrument de la passion de son fils unique, qui, étant en plusieurs lieux, choisit celui-ci et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs » (Miracles II, Laf. 854, Sel. 434).

La réflexion apologétique de Pascal, après les arguments qu’apportent les miracles, évolue au profit de la preuve par les prophéties .

Solveig Parent


Au delà

Le miracle de l’épine se trouve au centre des enjeux politiques de l’époque et de la querelle religieuse entre les jésuites et les jansénistes.


Aller plus loin

Le dossier thématique du site Internet Les Pensées de Pascal est très complet.


En complément

  • Le père Annat, jésuite et confesseur du roi, a écrit Le Rabat-joie des jansénistes, dans lequel il ne remet pas en cause la réalité du miracle, mais analyse l’événement comme une invitation de Dieu à abandonner l’hérésie janséniste.

  • Lettres de Jacqueline Pascal à Gilberte Périer.

  • Jean Racine, Abrégé de l’histoire de Port-Royal (écrit dans les années 1690 mais publié dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle). Peut être consulté en ligne .

  • L’article du Dictionnaire de Port-Royal, Le miracle à Port-Royal, pages 811 à 813, propose une bonne synthèse des événements.

  • Tetsuya Shiokawa, dans Pascal et les miracles (Paris, Nizet, 1977), présente le miracle de la sainte Épine et ses conséquences.

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