
Saint Géraud et le miracle des fruits à Braga
Géraud est un moine bénédictin français du XIIe siècle de l’abbaye de Moissac. Il devient archevêque de Braga, au Portugal, où il s’attelle à l’évangélisation de la région, qui a subi une forte période de déchristianisation en raison de la présence des Maures. Le 5 décembre 1109, après presque dix années d’épiscopat, Géraud est très malade et sa fin toute proche. Une fin fatalement édifiante, comme l’a été toute la vie de ce prélat, que la volonté de l’Église a arraché à la paix du cloître pour lui imposer honneurs et responsabilités, dont il ne voulait pas. Mais voilà que le mourant, Géraud, dit à haute voix : « Je veux des fruits frais… » Ce caprice, tellement inattendu et absurde en ce mois de décembre, désarçonne les personnes rassemblées à son chevet, qui ne sont pas encore au bout de leur surprise.
Les raisons d'y croire
Nous possédons la biographie de l’évêque, écrite quelques années après sa mort. Elle est l’œuvre d’un ou plusieurs de ses proches. On en a retrouvé trois versions complémentaires, ainsi qu’un document qui s’appuie sur les souvenirs d’un autre auteur et qui a servi à rédiger les leçons pour l’office de la Saint-Géraud. Nous sommes donc bien renseignés sur la vie de Géraud de Braga.
Ce récit rapporte comment Géraud, fils d’une famille de chevaliers du Quercy, né vers 1060, décide de prononcer ses vœux à l’abbaye bénédictine de Moissac. Il se montre un moine exemplaire, s’adonnant à l’étude, à la prière et au jeûne. Tout le monde peut, à Moissac, témoigner de son humilité et de son refus de se mettre en avant. Mais Dieu lui réserve un autre destin que celui de demeurer enfoui dans le cloître.
Géraud obéit à la demande du légat du pape, Bernard de Sédirac, et part avec lui dans le diocèse espagnol de Tolède, preuve encore de son parfait renoncement à ses propres volontés et de sa soumission à la volonté divine exprimée par ses supérieurs. Là encore, pas de place pour les caprices.
Même quand il aura quitté la vie monastique, sur ordre de Rome, il en gardera les habitudes de frugalité. Nous savons donc qu’il n’est sujet ni aux fantaisies ni à la gourmandise.
À Tolède, où il passe dix années près de Bernard de Sédirac, puis à Braga, dont il est nommé évêque en 1100, Géraud révèle, outre ses qualités intellectuelles et ses dons de musicien, ses capacités d’administrateur, sa charité, son amour des âmes et de l’Église. Il abat une tâche considérable, n’hésite pas à affronter les puissants quand les intérêts de Dieu sont en jeu et œuvre magnifiquement à refaire des catholicités de ces anciennes chrétientés longtemps abandonnées à l’islam.
Sa réputation de sainteté est incontestable. On lui attribue un charisme de prophétie et quelques miracles.
Dans un pareil contexte, aller raconter cette fâcheuse envie d’une corbeille de fruits hors saison revient à démolir l’édifiant récit hagiographique en faisant de Géraud un « homme comme les autres ». C’est nécessairement parce que cette anecdote est authentique que les biographes l’ont jointe au récit, et parce que le dénouement a été extraordinaire.
Il ne faut pas prendre à la légère ce qui nous semble un innocent caprice de malade. Lors des procès de canonisation, l’Église a toujours été sévère envers de tels comportements qui pouvaient remettre en cause la réputation de sainteté d’un serviteur de Dieu et l’héroïcité de ses vertus, le révélant finalement peu exemplaire. Cela explique aussi la réaction scandalisée des prêtres qui entourent Géraud quand il demande des fruits frais en décembre.
Mais, quand les personnes rassemblées au chevet de Géraud regardent par la fenêtre de la chambre, qui donne sur le verger de l’évêché, ils découvrent, stupéfaits, que les arbres se sont couverts d’une abondance de fruits mûrs, comme en plein été, alors que nous sommes en décembre. Dieu a exaucé la confiante demande de Géraud.
L’histoire paraissant tout aussi impensable au XIIe siècle que de nos jours, il faut que le miracle ait effectivement eu lieu pour qu’on en ait pris note et choisi de le commémorer. Braga en conserve le souvenir, et la tombe de Géraud est chaque année couverte de fruits.
En savoir plus
Outre ses fonctions de maître de chœur de la cathédrale de Tolède, Géraud va devoir suppléer Bernard de Sédirac dans l’énorme tâche qui l’attend : reprendre en main un diocèse tombé au pouvoir de l’islam depuis quatre siècles et presque totalement déchristianisé. Tout est à refaire : rebâtir les églises, reconsacrer celles devenues des mosquées, convertir les populations islamisées… Géraud s’y emploie sans que son archevêque lui laisse perdre de vue sa mission première : donner au chœur de la cathédrale la même perfection que celui de Moissac.
La réputation de Géraud se répand rapidement. On vante son inépuisable charité, son amour des pauvres et ses dons de prophétie, de sorte que, les chrétiens ayant libéré la cité portugaise de Braga, on lui en offre en 1100 le siège épiscopal.
S’il n’a toujours pas le goût des honneurs et n’ignore pas l’antipathie existant entre les diocèses de Tolède et de Braga, Géraud, cependant, a le sens du devoir et ne recule pas devant les difficultés. Il est touché par l’état de ces terres, jadis chrétiennes, réduites à rien, où survivent de rares communautés catholiques, assez attachées à leur foi pour avoir enduré si longtemps, sans apostasier, le sort des dhimmis qui refusaient de renier le Christ. Il est scandalisé par l’attitude de certains chevaliers venus en libérateurs mais qui – une fois les musulmans chassés – s’attribuent, outre les terres des notables mahométans, les anciennes propriétés de l’Église et leurs revenus. Géraud va lutter sur le plan spirituel en faisant œuvre de missionnaire, matériel en reconstruisant les églises détruites ou en ruine, et juridique en poursuivant les seigneurs mauvais chrétiens qui n’hésitent pas à spolier l’Église. Il meurt à la besogne, le 5 décembre 1109.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Patrick Henriet, Géraud de Braga, la problématique Vita d’un moine évêque grégorien, Cahiers de Fanjeaux, 2013. Disponible en ligne .
En complément
Sur le site Internet de la ville de Braga, dont il est le saint patron, la page « Dia de Sao Geraldo ».