
Première lecture
Frères, nous portons un trésor comme dans des vases d’argile ; ainsi, on voit bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous. En toute circonstance, nous sommes dans la détresse, mais sans être angoissés ; nous sommes déconcertés, mais non désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis. Toujours nous portons, dans notre corps, la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps. En effet, nous, les vivants, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre condition charnelle vouée à la mort. Ainsi la mort fait son œuvre en nous, et la vie en vous. L’Écriture dit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Et nous aussi, qui avons le même esprit de foi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et il nous placera près de lui avec vous. Et tout cela, c’est pour vous, afin que la grâce, plus largement répandue dans un plus grand nombre, fasse abonder l’action de grâce pour la gloire de Dieu.
Psaume
Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant.
Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie.
Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! » Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie.
il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes.
Évangile
Alléluia. Alléluia. C’est moi qui vous ai choisis du milieu du monde, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, dit le Seigneur. Alléluia.
En ce temps-là, la mère de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, s’approcha de Jésus avec ses fils Jacques et Jean, et elle se prosterna pour lui faire une demande. Jésus lui dit : « Que veux-tu ? » Elle répondit : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. » Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous le pouvons. » Il leur dit : « Ma coupe, vous la boirez ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé par mon Père. » Les dix autres, qui avaient entendu, s’indignèrent contre les deux frères. Jésus les appela et dit : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Méditer avec les carmes
Vraiment le moment était mal choisi : Jésus venait, pour la troisième fois, d’annoncer ses souffrances et sa mort, et voilà que la vieille maman arrive, demandant pour ses fils un destin exceptionnel, glorieux, à droite et à gauche de Jésus. Pauvre madame Zébédée ! C’est elle qui fait la démarche, c’est elle qui se prosterne, mais tout le projet venait de Jacques et de Jean, car c’est à eux que Jésus va faire ses reproches, et c’est contre eux que les dix autres vont s’indigner.
Que demandaient les deux frères ? Un privilège, et une préséance dans le Royaume ; bref. une maîtrise et un pouvoir. Or c’est justement cela qui est exclu dans la future communauté de Jésus : « Parmi vous, et il n’en sera pas ainsi » : pas de pouvoir à prendre, pas de supériorité à faire sentir, pas de rêves de grandeur, pas de manœuvres pour être le premier. À la suite de Jésus, l’ambition sera tout autre : se faire serviteur, accepter des tâches subalternes, donner sa vie pour la multitude.
Dans la communauté de Jésus, la seule grandeur, c’est le service. Plus on sert, plus on est grand, plus on s’efface au nom du Seigneur, plus le Seigneur nous reconnaît pour ses disciples. Que nous ayons encore toutes nos forces ou que nos pas soient déjà comptés, que nous soyons en vue ou dans l’ombre, que nous soyons en charge ou non, notre seule grandeur, c’est de servir et de donner notre vie pour le monde à sauver.
Et Jésus prend bien soin de le souligner : le monde ne juge pas de cette manière. Même dans nos communautés, nous aurions tendance à mesurer les choses autrement, à valoriser les personnes selon les critères du monde : efficacité, confiance en soi, aisance dans les échanges, facilité à se faire aimer. Mais Jésus, lui, ne regarde pas le rang des personnes, ni le brillant de leur situation, ni la considération dont on les entoure, ni la confiance qui spontanément leur est faite ; il regarde seulement comment chacun, là où il est, se met au service de ses frères ; et il pèse chaque vie au poids de la charité. Le meilleur de nous-mêmes, c’est cette volonté de servir. Elle demeure souvent à demi cachée, mais elle n’échappe pas à Dieu, qui lit en nous à livre ouvert.
Concrètement, ce nouveau style de vie, c’est à saint Paul que nous pouvons le demander. Le trésor de la mission de Jésus, qui valait bien à ses yeux tous les honneurs du monde, il avait conscience de le porter dans un vase de terre cuite : tout son tonus d’apôtre lui venait de Dieu lui-même. Il se sentait souvent à la limite de la résistance : maltraité, désorienté, pourchassé, abattu ; et seule l’extraordinaire puissance de Dieu empêchait, dans chaque épreuve, qu’il réagisse comme un homme oppressé, désemparé, abandonné, anéanti.
Jésus disait : « Donner sa vie pour la multitude. » Paul traduisait : imiter Jésus dans ce don total, « porter sans cesse dans notre être la mise à mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre existence mortelle ».
Cela passait, pour Paul, par des voyages, des angoisses de prédicateur, des soucis de fondateur d’Églises. Cela passe pour nous par une vie de témoignage et de prière, au cœur de l’Église, en pure perte de nous-mêmes, en pauvreté et nudité d’esprit. Cela se dit par une parole venue de la foi vive : « j’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé », j’ai cru, c’est pourquoi je suis entré dans le silence, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Jusqu’où devront aller l’oubli de nous-mêmes et notre générosité de serviteurs et de servantes ? Nul d’entre nous ne le sait d’avance, car les choix de Dieu ne se révèlent qu’à ceux qui cheminent. Mais notre amour de Jésus nous dicte quand même une réponse, un projet audacieux et humble à la fois : nous voulons boire la coupe que Jésus a bue tout entière. Autrement dit, nous voulons tout partager de son destin, et c’est bien aussi le don qu’il veut nous faire.
Cette coupe, c’est lui qui nous la tendra, et nous saurons alors de quoi elle sera remplie : coupe d’un Exode à vivre sans murmures ; coupe des oublis fraternels et des manques d’égards, qu’il faut assumer sans surprise ni révolte, coupe de l’effacement et de la disponibilité, des responsabilités portées en total oubli de soi.
N’ayons pas peur de dire oui d’avance, ne craignons pas que notre amour soit plus grand que nos forces, car Dieu aime ceux qui donnent avec joie, et c’est son Esprit qui nous fait accomplir ce dont nous rêvons pour sa gloire. Avec sa coupe qu’il nous tend Jésus nous offre son amitié : rejoignons son destin, « rien que pour aujourd’hui ».