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Les grands témoins de la foi
Allemagne
Nº 594
1878 – 1946

Monseigneur von Galen, « le Lion de Münster » (+1946)

Parfois, afin de mieux prouver son intervention, Dieu choisit pour instrument des personnalités improbables, de prime abord incapables de remplir le rôle qui leur est soudain assigné et qui vont pourtant révéler de telles compétences que cela semblera, en effet, tenir du miracle. Tel est le cas de Clemens August Von Galen, évêque de Münster, en Westphalie, dont, depuis l’enfance, on moquait les capacités intellectuelles trop faibles et l’absence de talent pour l’expression orale, mais qui, soudain, face au régime nazi, révélera des dons d’orateur et une finesse tels que sa parole sera bientôt la seule capable de contrer celle d’Hitler et de faire trembler le pouvoir.


Les raisons d'y croire

  • Onzième des treize enfants du comte Ferdinand von Galen et de son épouse, Élisabeth von Spee, Clemens August, né en 1878, n’est pas, et de loin, le plus brillant de la fratrie. Inscrit, comme tous les garçons de sa famille, dans les établissements les plus élitistes du pays, l’adolescent peine à poursuivre sa scolarité. Seule sa réelle bonne volonté lui permet de s’accrocher à des études trop difficiles pour lui. Ses professeurs, unanimes, le jugent lent, balourd, et, quoi qu’il fasse, médiocre, tant à l’oral qu’à l’écrit.

  • Cela ne s’arrangera ni en faculté ni au séminaire. De l’avis général, il n’est pas un intellectuel ; l’équitation et la chasse sont les seules passions de ce garçon qui mesure presque deux mètres. Devenu prêtre, malgré son dévouement et sa piété, on le laissera jusqu’à la cinquantaine dans des postes inférieurs, car on le pense trop limité pour lui confier mieux.

  • Les étonnantes capacités qu’il révélera une fois devenu évêque et qui feront de lui la voix tonitruante de l’opposition chrétienne aux abominations du national-socialisme ne peuvent donc être les siennes. Sa parole comme ses actes seront autant de manifestations de l’Esprit Saint, dont il sera l’instrument.

  • À la différence du reste de sa famille, qui joue en Allemagne un rôle politique éminent au sein du Zentrum, le parti catholique, Clemens August a la réputation, fondée, d’être en la matière comme en tant d’autres totalement inapte et de ne rien comprendre à rien, qu’il s’agisse des affaires intérieures ou extérieures. Il s’est notamment ridiculisé en ne mesurant ni les conséquences de la révolution russe de 1917 ni celles de la défaite allemande de 1918. Ainsi ne peut-on attribuer à son intelligence l’analyse prophétique qu’il fait, dès les années 1920, de la doctrine nazie, qu’il dénonce fermement et qu’il rejette avec horreur.

  • En fait, s’il n’est pas doté de grandes capacités intellectuelles, l’abbé von Galen, en revanche, possède au plus haut point le sensum fidei, cette faculté, accordée même aux plus simples, de déceler spontanément ce qui est conforme ou non à la foi catholique. Il s’agit donc déjà d’une grâce qu’il reconnaît et qu’il met en pratique, ne craignant pas de se faire de nombreux ennemis ni, plus tard, d’exposer sa vie pour ne pas se trouver en porte-à-faux avec l’enseignement du Christ.

  • Il faut pareillement voir l’intervention de la providence dans le soudain tournant qui se produit dans la vie de l’abbé von Galen au début des années 30. Il a passé la cinquantaine, ce qui fait alors de lui un homme sur le côté descendant de la vie, lorsqu’il est étonnement propulsé de l’anonymat de son poste de curé d’une petite paroisse au siège épiscopal de Münster. Il faut beaucoup d’audace – ou une inspiration divine – au nonce en Allemagne, le cardinal Pacelli, futur Pie XII, pour faire nommer en 1933 à l’évêché de Münster ce prêtre vieillissant, limité, alors même que la situation de l’Église allemande est si délicate : le concordat signé par Rome avec Hitler prévoit plusieurs causes intenables, à commencer par un serment de fidélité au Führer.

  • À ceux qui s’inquiètent de ce choix, Pacelli répond – et, devenu pape, il le redira – : « Von Galen est un géant, et pas seulement par la taille. » Or, il est le premier à voir la dimension spirituelle du personnage. Comme pour lui donner raison, Mgr von Galen, réputé être un peu simplet, va, cette fois, parfaitement saisir les enjeux et la délicate ligne de crête sur laquelle il doit évoluer, à croire qu’il est inspiré par le Ciel. Il prend pour devise épiscopale : « Nec laudibus nec timore » (« ni par les flatteries ni par la peur »), ce qui signifie d’emblée aux autorités qu’il ne se laissera jamais circonvenir par le dictateur, quels que soient les moyens employés pour l’amener à se taire. Seule une très haute pratique, à un degré héroïque, des vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, peut expliquer un pareil courage et la sainte audace qui l’anime.

  • Von Galen sait que l’Église, face aux dérives d’un régime en opposition ouverte avec la morale chrétienne, doit parler. Vite, haut et clair, mais sans provoquer la dénonciation du concordat. Il se révélera à ce jeu-là un terrible champion, au sens tactique presque jamais pris en défaut. Et c’est très étonnant, car Clemens August von Galen n’est toujours pas une lumière…

  • En se dévouant corps et âme à la défense du catholicisme et des humbles menacés ou martyrisés, l’évêque de Münster s’attire des grâces inouïes qui, sous la motion du Saint Esprit, lui donneront une force d’argumentation que l’adversaire ne parviendra jamais à prendre en défaut. Qu’il s’agisse de dénoncer les attaques contre le christianisme, la tentation de ramener l’Allemagne au paganisme, le culte de la race, la mainmise sur l’éducation de la jeunesse, etc., von Galen parle avec habileté et sagesse, de sorte qu’il est impossible de lui répondre, parce qu’il a raison.

  • Très vite, l’idée de se débarrasser de lui pour le faire définitivement taire germe dans les cercles nazis. Mais, conscient de l’immense popularité de l’évêque et du risque, en s’en prenant à lui, de dresser seize millions de catholiques allemands contre le pouvoir, Goebbels empêche qu’il soit assassiné, ou publiquement pendu, comme en rêve Hitler, remettant à plus tard de lui régler son compte. Ce moment ne viendra jamais, la main de Dieu s’étendant sur l’évêque pour le protéger. Maintes fois, von Galen pense son tour venu, mais il est toujours épargné. Il meurt après la fin de la guerre, le 22 mars 1946, à l’âge de soixante-huit ans.


En savoir plus

Issu de la très haute noblesse catholique westphalienne, Clemens August von Galen est un élève puis un étudiant si médiocre que sa famille ne sait trop que faire de lui, consciente de son incapacité à entrer dans la carrière politique, où les siens s’illustrent depuis la création du Zentrum, le parti d’opposition à la politique hostile à l’Église du chancelier Bismarck. Sans doute ses parents sont-ils soulagés, quoique surpris, lorsque ce colosse de deux mètres, qui ne semble aimer que le sport, leur avoue son appel au sacerdoce. Bien qu’ils aient déjà donné un fils à Dieu, on le laisse suivre cette voie. Mais le jeune homme ne montre pas plus d’aptitudes au séminaire qu’au collège et à l’université.

Ordonné le 28 mai 1904, l’abbé von Galen est envoyé en 1906 à Berlin comme vicaire, puis curé, d’une paroisse ouvrière. Son rôle pastoral sera de conforter dans leur foi des populations pauvres, originaires de Pologne ou de régions rurales, venues chercher du travail en ville et méprisées pour leur attachement au culte romain. Bon prêtre, l’abbé von Galen ne révèle pas, au long de ses vingt-cinq années de ministère berlinois, une personnalité exceptionnelle. Mesurant ses propres limites lorsque, en 1928, il est rappelé à Münster pour y devenir curé de Saint-Lambert, ce quinquagénaire – qui soupire : « Il est temps de devenir un saint » – croit de bonne foi être au fait des honneurs ecclésiastiques. Mais cet homme, jugé intellectuellement limité, est fidèle au Christ et parle quand la loi divine est mise en danger. Avant même que Hitler soit au pouvoir, il en est déjà, en Westphalie, le contempteur public et constant, quitte à se brouiller avec beaucoup de gens. Perçoit-il le danger qu’il encourt ? Oui, mais il est d’une race où l’on s’arrête d’autant moins à ce genre de considérations accessoires que l’on possède une foi inentamable en la vie éternelle. Risquer la mort ne l’effraiera jamais. Cette attitude incite Pie XI à le nommer en 1933 sur le siège épiscopal de Münster, qui se trouve vacant et sur lequel personne ne souhaite s’asseoir en raison de la victoire nazie aux élections.

À cette place, qui paraissait si peu faite pour ce « balourd », celui qui recevra le surnom glorieux de « Lion de Münster » enflamme les foules catholiques par ses rugissements de prophète et devient le seul orateur capable de s’opposer à l’enchantement maléfique qu’exerce la parole du Führer sur l’Allemagne.

À défaut de réussir à s’en prendre à lui, le pouvoir nazi frappe son entourage, multipliant les arrestations arbitraires, les détentions incompréhensibles, les déportations de prêtres et de fidèles inspirés par son exemple, puis, pendant la guerre, les exécutions de catholiques, clercs et laïcs, et de protestants, tels les jeunes gens du cercle de La Rose blanche, auxquels il a tracé la voie du devoir.

On lui reprochera, bien après la guerre, de n’avoir pas prêché contre la persécution des Juifs. Ce fut, semble-t-il, à la demande pressante de la communauté juive de ne pas élever la voix, de peur d’aggraver son sort – l’exemple des Juifs hollandais, que l’épiscopat avait voulu défendre, incitant à la prudence. S’y ajoutait la crainte, si l’évêque était arrêté, de perdre avec lui un appui silencieux mais efficace, puisqu’il procurait aux persécutés abris, nourriture, certificats de baptême, sauvant autant de vies qu’il était en son pouvoir.

Toujours fidèle à l’Évangile, Mgr von Galen ne fera jamais acception de personne. Ainsi criera-t-il encore la vérité dans les ruines de Münster, ravagée par les bombes, lorsque les Alliés déferleront sur sa patrie vaincue, car, s’il admet, pour tant de fautes, un châtiment qu’il n’a cessé d’annoncer, il refuse de laisser son peuple souffrir d’humiliations gratuites.

Clemens August von Galen meurt à Münster, entouré de la vénération de ses fidèles, le 20 mars 1946, au retour d’un voyage à Rome qui lui laissait entrevoir la pourpre cardinalice. Il a été béatifié le 4 octobre 2005 par Benoît XVI.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au delà

À l’été 1941, Mgr von Galen dénonce en des termes prophétiques, flamboyants – s’appuyant uniquement sur des faits, ce qui le rend irréfutable –, l’effroyable programme T4, qui prévoit l’euthanasie systématique, d’abord des handicapés mentaux, puis, à terme, de « tous les improductifs », y compris les soldats blessés au front et trop amoindris pour désormais combattre ou travailler.

Un temps au moins, cette dénonciation publique, en chaire, suspend cette politique « compassionnelle ». Il faut d’autant plus de courage pour l’oser qu’il sait ne sauver que quelques vies et que le programme reprendra, dans la clandestinité, de sorte qu’il risque sa vie uniquement pour l’honneur de l’Allemagne, pour son salut et pour l’Église allemande, et parce que quelqu’un devait se lever et crier la vérité : celle du Christ, qui rend libre, même face aux pires tyrans.

S’il fallait une preuve du caractère prophétique de sa parole, il suffit de relire son texte de 1941 pour comprendre que sa dénonciation de l’euthanasie n’a pas pris une ride et qu’elle était un avertissement extrapolable bien au-delà de la période nazie.


Aller plus loin

  • Jérôme Fehrenbach, Von Galen, un évêque contre Hitler, Le Cerf, 2018.


En complément

  • Gottfried Hasenkamp, Le « Lion de Münster », le bienheureux Clemens August von Galen, Téqui, 2015.

  • L’article «  Clemens August von Galen : évêque, opposant, bienheureux  », tiré de la revue Sedes Sapientae, no 145.

  • Le sermon de l’évêque de Münster, Clemens August von Galen, dénonçant l’euthanasie (3 août 1941).

  • La notice biographique du site Internet du Vatican (en allemand).

  • Homélie du Cardinal José Saraiva Martins à l’occasion de la messe de béatification du Serviteur De Dieu Clemens August Graf Von Galen le 9 octobre 2005.

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