La fuite en Égypte accomplit les prophéties
Le récit évangélique de la fuite en Égypte met en lumière Marie et Jésus comme le nouveau peuple de Dieu, accomplissant non pas des prophéties préétablies, mais révélant une lecture spirituelle et vivante des Écritures. À travers cette interprétation midrashique, Matthieu invite à reconnaître en Marie la Mère du Messie guidée par la foi, dont l’histoire éclaire la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Le récit de Mt 2 présente la fuite de la famille en Égypte comme l’accomplissement de trois prophéties, celle de Jérémie, celle du livre de l’Exode, celle d’Osée.
Il ne faut pas en déduire que la fuite en Égypte est un récit inventé pour correspondre à ces prophéties. Notre article va le démontrer :
1)
« [Joseph prit l’enfant et sa mère et s’enfuit en Égypte] Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète : D’Égypte, j’ai appelé mon fils.» (Mt 2, 15)
La citation explicite d’Os 11, 1 en Mt 2,15 est une référence à Israël et non pas à Moïse. C’est à Israël que Jésus est assimilé, non à Moïse.
2)
« Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, fut pris d’une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages. Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie : Une voix dans Rama s’est fait entendre, pleur et longue plainte : c’est Rachel pleurant ses enfants ; et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus. » (Mt 2,16-18)
La prophétie de Jr 31,15, utilisée pour illustrer le massacre des Innocents, ne présente pas le moindre trait qui ait pu déterminer, ou même inspirer ce récit, comme l’a montré minutieusement R.T. FRANCE [1].
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Rama n’est pas Bethléem,
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le sépulcre de Rachel constitue un lien bien mince,
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les enfants perdus que Rachel pleure - les exilés selon Jérémie 31,15 -, ne font pas penser au massacre d’Hérode.
La citation de Jérémie n’a visiblement été saisie que pour apporter un éclairage à un récit préexistant.
3)
Faut-il voir en Mt 2,13 (Hérode cherche à détruire l’enfant ; Joseph se retira en Égypte) un réemploi d’Exode 2,15 ?
« Pharaon… chercha à tuer Moïse. Moïse s’enfuit loin de Pharaon... Il se rendit au pays de Madian. » (Ex 2, 15)
L’analogie est mince : Moïse adulte s’enfuit lui-même parce qu’il sait que le Pharaon va le tuer. Jésus est emmené en Égypte par Joseph, sur un songe où lui apparaît l’ange du Seigneur. Moïse fuit l’Égypte et Joseph s’y réfugie. Le récit de l’Exode ne détermine en rien celui de Matthieu.
L’analogie littérale est plus frappante, entre l’Exode,
« YHWH dit à Moïse – Va, retourne en Égypte car ils sont morts ceux qui cherchent à te faire périr. Moïse prit son épouse et son fils et s’en retourna au pays d’Égypte. » (Ex 4, 19)
et l’Évangile :
« L’ange du Seigneur [...] dit à Joseph – Pars en Israël car ils sont morts ceux qui cherchaient la vie de l’enfant. Se levant, Joseph prit l’enfant et sa Mère et entra en terre d’Israël. » (Mt 2,20)
mais, ici encore, les deux voyages sont en sens inverse : Moïse rentre en Égypte et Jésus la quitte. Moïse prend sa femme et son enfant. Mais Jésus est l’enfant dans le récit de Matthieu. C’est Joseph qui ferait pendant à Moïse : rapprochement sans signification.
Conclusion
Le rapprochement, qui aurait pu intervenir, entre Moïse enfant, menacé de mort par le pharaon, et les enfants massacrés à Bethléem, n’est pas actualisé par le récit de Mt 2,16-18.
Le seul contact littéraire avec l’histoire biblique de Moïse : Ex 4,19 et Mt 2,19, n’a pas valeur explicative.
Pour le voyage de retour en Israël, Matthieu ne rapproche pas le Christ de Moïse, mais du peuple adopté par Dieu, en citant Os 11, 1 : « d’Égypte, j’ai rappelé mon fils » (cf. Ex 4,22).
Ainsi donc, les traditions de Jérémie, du livre de l’Exode, et du livre d’Osée ne sont pas le principe structurel du récit, mais un élément d’interprétation.
Autrement dit, Matthieu ne cherche pas à prouver que Jésus accomplit les prophéties : il découvre un événement, et à la lumière de cet événement, il relit les prophéties. On peut dire que Matthieu a usé du midrash, au sens large où ce mot signifie une exégèse actualisante rapprochant les événements de l’Écriture.
Cet article, peut-être plus difficile par sa technicité, éclaire bien la nature des prophéties bibliques, elles ne sont pas des devinettes au sens où ni Jérémie ni Osée n’ont deviné que la mère de Messie et son fils auraient dû fuir en Égypte.
Comme nous l’avons dit, les prophéties deviennent telles quand Jésus explique aux disciples d’Emmaüs que les Écritures parlaient de lui. C’est pourquoi notre méthode est d’interroger les auteurs du Nouveau Testament pour voir comment ils ont relu l’Ancien.
[1] R.T. FRANCE, Herod, in Nov Test 21 (1979), 98-120
René Laurentin
Les de l’Enfance du Christ, Desclée, Paris, 1982, p. 434-437