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© Franck Jan / www.lumièredumonde.com
Histoires providentielles
La Seyne-sur-Mer (Var, France)
Nº 395
1851

Pierre-Julien Eymard prie et Marie garde le collège (1851)

Après le coup d’État du prince Louis-Napoléon Bonaparte, en 1851, les républicains appellent à l’insurrection à Paris et dans le Midi. Des centaines de manifestants en armes se rassemblent autour de Toulon. Un prêtre de La Seyne-sur-Mer frappe à la porte du collège des maristes. Il avertit qu’une colonne de révoltés marche sur La Seyne afin d’incendier l’établissement scolaire. Au milieu de l’affolement ambiant, seul le nouveau supérieur, le père Eymard, garde son sang-froid. Refusant de réveiller les pensionnaires et de leur faire évacuer la maison, il invite les enseignants à se rendre à la chapelle invoquer la Sainte Vierge et s’en remettre à elle ; il affirme qu’il n’arrivera rien de mal. Sa confiance ne sera pas déçue. Père Pierre-Julien Eymard, fêté le 2 août, sera canonisé en 1962.


Les raisons d'y croire

  • Fondée en 1822 par le père Colin, la Compagnie de Marie – les Maristes – a pour but premier d’éduquer les garçons afin, en ces lendemains de la Révolution, de faire renaître des générations chrétiennes dans une France déchristianisée. Cette ambition de reconquête de la jeunesse irrite les milieux révolutionnaires, qui voudraient conserver une domination intellectuelle et morale sur les enfants et les adolescents. S’en prendre à un établissement scolaire tenu par des religieux est donc un objectif logique pour les éléments extrémistes d’une gauche laïcarde.

  • L’établissement de La Seyne focalise d’autant plus les colères qu’il scolarise les enfants des officiers de marine en poste à Toulon, dont le petit-fils du commandant de Bouchaud, gouverneur militaire de la place, et ceux de l’aristocratie varoise, tous tenus pour des ennemis de classe, représentants d’un ordre qu’il est légitime de combattre, voire de liquider. Le jeune âge des pensionnaires ne suffirait pas à désarmer les haines idéologiques. Le danger est réel.

  • Pierre-Julien Eymard n’a aucune illusion sur ce dont les hommes sont capables. Mais il a été nommé à La Seyne à la rentrée scolaire précédente : à la différence des prêtres professeurs qui l’entourent, il connaît mal la région et les mentalités locales. L’on pourrait – c’est l’opinion de ses confrères – craindre qu’il ne mesure pas la réalité du péril. Dans l’affolement général, son calme et son détachement ont réellement quelque chose d’anormal… ou d’inspiré.

  • Tandis que les uns lui conseillent de réveiller les élèves pour les mettre en lieu sûr et d’appeler la police pour obtenir une protection contre les émeutiers, les autres de se procurer des armes pour se défendre, le père Eymard écarte toutes ces solutions raisonnables et invite à se rendre à la chapelle et se mettre en prière. Cet abandon à la providence, dans une situation de danger extrême, relève d’une confiance remarquable en la protection de Dieu et de la Vierge Marie.

  • Le père Eymard n’est pas un imprudent qui mettrait gratuitement en danger la vie des enfants qui lui sont confiés. Il a toute sa vie démontré son sens des responsabilités et son souci de ses élèves. Il faut qu’il ait la certitude de ne mettre personne en danger.

  • D’après les renseignements reçus, les émeutiers devraient arriver vers minuit et, plus cette heure approche, plus l’angoisse monte parmi les enseignants réunis à la chapelle. Seul Pierre-Julien semble convaincu qu’il ne se passera rien. À son exemple, tous prient intensément.

  • Soudain, alors que la météo ne le laissait pas présager, une pluie très violente se met à tomber sur Toulon et la route côtière vers La Seyne. Sous ce déluge, les émeutiers rebroussent chemin, repoussant leur expédition au lendemain. Non seulement cette pluie est anormale, mais elle est très localisée.

  • Il n’y a pas de seconde expédition, car la gendarmerie disperse les émeutiers varois. En apprenant ce retour au calme, Pierre-Julien Eymard dira seulement : « Marie nous a protégés. » Preuve de la détermination des insurgés et du drame évité, les révolutionnaires, au nombre de 2 000, ne se rendent pas sans combattre et laissent une centaine de tués sur le terrain.

  • La reprise en main par les autorités est brutale, des centaines d’insurgés sont incarcérés. Si aucune condamnation à mort n'est prononcée, les peines de prison tombent dru et sont très lourdes. C’est alors que Pierre-Julien Eymard va trouver le commandant de Bouchaud afin d’intercéder en faveur des prisonniers et lui demander, à défaut de grâces, des améliorations de leurs conditions d’incarcération. Il faut une charité exceptionnelle pour plaider la cause de gens qui avaient l’intention de vous assassiner, comme le lui fait remarquer le commandant, qui a eu très peur pour son petit-fils.

  • Apôtre inlassable de l’Eucharistie et de la présence réelle, le père Eymard pense que l’unique moyen de rétablir la paix civile et la concorde entre Français est de les ramener au pied du tabernacle et du seul vrai roi. C’est pourquoi il demande au commandant de Bouchaud de l’autoriser à parler du Christ eucharistique aux prisonniers et d’instaurer l’adoration eucharistique dans leurs geôles. Cette initiative d’une incroyable audace porte des fruits de grâce inespérés et, bien reçus par ces hommes qui voulaient le brûler vif, le père Eymard opère parmi eux des conversions sincères et durables.


En savoir plus

Pierre-Julien Eymard est né à La Mure, en Isère, le 4 février 1811. À en croire la tradition familiale, son père, ayant caché l’abbé Col, curé d’Oisans, pendant la Terreur, en aurait reçu cette prédiction : « Le bon Dieu te récompensera de ce que tu as fait pour l’un de ses prêtres. Tu auras beaucoup d’enfants, tu les perdras presque tous. Cependant, Dieu te donnera un fils sur lequel il aura imposé sa main. Il sera prêtre et fondera une congrégation du Très-Saint-Sacrement. » Cette prédiction s’est déjà largement réalisée à la naissance du benjamin, qui restera en effet le dernier garçon, au grand dam de son père qui veut un fils pour lui succéder dans son commerce et n’a pas l’intention de le laisser devenir prêtre.

Bien qu’il manifeste dès sa prime enfance une attirance invincible pour l’eucharistie et le Christ caché dans l’hostie, Pierre-Julien se heurte au refus paternel quand, au lendemain de sa première communion, il avoue son appel au sacerdoce. Mis dans la confidence, un prêtre désarme monsieur Eymard en offrant d’inscrire gratuitement son fils dans un collège grenoblois, puis l’incite à laisser Pierre-Julien poursuivre ses études à Marseille, chez les oblats. Le garçon y tombe malade et rentre chez lui. Cet échec ne le décourage pas et, malgré sa santé défaillante, il se rend à pied au Laus demander à Notre Dame de l’aider à atteindre le sacerdoce. Après la mort de son père, en mars 1831, Pierre-Julien entre au grand séminaire de Grenoble ; il est ordonné prêtre le 20 juillet 1834.

Dire la messe, consacrer le pain de vie ne lui suffit pas. Au terme de quatre années dans le clergé diocésain, sûr de n’être pas à sa vraie place, il demande à entrer chez les Maristes, et y fait profession en 1838. Directeur du collège de l’ordre à Belley, puis provincial de France et directeur du tiers ordre, le père Eymard n’a pourtant pas encore atteint son but. En 1851, lors d’une retraite qu’il prêche à Notre-Dame de Fourvière , il est, dira-t-il, « fortement impressionné » par une révélation venue de Dieu, réponse à ses préoccupations : il voit « l’état d’abandon spirituel du clergé séculier », réduit par le système concordataire à un rôle de petit fonctionnaire, malheureux, insatisfait, peu soutenu par ses évêques, curés, proches, fidèles, exposé à devenir comme l’a dit Notre Dame à La Salette , en 1846, « un cloaque d’iniquité » méritant la colère divine. Il mesure « le manque de formation des laïcs », l’absence de dévotion au très saint sacrement, le nombre effarant de sacrilèges et de profanations contre le Christ, véritablement présent dans l’hostie consacrée. Il éprouve la nécessité d’y remédier.

Il pense former « un tiers ordre masculin » de réparateurs, comme il existe des réparatrices données à l’adoration eucharistique pour expier les péchés contre le saint sacrement. Ce projet prend forme, mais Pierre-Julien a toujours le sentiment de ne pas répondre aux volontés divines. Dieu veut qu’il fonde un nouvel ordre religieux voué au culte et à l’apostolat eucharistiques. En 1856, relevé de ses vœux chez les maristes, il s’installe à Paris et fonde la congrégation des Prêtres du Saint-Sacrement, auxquels s’ajoutera une branche féminine, les Servantes du Saint-Sacrement.

Usé par les soucis et les attaques démoniaques accompagnées de violences physiques, le père Eymard, élu prieur général à vie, est à bout de forces. En juillet 1868, ses fils le convainquent d’aller se reposer chez lui, à La Mure. Il y meurt, tout juste arrivé, le 1er août, foudroyé par une hémorragie cérébrale, à cinquante-sept ans. Il sera canonisé par Jean XXIII en 1962. Son corps repose avenue de Friedland, à Paris, en l’église du Saint-Sacrement.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

  • Les écrits de saint Pierre-Julien Eymard sont disponibles en ligne .


En complément

  • Sur le site Notre Histoire avec Marie, l'article «  Saint Pierre-Julien Eymard, apôtre éminent de l'Eucharistie ».

  • Père André Guitton, Pierre-Julien Eymard, l’apôtre de l’Eucharistie, Médiaspaul, 1992.

  • Abbé Guillaume Hünermann, Pierre-Julien Eymard, le fils du rémouleur, réédité sous le titre Saint Pierre-Julien Eymard, l’apôtre de l’eucharistie, 1966. Dernière édition : Salvator, 2022.

  • Edmond Tenaillon, Le révérend père Pierre-Julien Eymard, documents sur sa vie et ses vertus, Hachette, 2018.

  • Albert Tesnières, Pierre-Julien Eymard, Priest of the Eucharist, TheCenacle Press at Silverstream Priory, 2023.

  • Les quatre épisodes de la chaîne YouTube RCF Hauts de France : Saint Pierre-Julien Eymard .

  • Le film de la chaîne YouTube Religion & Spiritualité (coproduction Cat Production et KTO) : «  Saint Pierre-Julien Eymard, le soleil de l’Eucharistie  ».

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