
Première lecture
Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez. ’ » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.
Psaume
Pitié, Seigneur, car nous avons péché !
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.
Deuxième lecture
Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché.
Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul n’ont pas la même mesure non plus : d’une part, en effet, pour la faute d’un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d’autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification. Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes.
Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste.
Évangile
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.
Méditer avec les carmes
Par deux fois, les évangiles nous rapportent un combat spirituel de Jésus, l’un avant d’inaugurer sa vie publique, l’autre avant d’entrer dans sa Passion. Les tentations au désert et l’acceptation de la croix à Gethsémani. Ce sont deux temps essentiels pour Jésus, victorieux en acceptant le dessein du Père sur lui et pour les hommes, il devient ainsi la source du salut.
Mais en quoi consistent précisément les tentations que rejette Jésus aujourd’hui ?
Les trois évangiles synoptiques placent l’épreuve des tentations après le baptême au cours duquel la voie du Père se fit entendre pour révéler l’identité précise de Jésus, connu pour être un Nazaréen fils de Joseph et de Marie. « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le » dit la voix du Père. Saint Luc, dans son Evangile, insère entre le baptême et les tentations au désert la généalogie de Jésus qu’il conclue par “fils d’Adam, fils de Dieu”. De plus, L’Esprit Saint, qui était descendu sur lui, remplit toujours Jésus quand il se rend dans le désert.
C’est donc conforté dans son identité et sous l’impulsion de l’Esprit Saint que Jésus se rend au désert, lieu de la rencontre en solitude avec Dieu et lieu du combat spirituel. D’ailleurs, Satan tentera par deux fois Jésus en invoquant explicitement la qualité de son être : « Si tu es le fils de Dieu… » C’est donc bien celui qui vient d’être manifesté comme Fils de Dieu qui va être mis à l’épreuve, et c’est le même Esprit qui reposa sur Jésus qui le pousse aujourd’hui au désert pour y subir l’épreuve de la tentation.
“Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre qu’elle devienne du pain.”
“Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas.”
Le motif invoqué par le diable n’est pas faux, Jésus est bien fils de Dieu. Mais les conséquences qu’il en tire sont erronées et constituent la tentation. Changer les pierres en pain, se jeter du faîte du temple sont deux tentations qui recouvrent une seule et même tentation : se prévaloir du titre de Fils de Dieu pour lui-même. Le diable voudrait qu’il manifeste des prodiges pour jouir en tout indépendance de ce qui est en réalité un don de son Père. Cette tentation rappelle celle à laquelle l’homme a succombé au jardin d’Eden. Le serpent invitait le premier couple à se méfier de Dieu : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. »
Être comme des dieux au milieu de la création décidant du bien et du mal, en dominant pour son profit les éléments. Voilà ce que l’homme croyait acquérir. Ce qui est remarquable dans les réponses de Jésus, c’est qu’il fera appel à son humanité et à la soumission envers son Père pour écarter la tentation.
Il est écrit : Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme..”
“Il est dit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu.”
En découvrant notre identité, notre valeur, la tentation fondamentale, pour Jésus comme pour l’homme, est de se poser en rival de Dieu notre Père. Or notre identité et notre vocation ne sont pas une proie que nous devons saisir et défendre jalousement contre celui qui voudrait nous la retirer. Mais ce que nous sommes est un don qui se reçoit et se vit dans une dépendance qui est une filiation. « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition de serviteur, et devenant semblable aux hommes. (…) Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom ». En inaugurant son ministère public par les tentations au désert, Jésus revit les épreuves du premier couple et aussi l’exode du peuple juif, mais en montrant comment on peut en sortir vainqueur. Jésus se déterminera toujours selon le dessein du Père. Il Lui sera fidèle tout au long de sa vie, parce que loin de vouloir devenir comme Dieu, il acceptera librement de ne pas considérer comme une proie à saisir d’être égal à Dieu. Au contraire, il trouvera la vie dans l’obéissance et la dépendance envers son Père. Le Fils est ce qu’il est par don du Père, se couper de la source de son être, se poser en rival, ce serait en définitive perdre son identité.
Cette disposition intérieure s’exprime par la manière dont Jésus invoque la Parole de Dieu. Il connaît les Ecritures pour en vivre, pour guider ses choix. Par contre, le diable en use de manière erronée en sortant des versets de leur contexte, ou en les lisant de manière fondamentaliste, il met ainsi l’Ecriture à son service en la pervertissant. Jésus, lui, rappelle les préceptes fondamentaux et y conforme son attitude. Pour repousser les tentations, il fait appel à la Parole de Dieu qui comme une lumière dévoile l’erreur, qui comme à un glaive repousse l’ennemi.
Ce passage faisait dire à Origène, un père de l’Eglise du troisième siècle : « Ô diable, tu lis les livres saints non pour devenir toi-même meilleur ; mais pour tuer au moyen de la lettre ceux qui sont amis de la Parole. » Par son attitude, Jésus accomplit les Ecritures, et ainsi il réalise sa vocation et conforte son identité. Il a été éprouvé en tout point, mais sans péché, dira l’auteur de l’épître aux Hébreux (4,15). Jésus a été affronté à la faim, à l’orgueil, au désir de pouvoir, à l’immédiateté, mais il est sorti vainqueur et affermi. Son identité avait été révélée à son baptême, et l’épreuve à vérifier qu’il l’avait bien accueilli comme un don de son Père.
Saint Pierre dans sa première épître rappelle aux chrétiens qu’il en est de même pour eux. « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ : Dans sa grande miséricorde, il nous a engendrés de nouveau par la Résurrection de Jésus-Christ (…). Vous en tressaillez de joie, bien qu’il vous faille encore quelque temps être affligés par diverses épreuves, afin que, bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l’or périssable que l’on vérifie par le feu, devienne un sujet de louange, de gloire et d’honneur, lors de la Révélation de Jésus-Christ. »
Jésus est fils de Dieu non parce qu’il change des pierres en pain, ni parce qu’il peut se jeter dans le vide, ni parce qu’il est libre de rendre un culte à qui il veut. Mais il accomplit son identité de Fils de Dieu en se nourrissant de la Parole de son Père, en ne mettant pas à l’épreuve Celui en qui il a confiance, et en adorant son Père et Lui seul.
Toutes les tentations que l’homme subit, le Seigneur les a subies dans son humanité. Il est vainqueur pour que nous puissions vaincre avec Lui. Ou plutôt, Il est vainqueur pour que nous puissions dire désormais avec Lui à Dieu notre Père : « Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre nous du Mauvais. » Amen !