
Première lecture
Ne t’appuie pas sur tes richesses, ne dis pas : « Elles me suffisent. » Ne te laisse pas entraîner par ton instinct et ta force à suivre les désirs de ton cœur. Ne dis pas : « Qui m’en imposera ? », car le Seigneur ne manquerait pas de te châtier. Ne dis pas : « J’ai péché, et rien ne m’est arrivé », car le Seigneur sait attendre longtemps. Ne sois pas assuré du pardon au point d’entasser péché sur péché. Ne dis pas : « Sa miséricorde est grande, il pardonnera bien tous mes péchés », car, en lui, il y a pitié mais aussi colère ; son indignation s’abattra sur les pécheurs. Ne tarde pas à te retourner vers le Seigneur, ne remets pas ta décision de jour en jour ; car brusquement éclatera la colère du Seigneur, et à l’heure du châtiment, tu seras anéanti. Ne t’appuie pas sur des richesses injustement acquises : elles ne te serviront de rien au jour de l’adversité.
Psaume
Heureux est l’homme qui met sa foi dans le Seigneur.
Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit !
Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne meurt ; tout ce qu’il entreprend réussira. Tel n’est pas le sort des méchants.
Mais ils sont comme la paille balayée par le vent, Le Seigneur connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se perdra.
Évangile
Alléluia. Alléluia. Accueillez la parole de Dieu : pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu. Alléluia.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas. Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. Chacun sera salé au feu. C’est une bonne chose que le sel ; mais s’il cesse d’être du sel, avec quoi allez-vous lui rendre de la saveur ? Ayez du sel en vous-mêmes, et vivez en paix entre vous. »
Méditer avec les carmes
Saint Marc a rassemblé, dans cet évangile, deux paraboles de Jésus sur le scandale, c’est-à-dire sur tout ce qui fait achopper et provoque la chute.
Celui qui provoque la chute des petits n’est pas digne de survivre. Par « petits », il faut entendre ici, avec saint Marc, non pas les enfants, mais les petites gens de la communauté chrétienne, ceux qui sont sans pouvoir, sans malice et sans défense.
Dieu les revendique pour siens, et c’est pourquoi la menace est sévère : ceux qui font chuter ces petits se condamnent eux-mêmes à plonger au fond de la mer avec, pour collier, une meule de basalte.
Mais qu’en est-il pour ceux qui sont pour eux-mêmes une occasion de chute ?
Qu’en sera-t-il pour la main qui saisit, qui arrache et retient ?
Qu’en sera-t-il du pied qui écrase, qui se hâte vers le mal ou cherche toujours un ailleurs ?
Que deviendra l’œil qui guette, qui déforme, qui convoite ?
Jésus répond d’un seul mot : « Coupe-le. Arrache-le ! »
Et pourtant, quel outil magnifique qu’une main humaine ! Quelle merveille qu’un œil !
Qu’importe : ces atouts majeurs seront écartés s’ils doivent nous barrer la route de la vie ; les vrais sarments seront taillés pour que passe la sève en abondance.
Laissons ici à la parole de Jésus tout son tranchant, car c’est bien par certaines morts partielles que nous débouchons dans la vie :
« Je considère tout désormais comme désavantageux, dit Paul (Ph 3, 8), au prix du gain suréminent qu’est la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. Pour lui j’ai accepté de tout perdre, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui ».
Un jour ou l’autre, sur le chemin de la vraie vie, Jésus nous demande effectivement de lui abandonner l’une de nos mains et de continuer à servir humblement avec celle qui reste, comme si de rien n’était.
Ou bien il nous demande le sacrifice de notre mobilité, l’abandon volontaire de tout un secteur d’initiative, soit qu’il fait obstacle à notre liberté de fils, soit parce que nous sommes devenus propriétaires des dons de Dieu, ou simplement parce qu’il veut pour nous la fécondité du grain qui meurt en terre profonde.
À la limite, nous arriverons dans le Royaume sur un pied, ou nous arriverons borgnes, heureux d’avoir perdu le regard orgueilleux ou avide qui nous cachait la vraie lumière.
N’allons pas imaginer pour autant que Dieu veuille emplir son Royaume de ratés et d’éclopés.
Jésus veut simplement souligner l’urgence des enjeux, et le réalisme des choix qui nous attendent. Il veut aussi tourner notre cœur vers une formidable promesse ! La vie qu’il nous prépare et qu’il nous fait anticiper sera sans commune mesure avec l’intégrité physique et avec les réussites d’ici-bas.
Il veut, enfin, donner à notre vie de foi tout son sens, tout son prix, tout son sel.
Car selon Jésus il ne suffit pas d’avoir le sel à portée de la main, il faut avoir le sel en nous-mêmes. Nous n’avons pas à guetter à l’extérieur, dans les autres ou dans les événements, ce qui va donner du goût à notre existence ou nous donner le goût de vivre. Le sel est déjà en nous, puisque nous avons l’amitié du Christ, puisque son Esprit dynamise notre cœur, intercède pour nous par des gémissements au-delà de toute parole, et nous fait « désirer selon Dieu » (Rm 8).
C’est bien ce sel de l’Esprit qui fait grandir en nous la liberté filiale, et épanouit en nous la belle autonomie affective de l’ami ou de l’épouse du Seigneur. Fortifiés intérieurement par l’Esprit, nous devenons capables d’accueillir l’autre pour lui-même, pour qu’il s’accueille lui-même, et se reçoive lui-même des mains de Dieu.
Allégés de toute volonté de puissance, de tout désir d’annexer l’autre, nous sommes, en même temps, immunisés contre la peur, la peur de l’autre, la peur de nous-mêmes devant l’autre, et Dieu « guide nos pas sur un chemin de paix ».
« Ayez du sel en vous-mêmes, dit Jésus, et vivez en paix les uns avec les autres ».