
Première lecture
Ainsi parle le Seigneur : À cause de trois crimes d’Israël, et même de quatre, je l’ai décidé sans retour ! Ils vendent le juste pour de l’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Ils écrasent la tête des faibles dans la poussière, aux humbles ils ferment la route. Le fils et le père vont vers la même fille et profanent ainsi mon saint nom. Auprès des autels, ils se couchent sur les vêtements qu’ils ont pris en gage. Dans la maison de leur Dieu, ils boivent le vin de ceux qu’ils ont frappés d’amende. Moi, pourtant, j’avais détruit devant eux l’Amorite, dont la stature égalait celle des cèdres et la vigueur, celle des chênes ! Je l’avais anéanti de haut en bas, depuis les fruits jusqu’aux racines. Moi, je vous avais fait monter du pays d’Égypte et je vous avais, pendant quarante ans, conduits à travers le désert, pour vous donner en héritage le pays de l’Amorite. Eh bien, moi, maintenant, je vous écraserai sur place, comme un char plein de gerbes écrase tout sur son passage. L’homme le plus rapide ne pourra pas fuir, le plus fort ne pourra pas montrer sa vigueur, même le héros ne sauvera pas sa vie. L’archer ne tiendra pas, le coureur n’échappera pas, le cavalier ne sauvera pas sa vie. Le plus brave s’enfuira tout nu, ce jour-là, – oracle du Seigneur.
Psaume
Comprenez donc, vous qui oubliez Dieu !
« Qu’as-tu à réciter mes lois, à garder mon alliance à la bouche, toi qui n’aimes pas les reproches et rejettes loin de toi mes paroles ?
« Si tu vois un voleur, tu fraternises, tu es chez toi parmi les adultères ; tu livres ta bouche au mal, ta langue trame des mensonges.
« Tu t’assieds, tu diffames ton frère, tu flétris le fils de ta mère. Voilà ce que tu fais ; garderai-je le silence ?
« Penses-tu que je suis comme toi ? Je mets cela sous tes yeux, et je t’accuse. Comprenez donc, vous qui oubliez Dieu : sinon je frappe, et pas de recours !
« Qui offre le sacrifice d’action de grâce, celui-là me rend gloire : sur le chemin qu’il aura pris, je lui ferai voir le salut de Dieu. »
Évangile
Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur. Alléluia.
En ce temps-là, Jésus, voyant une foule autour de lui, donna l’ordre de partir vers l’autre rive. Un scribe s’approcha et lui dit : « Maître, je te suivrai partout où tu iras. » Mais Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. » Un autre de ses disciples lui dit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » Jésus lui dit : « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. »
Méditer avec les carmes
La parole de Jésus a ceci d’étrange que l’on n’est jamais quitte envers elle. Nous ne pouvons pas l’enfermer, même dans l’écrin de notre cœur. Nous ne pouvons pas la refermer, en disant : « J’ai lu ; j’ai compris ». Et même lorsqu’une parole de Jésus nous a déjà remués et convertis, nous la retrouvons toute neuve, d’année en année, de liturgie en liturgie, comme un regard qui guette notre regard.
Ainsi en va-t-il des deux paroles d’aujourd’hui, qui jusqu’au bout nous remettront en exode.
« Maître, je te suivrai, où que tu ailles ! »
Cela, nous l’avons dit, dès la première rencontre, dès le premier désert où Jésus nous a parlé au cœur, (littéralement : sur le cœur).
« Je te suivrai », dit l’homme ; et Jésus ne dit pas non ; Jésus ne le décourage pas. D’ailleurs, à d’autres il dit lui-même : « Viens ; suis-moi ! »
« Je te suivrai où que tu ailles« . C’est cette ambition qui a fait réagir Jésus, car le suivre partout, le suivre jusqu’au bout, ce sera mener une existence errante, plus vagabonde, plus insécurisée que la vie des bêtes sauvages, qui ont encore nid et tanière ! Et cet exode nous attend spécialement dans la vie fraternelle.
Certes, on pourrait calquer le quotidien d’une communauté sur le mode de vie des lapins de garenne : quinze sœurs, quinze terriers ! Mais l’expérience nous le montre très vite : au monastère il ne peut être question de nous creuser une tanière pour y goûter à volonté une fausse solitude ou pour échapper de temps à autre au coude à coude et à l’aventure communautaires.
Jamais non plus nous ne pourrons réclamer un nid, parce que nous n’avons pas d’autre amour à abriter que notre attachement au Seigneur, et la vie fraternelle se construit, non pas dans la facilité ni dans une chaleur artificielle, mais dans un dialogue courageux qui réclame chaque jour une sortie de soi-même.
Nous sommes donc prévenus : « le Fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête » ; il n’y aura pas d’oreiller non plus pour ceux qui veulent le suivre, et nous n’aurons pas de repos avant le grand repos de Dieu. Mais quelle joie, quel honneur d’user ses forces pour un tel maître !
Quand nous pensons à notre effort de vie évangélique et de prière, nous pensons désert. Le désert, c’est bien ; mais l’exode au désert, voilà qui nous rapproche du destin de Jésus. Pour rester en exode, il faut que notre cellule, habitée par le silence, et surtout l’espace de notre cœur, soient la tente du désert où nous venons chaque jour rencontrer le Seigneur pour une nouvelle étape de vie d’Église et pour de nouveaux pas dans la vie fraternelle.
Car les deux sont liées intimement, et notre vie fraternelle authentifie nos désirs missionnaires. En plein monde comme au cloître, elle est la première manière, concrète et quotidienne, de servir le royaume et d’entrer dans l’œuvre de Dieu.
Il est une demande que le Christ exauce toujours, celle d’une communauté de pauvres qui lui redit, avec la témérité d’un amour sincère et réaliste : « Seigneur, nous te suivrons, ensemble, où que tu ailles ».