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Les martyrs
Sébaste (Turquie actuelle)
Nº 582
320

Ils préfèrent mourir de froid plutôt que de renier le Christ : les quarante martyrs de Sébaste (+320)

En février 320, la XIIe Légion, dite « Fulminata »(« la Foudroyante »), l’une des meilleures unités de l’armée romaine, est cantonnée à Sébaste, en Petite Arménie. Nul n’ignore que cette troupe d’élite est chrétienne depuis plus de cent cinquante ans. C’est d’ailleurs de là qu’elle tire ses vertus de loyauté, de force, de courage et de solidarité fraternelle qui la rendent quasi invincible. Cela devrait lui valoir la bienveillante attention des autorités puisque, depuis 313 et la publication de l’édit de Milan, être chrétien n’est plus un délit. Sauf en Orient où, à la suite d’une rupture avec son beau-frère Constantin, l’empereur Licinius a suspendu l’application de l’édit, qu’il avait pourtant signé. En prévision d’une éventuelle attaque de Constantin sur sa partie de l’Empire, il décide d’épurer l’armée et d’en chasser les fidèles du Christ.


Les raisons d'y croire

  • Nous sommes parfaitement renseignés sur le contexte historique et les choix politiques de Licinius grâce à Eusèbe de Césarée, auteur de la célèbre Histoire ecclésiastique, et par une biographie de Constantin d’autant plus précise que son auteur est un proche conseiller de l’empereur. Même s’il est clair que l’évêque de Césarée a, par courtisanerie, noirci la figure de Licinius pour tenter de disculper son héros de l’annexion de l’Orient, il ne fait aucun doute que Licinius a effectivement voulu purger ses légions de toute présence chrétienne dans leurs rangs.

  • À partir 314, en violation de l’édit de Milan, plusieurs législations restrictives des libertés chrétiennes sont mises en place. Ce sont des signes annonciateurs d’une persécution et, en pareil cas, l’armée est toujours la première visée, de crainte que les chrétiens qui y servent se mutinent contre les persécuteurs. Licinius ordonne donc de retirer des enseignes des légions le labarum (croix entourée des deux premières lettres grecques du mot Christos, et qui est apparue à Constantin en octobre 312 avec la promesse de vaincre son rival). Les soldats devront ensuite tous sacrifier aux dieux païens.

  • Seule la Fulminata refuse d’obéir. Selon la Tradition, cette légion était déjà chrétienne sous Marc Aurèle (161-180) et ce serait grâce à ses prières qu’au cours d’une campagne estivale contre les Goths, sur le point de tourner au désastre par manque d’eau, un déluge providentiel aurait tout sauvé en désaltérant hommes et bêtes.

  • C’est dans cette même Légion XII Fulminata que servait, en 251, saint Polyeucte, officier martyrisé à Mélitène pour avoir lacéré une copie de l’édit de Dèce qui obligeait les chrétiens à un serment civique tenu pour une apostasie. Nourris de ces glorieux exemples, lorsqu’ils sont appelés à publiquement sacrifier aux idoles, les légionnaires de la Fulminata vont spontanément dire au préfet militaire qu’ils ne renieront pas le Christ.

  • Embarrassées par cette résistance inattendue, les autorités militaires cherchent une porte de sortie honorable pour tous et promettent une promotion au grade supérieur (très tentante car l’avancement dans l’armée romaine est rare et long). Cela suffirait à amener beaucoup de gens à résipiscence mais, porte-parole de ses camarades, un officier nommé Quirion répond : « Si, comme tu le dis, nous avons bien servi l’empereur de la terre, comment peux-tu penser que nous servirons moins bien l’Empereur du Ciel ? » Cette unanimité est un admirable témoignage, certes d’esprit de corps, mais surtout d’un fort attachement commun à la foi. Quarante légionnaires sont mis aux arrêts une semaine afin de les faire changer d’avis.

  • Mais, lors de la comparution suivante, le 9 mars, les prévenus demeurent fermes. Non sans avoir essayé au préalable la violence physique en faisant fracasser à coups de matraque les mâchoires des plus insolents, le préfet prononce une condamnation à mort collective. Personne ne renie le Christ.

  • En droit pénal militaire, l’usage est de décapiter ou passer au fil de l’épée les condamnés avec flagellation préalable, mais le préfet choisit une autre méthode, moins expéditive et plus cruelle : exposer les suppliciés à la tombée du soir, nus, sur l’étang gelé aux portes de la ville et les y laisser mourir de froid lentement. Cependant, le pire n’est pas dans cette mise à mort inédite mais dans l’issue laissée aux martyrs. On installe sur la rive une étuve que les soldats seront libres de rejoindre s’ils le veulent – ce choix équivalant à l’abjuration. Sous couvert de compassion, il s’agit d’une cruauté extrême qui prolonge les tortures morales des condamnés en les laissant jusqu’au bout exposés à la tentation du reniement.

  • Confiant dans le soutien divin, Quirion affirme qu’ils seront quarante étendus sur la glace et que l’aube y trouvera quarante cadavres, fidèles jusqu’au bout au Christ. Pourtant, vers trois heures du matin, alors que certains de ses camarades sont déjà morts, l’un des jeunes officiers craque et, à bout de force, regagne la rive et cherche refuge dans l’étuve. Que l’auteur du récit n’ait pas omis de raconter cette pitoyable et trop compréhensible défaillance est une preuve de la véracité des événements.

  • Autre détail navrant mais qui sonne juste, l’organisme épuisé du renégat ne supporte pas le choc thermique entre le froid glacial de l’extérieur et l’atmosphère surchauffée de l’étuve. Il meurt d’un arrêt cardiaque à peine s’y est-il réfugié.

  • C’est alors que l’un des soldats de garde au bord du lac, chrétien lui aussi, bouleversé par ces événements et honteux de sa propre lâcheté, se souvient des paroles de Quirion et, ne voulant pas le faire mentir, se lève, puis, ayant professé publiquement sa foi devant son supérieur, se déshabille et va se coucher à la place du déserteur, de sorte que l’aube trouve bien quarante cadavres sur la glace. Il faut de l’héroïsme, celui que seule la foi au Christ peut donner, pour choisir cette fin, en particulier dans la solitude, puisque ses camarades ne sont plus là pour le soutenir dans l’épreuve. Ainsi s’accomplit la prophétie de Quirion, et l’aube trouve bien les dépouilles de quarante martyrs étendues sur la glace.


En savoir plus

À partir 314, en violation de l’édit de Milan, plusieurs législations restrictives des libertés chrétiennes sont mises en place : fermeture des lieux de culte chrétiens accusés d’être de potentiels foyers de contaminations et d’épidémies, puis, en 319, c’est la saisie des biens du clergé et des fidèles. Politiquement, il s’agit d’une sottise, puisque Licinius va provoquer ce qu’il voulait éviter et précipiter les nombreux chrétiens de ses États dans les bras de Constantin, instauré défenseur de l’Église.

Le 9 mars 321, quarante officiers de la Légion XII Fulminata, unité d’élite de l’armée romaine basée à Sébaste, en Petite Arménie, refusent de sacrifier aux idoles, comme le prévoit un décret de l’empereur d’Orient Licinius, désireux d’épurer ses troupes de toute présence chrétienne. Ces jeunes gens sont condamnés à périr de froid ; ils seront couchés sur la glace qui transforme, en cette saison, les champs inondés entourant la ville en un vaste lac gelé. On leur laisse cependant une échappatoire : une étuve installée sur la rive leur sera accessible s’ils refusent de mourir pour le Christ. Quirion, le meneur du groupe, déclare que l’aube trouvera quarante corps couchés sur la glace. Dieu ne permettra pas qu’il se trompe car, si l’un des suppliciés défaille et cherche à se sauver, un autre soldat chrétien, saisi de honte, viendra prendre sa place sur le lac, de sorte que l’on comptera bien quarante martyrs à Sébaste le 10 mars.

Ces quarante combattants du Christ se nommaient Quirion, Candide, Domnus, Méliton, Domitien, Eunoichos, Sissinius, Heraclius, Alexandre, Jean, Claude, Athanase, Valens, Élien, Éditius, Acace, Vibianus, Élias, Théodule, Cyrille, Flavius, Celerianus, Valerius, Cudio, Sacerdon, Priscus, Eutychios, Eutychès, Smaragdus, Philoctimon, Ætius, Nicolas, Lysimaque, Théophile, Xanthéas, Angias, Leontius, Hesychius, Caius et Gorgon.

Cependant, les hommes chargés d’emporter les cadavres au bûcher funéraire – car on leur refusera une sépulture selon les rites chrétiens –, s’aperçoivent que le plus jeune du groupe, Méliton, quoiqu’inconscient, respire encore ; il pourrait être soustrait au bûcher. Mais la mère du jeune homme, venue embrasser une dernière fois son enfant, leur intime de porter Méliton sur le bûcher avec les autres. Elle suit la civière où gît son fils et, en guise d’adieu, lui dit : « Souffre encore un instant, mon enfant bien-aimé, car, après la glace qui t’a conduit aux portes du Ciel, le feu te fera entrer dans la gloire de ton Seigneur. Te savoir dans la lumière éternelle dissipera les ténèbres de mon affliction. » Ainsi souffre-t-elle elle-même en son cœur le martyre pour ne pas priver son fils du trésor éternel qu’il a mérité et qui ne doit pas lui échapper, donnant une preuve extraordinaire de sa foi en la vie éternelle. Il faut regretter que nul ne nous ait transmis le nom de la mère de Méliton. Cette mère chrétienne méritait de partager la gloire de son fils et de ses amis.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Les Quarante Martyrs de Sébaste, collection « Les Pères dans la foi », Le Cerf, 2018. Le livre contient le récit de la « Passion » et du « Testament »des quarante martyrs, accompagné d’homélies de Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Éphrem de Nisibe, Gaudence de Brescia, Théodore Stoudite, du récit de l’invention de leurs reliques par Sozomène et d’une notice de Grégoire de Tours.


En complément

  • L’on peut consulter Les Petits Bollandistes à la date du 9 mars.

  • Anne Bernet, Les Chrétiens dans l’Empire romain, Tallandier, 2013.

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