Le retable d’Issenheim (1516) par M. Grunewald

Le retable d'Issenheim, chef-d'œuvre spirituel de Matthias Grünewald, invite à une contemplation profonde du mystère pascal où Marie, au cœur de la souffrance du Christ, incarne la foi ardente et la communion à l’amour rédempteur, offrant ainsi aux malades un puissant soutien dans leur épreuve. Cette œuvre unique, mêlant réalisme et symbolisme, éclaire la présence maternelle de la Vierge dans le chemin de la Croix et la promesse vivante de la Résurrection.


Ami de Luther, Grünewald (†1528) est mort avant les insurrections de la réforme de Luther.

Le retable d'Issenheim est une œuvre est inclassable : art gothique tardif, maniérisme, art fantastique, art réaliste...

Plus exactement, le retable d'Issenheim (ou d'Isenheim) est l'œuvre de deux grands maîtres du gothique tardif :

  • Le peintre allemand Matthias Grünewald, dont il constitue incontestablement le chef-d'œuvre, pour les panneaux peints (1512-1516)

  • Nicolas de Haguenau pour la partie sculptée (autour de 1500).

Ce monumental polyptyque se trouve aujourd'hui à Colmar, au musée d'Unterlinden.

A) Le contexte de l'œuvre[1]

L'ordre des Antonins a été fondé vers 1070 à Saint-Antoine-en-Viennois, petit village du Dauphiné situé entre Valence et Grenoble. Il s'agit d'un ordre vivant de dons et qui a pour vocation de soigner et d'assister les malades.

Les religieux se consacraient à cette époque à une affection qui se répandait rapidement, l'empoisonnement par l'ergot de seigle. Cet empoisonnement par un champignon microscopique attaquant la céréale causait des douleurs terribles aux malades qui étaient affectés de ce que l'on appelait alors le « mal des ardents » (ergotisme gangreneux). Les religieux soignaient aussi les autres maladies : syphilis, tuberculose etc.

C'est pour l'hôpital que fut commandé et réalisé le retable.

B) Le retable dans son ensemble et son rôle spirituel

Les malades voyaient le retable, devant eux, et c'est un bienfait spirituel. « En effet, plus ces images sont contemplées fréquemment, plus ceux qui les contemplent sont portés au souvenir et au désir des modèles d'origine et à leur rendre, en les embrassant, respect et vénération. »[2]

Le retable possède au total trois faces illustrées (Triptyque), alors qu'en principe de tels retables n'en possédaient que deux. Au centre du retable se trouve un autel sculpté et l'ensemble était surmonté d'un meneau gothique sculpté et doré, qui a été perdu.

Les différents volets peuvent être ouverts pour illustrer les différents jours liturgiques.

  1. Première face

La Crucifixion. Nous y reviendrons en détail.

  1. Deuxième face

  • Sur le volet gauche est représentée l'Annonciation

  • Sur le volet droit, la Résurrection montre le Christ auréolé d'une intense lumière s'élevant au-dessus de son tombeau dans un tourbillon de drapés.

  • Ces deux scènes encadrent une Nativité peuplée à gauche d'anges musiciens, face à une représentation de la Vierge avec son enfant dans la quiétude d'un paysage dominé par la figure de Dieu le Père.

  1. Troisième face

  • La Visite de saint Antoine à saint Paul l'ermite

  • La Tentation de saint Antoine.

Ainsi, par ce retable, les malades adressaient plus facilement leur prière à saint Antoine, à la Vierge Marie, au Christ. Les malades demandaient un miracle. Les malades reconnaissaient dans le Christ mourant et ressuscitant leur propre croix, leur propre chemin pascal. Le peintre Grünewald a montré le réalisme de la douleur de la crucifixion et la dynamique de l'espérance : tous les dimanches le retable se dépliait dans l'hospice où il était placé et les malades se trouvaient face à une splendide représentation du Christ ressuscité !

Regarder le retable Détails sur le Christ : [Lien perdu] [Lien perdu] [Lien perdu] Jean soutenant la Vierge : [Lien perdu]

Deuxième face : [Lien perdu]

C) Détails de la scène de la crucifixion

Au centre, le Christ est peint avec réalisme. Les mains dont les nerfs sont à vifs par les clous, les pieds d'où s'écoule le sang, les épines, le corps flagellé est exsangue, et le visage, un visage encore humain, encore aimant, encore en prière.

En Jésus, Dieu a souffert, et plus violemment qu'aucun d'entre nous, à l'infini, car c'est l'infini qui est atteint. Il a été habité par toutes nos douleurs.

Sur la droite, le prophète Jean Baptiste. Historiquement, il est mort avant le Christ et n'était pas présent au pied de la croix. C'est pourquoi son attitude dénote, il semble ne pas participer à la douleur de la scène. Grâce à sa présence sur le tableau, le spectateur n'entre pas dans le jeu masochiste et macabre de la contemplation d'une torture. Il a un peu le rôle des flash-back ou des sous-titrages dans le film « la Passion » de Mel Gibson. Le but du peintre n'est pas une complaisance dans la souffrance mais d'en éclairer le sens. Jésus avait désigné Jean le Baptiste comme étant Élie, cet Élie qui devait venir pour les derniers temps (Ml 3,23). Mais Élie n'était pas mort, il avait été ravi dans un char de feu pour rester auprès de Dieu (2 R2,11). Or Jean Baptiste est mort martyr, la tête tranchée pour avoir critiqué la conduite du roi Hérode (Mt 14, 3-12). Dans la mesure où on croyait que Jean Baptiste était Élie, on a pu voir dans son martyre le char de feu de sa glorification... Jésus emprunterait-il le même chemin ?

À côté de Jean Baptiste, il y a un agneau. Cet Agneau donne le sens de ce qui se passe : alors que la Pâque juive commémore la sortie d'Égypte par le sacrifice d'un Agneau dont on ne brise pas les os, Jésus meurt le jour et à l'heure de ce sacrifice et on ne lui brise pas les os. C'est lui l'Agneau de la nouvelle Pâque, la Pâque définitive par laquelle l'humanité passe en Dieu.

Au pied du Christ et à gauche, nous voyons Marie Madeleine. L'évangile nous dit sa présence (Jn 19, 25). Elle est en prière, et elle a amené un flacon de parfum ou de myrrhe. Marie Madeleine est disciple du Christ. Le Christ a chassé d'elle sept démons. Marie Madeleine aime le Christ comme son Sauveur. Elle sait de quoi elle a été sauvée et elle n'a pas honte de venir là, en ce lieu de déchéance, pour rendre les derniers honneurs à l'humanité de son Seigneur.

Sur la gauche encore, un disciple tient la Vierge. Ce disciple est le disciple bien-aimé dont parle l'évangile de Jean (Jn 19, 25-27). Il a entendu du Christ cette révélation adressée à Marie et à lui-même : « Femme, voici ton Fils », et « voici ta mère ». C'est pourquoi il « prend Marie chez lui ». La tradition de l'Église sait que ce disciple était saint Jean, l'évangéliste. Mais le fait que l'Évangile ne dise pas son nom signifie que les paroles du Christ s'adressent à tous les disciples. Il est bon pour chacun de nous d'accueillir Marie pour mère.

La Vierge Marie est debout, les mains jointes dans une ardente prière, son vêtement blanc la rend très visible. Elle est cassée : le bas du corps est vertical et parallèle aux jambes du Christ, tandis que le haut du corps est parallèle au bras du Christ. Ainsi, la position de la Vierge épouse la position du Christ, elle participe à sa douleur, elle communie à son amour rédempteur. C'est la transcription en image de cette mention de l'Évangile : Jésus appelle Marie sa mère : « Femme ». Elle adhère au Sauveur de toute la force de sa contemplation et de sa foi, c'est pourquoi, « sur son visage contemplatif, la douleur semble s'identifier à la paix. »[3]


[1] P. Lorentz, Le retable d'Issenheim a-t-il livré ses secrets ?, Dossier de l'art n° 148 p5-8

[2] 2° Concile de Nicée, DS 601

[3] J. Guitton, Images de la Vierge, Sun, Paris 1963, p. 10


Françoise Breynaert

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