
Première lecture
Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait construite, et il lâcha le corbeau ; celui-ci fit des allers et retours, jusqu’à ce que les eaux se soient retirées, laissant la terre à sec. Noé lâcha aussi la colombe pour voir si les eaux avaient baissé à la surface du sol. La colombe ne trouva pas d’endroit où se poser, et elle revint vers l’arche auprès de lui, parce que les eaux étaient sur toute la surface de la terre ; Noé tendit la main, prit la colombe, et la fit rentrer auprès de lui dans l’arche. Il attendit encore sept jours, et lâcha de nouveau la colombe hors de l’arche. Vers le soir, la colombe revint, et voici qu’il y avait dans son bec un rameau d’olivier tout frais ! Noé comprit ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre. Il attendit encore sept autres jours et lâcha la colombe, qui, cette fois-ci, ne revint plus vers lui. C’est en l’an six cent un de la vie de Noé, au premier mois, le premier jour du mois, que les eaux s’étaient retirées, laissant la terre à sec. Noé enleva le toit de l’arche, et regarda : et voici que la surface du sol était sèche.
Noé bâtit un autel au Seigneur ; il prit, parmi tous les animaux purs et tous les oiseaux purs, des victimes qu’il offrit en holocauste sur l’autel. Le Seigneur respira l’agréable odeur, et il se dit en lui-même : « Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. Tant que la terre durera, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit jamais ne cesseront. »
Psaume
Seigneur, je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce.
Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur, oui, devant tout son peuple. Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens !
Je tiendrai mes promesses au Seigneur, oui, devant tout son peuple, à l’entrée de la maison du Seigneur, au milieu de Jérusalem !
Évangile
Alléluia. Alléluia.
Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel.
Alléluia.
En ce temps-là, Jésus et ses disciples arrivèrent à Bethsaïde. Des gens lui amènent un aveugle et le supplient de le toucher. Jésus prit l’aveugle par la main et le conduisit hors du village. Il lui mit de la salive sur les yeux et lui imposa les mains. Il lui demandait : « Aperçois-tu quelque chose ? » Levant les yeux, l’homme disait : « J’aperçois les gens : ils ressemblent à des arbres que je vois marcher. » Puis Jésus, de nouveau, imposa les mains sur les yeux de l’homme ; celui-ci se mit à voir normalement, il se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté. Jésus le renvoya dans sa maison en disant : « Ne rentre même pas dans le village. »
Méditer avec les carmes
Comme dans l’épisode du sourd bègue, Jésus s’écarte de la grande foule pour opérer le miracle, et il recommande à l’homme guéri la discrétion.
Mais un détail nous frappe dans cette guérison d’un aveugle, c’est que Jésus lui rend la vue en deux fois ! Bien évidemment, ce n’est pas le pouvoir qui manque à Jésus : après le miracle des pains, chacun savait quoi s’en tenir sur ce point. Donc c’est à cause de l’aveugle ou à cause des quelques assistants que Jésus le guérit en deux étapes.
L’étrange manière de faire de Jésus cache une visée pédagogique : c’est une sorte de catéchèse en acte, à la manière des prophètes. Dans un premier temps, l’aveugle commence seulement à voir, et il distingue mal les hommes des arbres. Dans un deuxième temps, la vision devient tout à fait nette.
C’est bien ce qui se passe pour tout aveuglement spirituel, et instinctivement nous rapprochons cette guérison opérée dans le port de Bethsaïda de la question posée par Jésus dans la barque, quelques heures auparavant : « Avez-vous donc le cœur endurci, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ? ».
Même quand on vit journellement aux côtés de Jésus, il faut du temps pour entrer dans sa parole ; même quand Jésus est là, présent dans notre vie, les mains posées sur nos yeux malades, il nous faut du temps pour nous ouvrir à sa lumière.
Dieu, qui est le maître du définitif et de l’instantané, travaille souvent avec le temps quand il s’agit de notre salut, parce que c’est dans le temps que s’exprime notre liberté et que se réalise le don de nous-mêmes. Quelles que soient les certitudes accumulées ou vécues dans le passé, des heures, des jours, des mois, peuvent venir où nous nous retrouvons tâtonnants, comme des aveugles.
Notre regard ne rencontre plus que la nuit, ou plutôt notre regard lui-même est devenu nuit et projette sa nuit sur les choses, les événements ou les personnes. Pourtant, le Christ est là, agissant, mais il ne nous épargne pas le cheminement de la foi, ni le labeur de l’espérance, et c’est peu à peu que nous émergeons à la lumière des Béatitudes.
Il arrive aussi - et c’est un reste d’aveuglement spirituel - que pour un temps les réalités les plus proches, les plus familières, demeurent pour nous dans le flou. Nous vivons alors parmi les personnes comme parmi des choses, nous prenons les hommes pour des arbres.
Mais si nous acceptons de rester sous les mains du Messie, la vision claire revient, à l’heure voulue par Dieu ; les vraies perspectives réapparaissent, le visage de Jésus devant nous se précise, et nous pouvons voir plus loin, plus loin dans l’avenir de l’Église, plus loin sur notre route de service, plus loin dans le cœurMc082226 de Dieu.
Le tout est de respecter les patiences du Seigneur et de ne pas le croire absent parce notre aveuglement nous cache encore sa présence.
Après le déluge sur le monde, la paix de Dieu est revenue, elle aussi, par étapes. Il fallait que la terre boive toute l’eau, et Dieu n’a pas abrégé ce long baptême.
De même la colombe de Noé, parabole de tout renouveau de la vie et de toute liberté qui se cherche, a connu d’abord par deux fois l’échec. Au soir du premier lâcher, elle est revenue lasse, trop heureuse d’apercevoir sur l’horizon Noé qui lui tendait la main. Au soir de la deuxième tentative, elle a été contrainte de revenir à l’Arche, pas plus glorieuse, mais déjà messagère d’espérance, tenant dans son bec une jeune feuille d’olivier. La troisième fois, désormais autonome, la colombe n’est plus revenue.
Prudence de Noé, qui a dosé les risques. Sagesse de Dieu qui laisse mûrir notre liberté.