
Première lecture
Frères, craignons, tant que demeure la promesse d’entrer dans le repos de Dieu, craignons que l’un d’entre vous n’arrive, en quelque sorte, trop tard. Certes, nous avons reçu une Bonne Nouvelle, comme ces gens-là ; cependant, la parole entendue ne leur servit à rien, parce qu’elle ne fut pas accueillie avec foi par ses auditeurs. Mais nous qui sommes venus à la foi, nous entrons dans le repos dont il est dit : Dans ma colère, j’en ai fait le serment : On verra bien s’ils entreront dans mon repos ! Le travail de Dieu, assurément, était accompli depuis la fondation du monde, comme l’Écriture le dit à propos du septième jour : Et Dieu se reposa le septième jour de tout son travail. Et dans le psaume, de nouveau : On verra bien s’ils entreront dans mon repos ! Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là, afin que plus personne ne tombe en suivant l’exemple de ceux qui ont refusé de croire.
Psaume
N’oubliez pas les exploits du Seigneur !
Nous avons entendu et nous savons ce que nos pères nous ont raconté ; les titres de gloire du Seigneur, sa puissance et les merveilles qu’il a faites.
Pour que l’âge suivant les connaisse, et leur descendance à venir, qu’ils n’oublient pas les exploits du Seigneur mais observent ses commandements.
Qu’ils ne soient pas, comme leurs pères, une génération indocile et rebelle, génération de cœurs inconstants et d’esprits infidèles à Dieu.
Évangile
Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Alléluia.
Quelques jours après la guérison d’un lépreux, Jésus revint à Capharnaüm, et l’on apprit qu’il était à la maison. Tant de monde s’y rassembla qu’il n’y avait plus de place, pas même devant la porte, et il leur annonçait la Parole. Arrivent des gens qui lui amènent un paralysé, porté par quatre hommes. Comme ils ne peuvent l’approcher à cause de la foule, ils découvrent le toit au-dessus de lui, ils font une ouverture, et descendent le brancard sur lequel était couché le paralysé. Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé : « Mon enfant, tes péchés sont pardonnés. » Or, il y avait quelques scribes, assis là, qui raisonnaient en eux-mêmes : « Pourquoi celui-là parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui donc peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ? » Percevant aussitôt dans son esprit les raisonnements qu’ils se faisaient, Jésus leur dit : « Pourquoi tenez-vous de tels raisonnements ? Qu’est-ce qui est le plus facile ? Dire à ce paralysé : “Tes péchés sont pardonnés”, ou bien lui dire : “Lève-toi, prends ton brancard et marche” ? Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre… – Jésus s’adressa au paralysé – je te le dis, lève-toi, prends ton brancard, et rentre dans ta maison. » Il se leva, prit aussitôt son brancard, et sortit devant tout le monde. Tous étaient frappés de stupeur et rendaient gloire à Dieu, en disant : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil. »
Méditer avec les carmes
De la foi ou de l’incroyance, qu’est-ce qui l’emportera dans le cœur des hommes ? C’est le drame qui traverse tout le ministère de Jésus, et il est déjà présent dès les premiers jours à Capharnaüm.
La foi, elle existe réellement chez ces hommes qui apportent le brancard ; une foi décidée, active, presque impatiente. Ils souffrent de voir souffrir ce handicapé, leur ami, et ils savent que Jésus est pour lui la dernière chance, une vraie chance comme Dieu seul en envoie.
Et c’est pourquoi leur foi se traduit en charité : coûte que coûte il faut traverser l’indifférence de la foule ; par tous les moyens il faut ménager à l’infirme une rencontre avec Jésus ; il faut que, pour un instant au moins, ce pauvre qui ne peut plus rien passe avant les autres. Si Jésus voit cet homme, ce paquet de souffrance et de misère, c’est gagné d’avance.
L’incroyance est là, elle aussi, présente au rendez-vous, dans le cœur de quelques scribes, des intellectuels bien assis pour écouter, pour peser, pour juger. Ils ont bien compris, pourtant ; ils ont raisonné juste, et posé la vraie question : "Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ?" Mais ils se dérobent devant la vraie conclusion ; ils fuient devant l’acte de foi. Plutôt que d’admettre : « Cet homme fait les œuvres de Dieu », ils préfèrent dire : « Cet homme blasphème ! »
Il en sera ainsi dans tous les temps. Il se trouvera toujours des hommes pour refuser le paradoxe du Christ, pour ramener le Christ aux dimensions de l’ordinaire, et pour trouver insoutenable que Jésus Christ, vrai homme, agisse aussi en vrai Dieu.
Mais ne jetons pas trop vite la pierre aux scribes, et mesurons bien ce que l’attitude de Jésus devait avoir de déroutant.
Le brancard descend par le trou du toit ; l’homme est là, aux pieds de Jésus, plus immobile que jamais. Tout le monde attend la parole de guérison, mais les mots qui viennent semblent ignorer la souffrance physique : « Mon enfant, les péchés te sont remis ».
Jésus n’a pas répondu au niveau de la demande, parce qu’il veut situer d’emblée son action au niveau de l’essentiel et du définitif. On demande la santé du corps ; il donne la liberté du cœur. On réclame de pouvoir agir ; il donne d’être selon Dieu. Au risque de décevoir le paralysé, au risque d’inquiéter les scribes, il dit tout de suite la parole du salut, parce qu’il est le Fils de l’Homme qui apporte le salut d’auprès de Dieu.
Mais pourquoi cette hâte, pourquoi bousculer et désappointer ainsi l’espérance immédiate ? Saint Marc nous le dit en toutes lettres : « Jésus, voyant leur foi, dit au paralysé : tes péchés sont remis ». Jésus a vu leur foi, il compte sur leur foi, et il veut répondre à leur audace par son audace de Fils de Dieu. Voilà pourquoi il leur révèle d’un coup de quoi est faite l’initiative du Père.
La guérison viendra, mais dans un second temps, comme une récompense de la foi, et comme un signe pour ébranler l’incroyance des scribes : « Je te l’ordonne, prends ton brancard et va-t-en chez toi ! »
Brusquement, tout l’intérêt se porte sur le paralysé. Depuis le début, il n’a rien dit ; mais voilà que Jésus lui demande d’être actif dans sa propre guérison : « Lève-toi ! ». Va-t-il se lever ? Sur la seule parole de Jésus, osera-t-il faire tous ces gestes impossibles ? C’est en obéissant à la parole qu’il va traduire sa foi ; et son corps va se dénouer, se déplier, tout au long de cette minute de confiance, la guérison accompagnant l’obéissance au Christ.
Des années durant on l’avait traîné sur sa civière, et voilà qu’il emporte lui-même, avec ce brancard, tout son passé de misère et de désespoir ; voilà que, sur l’ordre de Jésus, il enlève lui-même tous les signes de sa paralysie. Ainsi, au oui que Dieu prononce sur le monde, en Jésus Christ, répond le oui de l’homme à Jésus Christ.
Oui de la foi, qui balaye courageusement toutes les impressions d’impuissance ; oui de l’espérance, quand l’homme fait fond sur Dieu, alors même que Dieu déplace sans cesse les points d’appui ; oui de la charité active, qui ne s’arrête jamais avant que l’autre ait rencontré Jésus.
À travers cet épisode de l’Évangile, Jésus vient nous redire : « Ce qui paralyse, c’est le péché ». Et à partir de cette conviction, un double réflexe nous est demandé. un double effort nous attend.
D’une part le réflexe du brancardier : ne pas nous résigner à la paralysie de nos frères ni à les voir loin du Christ, ne pas cesser de prier pour eux, de les amener à Jésus ; car nous n’avons pas le droit de nous dire : « C’est définitif, c’est irréversible ; pour lui, pour elle, il n’y a plus que la civière, il n’y a plus rien à faire ».
D’autre part, et avant tout, le réflexe du brancardé : ne pas nous résigner à notre propre paralysie, comme si le péché, la tristesse, ou l’échec spirituel, étaient des fatalités dans notre propre vie. Acceptons, s’il le faut, que d’autres saisissent notre brancard pour nous mener au Christ, et laissons-les faire, même si c’est pour nous humiliant. En effet, ce sont eux qui sont dans le vrai, puisqu’ils espèrent.
Et puis, quand Jésus nous dit : « Lève-toi », ne le faisons pas attendre comme si c’était impossible ; car il n’est rien d’impossible à Dieu.