
Première lecture
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Crie à pleine gorge ! Ne te retiens pas ! Que s’élève ta voix comme le cor ! Dénonce à mon peuple sa révolte, à la maison de Jacob ses péchés. Ils viennent me consulter jour après jour, ils veulent connaître mes chemins. Comme une nation qui pratiquerait la justice et n’abandonnerait pas le droit de son Dieu, ils me demandent des ordonnances justes, ils voudraient que Dieu soit proche : « Quand nous jeûnons, pourquoi ne le vois-tu pas ? Quand nous faisons pénitence, pourquoi ne le sais-tu pas ? » Oui, mais le jour où vous jeûnez, vous savez bien faire vos affaires, et vous traitez durement ceux qui peinent pour vous. Votre jeûne se passe en disputes et querelles, en coups de poing sauvages. Ce n’est pas en jeûnant comme vous le faites aujourd’hui que vous ferez entendre là-haut votre voix. Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ?
Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. »
Psaume
Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
Évangile
Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Cherchez le bien, non le mal, afin de vivre. Ainsi le Seigneur sera avec vous. Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
En ce temps-là, les disciples de Jean le Baptiste s’approchèrent de Jésus en disant : « Pourquoi, alors que nous et les pharisiens, nous jeûnons, tes disciples ne jeûnent-ils pas ? » Jésus leur répondit : « Les invités de la noce pourraient-ils donc être en deuil pendant le temps où l’Époux est avec eux ? Mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront. »
Méditer avec les carmes
Pourquoi les disciples ne jeûnent-ils pas ?
La question posée ce jour-là à Jésus est importante, dans le contexte de l’époque. En effet elle n’est pas adressée à Jésus par les Pharisiens, avec qui les relations sont plus ou moins tendues, mais par les disciples de Jean le Baptiste, donc par des spirituels authentiques.
Et Jésus va répondre dans le langage typique du Baptiste.
Quand on demandait à Jean comment il se situait par rapport à Jésus et à sa popularité, Jean répondait : « Moi, je ne suis pas le Messie, mais je suis envoyé devant lui. Celui qui a l’épouse est l’époux » (Jn 3, 25).
Aucun doute possible. Pour lui, c’est le Messie Jésus qui est l’époux de la communauté sainte. Déjà l’Ancien Testament présentait comme des épousailles l’amour sauveur de Dieu pour la communauté des croyants : un amour porteur de fraîcheur et d’espérance :
« Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur t’épousera » (Is 62, 5)
« Ton Créateur, c’est ton Époux … D’un amour éternel j’ai eu pitié de toi » (Is 54, 5. 8)
Jésus, le Fils de l’Homme, a réalisé ce projet de Dieu : il a épousé l’humanité qu’il voulait sauver. Et ce que le Baptiste ne pouvait que pressentir, Paul l’enseignera avec enthousiasme :
« Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier … afin de se la présenter à lui-même, cette Église, [comme une épouse] sans tâche ni ride … toute sainte et sans reproche » (E 5, 26).
La présence de Jésus sur terre parmi ses disciples était donc un temps béni. Le Messie de Dieu, le propre Fils de Dieu, était chez les siens, le Christ inaugurait ses noces avec l’humanité : c’était, pour la communauté des croyants, pour les Apôtres et les disciples, le moment de fêter l’Époux, tout proche et bien visible.
« Viendront des jours, dit Jésus, où l’Époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront ».
De fait Jésus a été arraché aux siens lors de sa passion et de sa mise au tombeau, et encore maintenant sa gloire de Ressuscité est cachée à nos yeux de chair. Il est présent à sa communauté malgré les signes de l’absence, et il nous fait vivre la dernière des Béatitudes qu’il a proclamées : « Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu ».
Ce temps, ce long temps de la présence cachée, c’est le temps de l’Église, c’est le temps où nous avons à inscrire notre fidélité. C’est le temps où il nous faut vivre de la foi dans un monde difficile, confrontés souvent à notre monde intérieur et à nos propres habitudes.
« C’est alors qu’ils jeûneront », dit Jésus.
Si nous jeûnons, si nous entrons dans une ascèse joyeuse, c’est donc, non pas par un quelconque masochisme, mais pour garder le contact avec l’Époux enlevé, pour rester unis par la foi et l’espérance avec le Ressuscité, pour capter chaque jour la longueur d’ondes de son amour qui sauve.
Ce jeûne-là, le jeûne avec Jésus et pour Jésus, va donc plus loin et plus profond que les renoncements extérieurs et mesurables : le chocolat, le dessert et les cigarettes. Il consiste à rester en deçà de nos désirs pour retrouver le désir de Dieu et laisser grandir.
Notre jeûne, c’est de tempérer toutes nos faims, pour que notre vraie nourriture soit d’accomplir, comme Jésus, la volonté du Père. La faim du corps, la faim des yeux, la faim des sens ; la soif de l’imagination, l’égoïsme, ou la volonté de puissance, tout cela, avec la force de Jésus, va s’apaiser en nous, pour que nous puissions, avec une nouvelle liberté, écouter Dieu et regarder vivre nos frères et nos sœurs.
C’est ce jeûne-là, le jeûne libérateur, le jeûne qui rajeunit le cœur, que Jésus visait sans doute quand il conseillait : « Pour toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête ».