Pie X, Ad diem illum laetissimum (1904)
À l'occasion du cinquantième anniversaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception, cette lettre encyclique de Pie X souligne la place unique de Marie, Mère de Dieu et Mère spirituelle de tous les croyants, comme médiatrice puissante et guide sûre vers Jésus-Christ, source de toute grâce et de salut. En rappelant son rôle essentiel dans le mystère de la Rédemption, le Saint-Père invite les fidèles à renouveler leur foi et leur amour envers la Vierge immaculée, refuge sûr et dispensatrice des trésors divins.
LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ PIE X
PAPE PAR LA DIVINE PROVIDENCE
A NOS VÉNÉRABLES FRÈRES LES PATRIARCHES, PRIMATS, ARCHEVÊQUES, ÉVÊQUES ET AUTRES ORDINAIRES EN PAIX ET EN COMMUNION AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE.
PIE X, PAPE.
VÉNÉRABLES FRÈRES, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE.
L'anniversaire du dogme de l'Immaculée Conception
Le cours du temps nous ramènera dans peu de mois à ce jour d'incomparable allégresse où, entouré d'une magnifique couronne de cardinaux et d'évêques - il y a de cela cinquante ans, - Notre prédécesseur Pie IX, pontife de mémoire, déclara et proclama de révélation divine, par l'autorité du magistère apostolique, que Marie a été, dès le premier instant de sa conception, totalement exempte de la tache originelle.
Proclamation dont nul n'ignore qu'elle fut accueillie par tous les fidèles de l'univers d'un tel cœur, avec de tels transports de joie et d'enthousiasme, qu'il n'y eut jamais, de mémoire d'homme, manifestation de piété soit à l'égard de l'auguste Mère de Dieu, soit envers le Vicaire de Jésus-Christ, ni si grandiose, ni si unanime.
Aujourd'hui, Vénérables Frères, bien qu'à la distance d'un demi-siècle, ne pouvons-nous espérer que le souvenir ravivé de la Vierge Immaculée provoque en nos âmes comme un écho de ces saintes allégresses et renouvelle les spectacles magnifiques de foi et d'amour envers l'auguste Mère de Dieu, qui se contemplèrent en ce passé déjà lointain ? Ce qui Nous le fait désirer ardemment, c'est un sentiment, que Nous avons toujours nourri en Notre cœur, de piété envers la bienheureuse Vierge aussi bien que de gratitude profonde pour ses bienfaits. Ce qui, d'ailleurs, Nous en donne l'assurance, c'est le zèle des catholiques, perpétuellement en éveil et qui va au-devant de tout nouvel honneur, de tout nouveau témoignage d'amour à rendre à la sublime Vierge. Cependant, Nous ne voulons pas dissimuler qu'une chose avive grandement en Nous ce désir : c'est qu'il Nous semble, à en croire un secret pressentiment de Notre âme, que Nous pouvons nous promettre pour un avenir peu éloigné l'accomplissement des hautes espérances, et assurément non téméraires, que fit concevoir à notre prédécesseur Pie IX et à tout l'Épiscopat catholique la définition solennelle du dogme de l'Immaculée Conception de Marie.
Ces espérances, à la vérité, il en est peu qui ne se lamentent de ne les avoir point vues jusqu'ici se réaliser, et qui n'empruntent à Jérémie cette parole : Nous avons attendu la paix, et ce bien n'est pas venu : le temps de la guérison, et voici la terreur (Jer. VIII, 15). Mais ne faut-il pas taxer de peu de foi des hommes qui négligent ainsi de pénétrer ou de considérer sous leur vrai jour, les œuvres de Dieu ? Qui pourrait compter, en effet, qui pourrait supputer les trésors secrets de grâces que, durant tout ce temps, Dieu a versés dans son Église à la prière de la Vierge ? Et, laissant même cela, que dire de ce Concile du Vatican, si admirable d'opportunité ? et de la définition de l'infaillibilité pontificale, formule si bien à point à l'encontre des erreurs qui allaient sitôt surgir ? et de cet élan de piété, enfin, chose nouvelle et véritablement inouïe, qui fait affluer, depuis longtemps déjà, aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ, pour le vénérer face à face, les fidèles de toute langue et de tout climat ? Et n'est-ce pas un admirable effet de la divine Providence que Nos deux prédécesseurs, Pie IX et Léon XIII, aient pu, en des temps si troublés, gouverner saintement l'Église, dans des conditions de durée qui n'avaient été accordées à aucun autre pontificat ? A quoi il faut ajouter que Pie IX n'avait pas plus tôt déclaré de croyance catholique la conception sans tache de Marie que, dans la ville de Lourdes, s'inauguraient de merveilleuses manifestations de la Vierge, et ce fut, on le sait, l'origine de ces temples élevés en l'honneur de l'Immaculée Mère de Dieu, ouvrage de haute magnificence et d'immense travail, où des prodiges quotidiens, dus à son intercession, fournissent de splendides arguments pour confondre l'incrédulité moderne. - Tant et de si insignes bienfaits accordés par Dieu sur les pieuses sollicitations de Marie, durant les cinquante années qui vont finir, ne doivent-ils pas nous faire espérer le salut pour un temps plus prochain que nous ne l'avions cru ? Aussi bien est-ce comme une loi de la Providence divine, l'expérience nous l'apprend, que des dernières extrémités du mal à la délivrance il n'y a jamais bien loin. Son temps est près de venir, et ses jours ne sont pas loin. Car le Seigneur prendra Jacob en pitié, et en Israël encore il aura son élu (Is. XIV, 1). C'est donc avec une entière confiance que nous pouvons attendre nous-mêmes de nous écrier sous peu : Le Seigneur a brisé la verge des impies. La terre est dans la paix et le silence ; elle s'est réjouie et elle a exulté (Is. XIV, 5 et 7).
Mais, si le cinquantième anniversaire de l'acte pontifical par lequel fut déclarée sans souillure la conception de Marie, doit provoquer au sein du peuple chrétien d'enthousiastes élans, la raison en est surtout dans une nécessité qu'ont exposée Nos précédentes Lettres encycliques, Nous voulons dire de tout restaurer en Jésus-Christ. Car, qui ne tient pour établi qu'il n'est route ni plus sûre ni plus facile que Marie par où les hommes puissent arriver jusqu'à Jésus-Christ, et obtenir, moyennant Jésus-Christ, cette parfaite adoption des fils, qui fait saint et sans tache sous le regard de Dieu ?
Certes, s'il a été dit avec vérité à la Vierge : Bienheureuse qui avez cru, car les choses s'accompliront qui vous ont été dites par le Seigneur (Luc. I, 45), savoir qu'elle concevrait et enfanterait le Fils de Dieu ; si, conséquemment, elle a accueilli dans son sein celui qui par nature est Vérité, de façon que, engendré dans un nouvel ordre et par une nouvelle naissance ..., invisible en lui-même, il se rendît visible dans notre chair (S. LEO M., Serm. 2, de Nativ. Domini, c. II) ; du moment que le Fils de Dieu est l'auteur et le consommateur de notre foi, il est de toute nécessité que Marie soit dite participante des divins mystères et en quelque sorte leur gardienne, et que sur elle aussi, comme sur le plus noble fondement après Jésus-Christ, repose la foi de tous les siècles.
Comment en serait-il autrement ? Dieu n'eût-il pu, par une autre voie que Marie, nous octroyer le réparateur de l'humanité et le fondateur de la foi ? Mais, puisqu'il a plu à l'éternelle Providence que l'Homme-Dieu nous fût donné par la Vierge, et puisque celle-ci, l'ayant eu de la féconde vertu du divin Esprit, l'a porté en réalité dans son sein, que reste-t-il si ce n'est que nous recevions Jésus des mains de Marie ?
L'Ancien Testament prophétisait le Christ et sa Mère
Aussi, voyons-nous que dans les Saintes Écritures, partout où est prophétisée la grâce qui doit nous advenir, partout aussi, ou peu s'en faut, le Sauveur des hommes y apparaît en compagnie de sa Mère.
Il sortira, l'Agneau dominateur de la terre, mais de la pierre du désert ; elle montera, la fleur, mais de la tige de Jessé. A voir, dans l'avenir, Marie écraser la tête du serpent, Adam contient les larmes que la malédiction arrachait à son cœur.
Marie occupe la pensée de Noé dans les flancs de l'arche libératrice ; d'Abraham, empêché d'immoler son fils ; de Jacob, contemplant l'échelle où montent et d'où descendent les anges ; de Moïse, en admiration devant le buisson qui brûle sans se consumer ; de David, chantant et sautant en conduisant l'arche divine ; d'Elie, apercevant la petite nuée qui monte de la mer. Et, sans nous étendre davantage, nous trouvons en Marie, après Jésus, la fin de la loi, la vérité des images et des oracles.
La Vierge conduit au Christ
Qu'il appartienne à la Vierge, surtout à elle, de conduire à la connaissance de Jésus, c'est de quoi l'on ne peut douter, si l'on considère, entre autres choses, que, seule au monde, elle a eu avec lui, dans une communauté de toit et dans une familiarité intime de trente années, ces relations étroites qui sont de mise entre une mère et son fils. Les admirables mystères de la naissance et de l'enfance de Jésus, ceux notamment qui se rapportent à son incarnation, principe et fondement de notre foi, à qui ont-ils été plus amplement dévoilés qu'à sa Mère ? Elle conservait et repassait dans son cœur ce qu'elle avait vu de ses actes à Bethléem, ce qu'elle en avait vu à Jérusalem dans le temple ; mais initiée encore à ses conseils et aux desseins secrets de sa volonté, elle a vécu, doit-on dire, la vie même de son Fils. Non, personne au monde comme elle n'a connu à fond Jésus ; personne n'est meilleur maître et meilleur guide pour faire connaître Jésus.
Il suit de là, et Nous l'avons déjà insinué, que personne ne la vaut, non plus, pour unir les hommes à Jésus. Si, en effet, selon la doctrine du divin Maître, la vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Joan. XVII, 3) : comme nous parvenons par Marie à la connaissance de Jésus-Christ, par elle aussi, il nous est plus facile d'acquérir la vie dont il est le principe et la source.
Et maintenant, pour peu que nous considérions combien de motifs et combien pressants invitent cette Mère très à nous donner largement de l'abondance de ces trésors, quels surcroîts n'y puisera pas notre espérance !
Marie n'est-elle pas la Mère de Dieu ? Elle est donc aussi notre Mère.
Car un principe à poser, c'est que Jésus, Verbe fait chair, est en même temps le Sauveur du genre humain. Or, en temps que Dieu-Homme, il a un corps comme les autres hommes ; en tant que Rédempteur de notre race, un corps spirituel, ou, comme on dit, mystique, qui n'est autre que la société des chrétiens liés à lui par la foi. Nombreux comme nous sommes, nous faisons un seul corps en Jésus-Christ (Rom. XII, 5). Or, la Vierge n'a pas seulement conçu le Fils de Dieu afin que, recevant d'elle la nature humaine, il devint homme ; mais afin qu'il devint encore, moyennant cette nature reçue d'elle, le Sauveur des hommes. Ce qui explique la parole des anges aux bergers : Un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur (Luc. II, 11).
Aussi, dans le chaste sein de la Vierge, où Jésus a pris une chair mortelle, là même il s'est adjoint un corps spirituel formé de tous ceux qui devaient croire en lui : et l'on peut dire que, tenant Jésus dans son sein, Marie y portait encore tous ceux dont la vie du Sauveur renfermait la vie.
Nous tous donc, qui, unis au Christ, sommes, comme parle l'Apôtre, les membres de son corps issus de sa chair et de ses os (Ephes. V, 30), nous devons nous dire originaires du sein de la Vierge, d'où nous sortîmes un jour à l'instar d'un corps attaché à sa tête.
C'est pour cela que nous sommes appelés, en un sens spirituel, à la vérité, et tout mystique, les fils de Marie, et qu'elle est, de son côté, notre Mère à tous. Mère selon l'esprit, Mère véritable néanmoins des membres de Jésus-Christ, que nous sommes nous-mêmes (S. AUG., L. de S. Virginitate, c. VI). Si donc la bienheureuse Vierge est tout à la fois Mère de Dieu et des hommes, qui peut douter qu'elle ne s'emploie de toutes ses forces, auprès de son Fils, tête du corps de l'Église (Coloss. I, 18), afin qu'il répande sur nous qui sommes ses membres les dons de sa grâce, celui notamment de la connaître et de vivre par lui (I Joan. IV, 9) ?
Mais il n'est pas seulement à la louange de la Vierge qu'elle a fourni la matière de sa chair au Fils unique de Dieu, devant naître avec des membres humains (S. BED. VEN., l. IV, in Luc. XI), et qu'elle a ainsi préparé une victime pour le salut des hommes ; sa mission fut encore de la garder, cette victime, de la nourrir et de la présenter au jour voulu, à l'autel.
Marie, réparatrice de l'humanité déchue, médiatrice et avocate
Aussi, entre Marie et Jésus, perpétuelle société de vie et de souffrance, qui fait qu'on peut leur appliquer à égal titre cette parole du Prophète : Ma vie s'est consumée dans la douleur et mes années dans les gémissements (Ps. XXX, 11).
Et quand vint pour Jésus l'heure suprême, on vit la Vierge debout auprès de la croix, saisie sans doute par l'horreur du spectacle, heureuse pourtant de ce que son Fils s'immolait pour le salut du genre humain, et, d'ailleurs, participant tellement à ses douleurs que de prendre sur elle les tourments qu'il endurait lui eût paru, si la chose eût été possible, infiniment préférable (S. BONAV., I Sent., d. 48, ad Litt., dub. 4).
La conséquence de cette communauté de sentiments et de souffrances entre Marie et Jésus, c'est que Marie mérita très légitimement de devenir la réparatrice de l'humanité déchue (EADMERI MON., De Excellentia Virg. Mariæ, c. IX), et, partant, la dispensatrice de tous les trésors que Jésus nous a acquis par sa mort et par son sang.
Certes, l'on ne peut dire que la dispensation de ces trésors ne soit un droit propre et particulier de Jésus-Christ, car ils sont le fruit exclusif de sa mort, et lui-même est, de par sa nature, le médiateur de Dieu et des hommes.
Toutefois, en raison de cette société de douleurs et d'angoisses, déjà mentionnée, entre la Mère et le Fils a été donné à cette auguste Vierge d'être auprès de son Fils unique la très puissante médiatrice et avocate du monde entier (PIUX IX, in Bull. Ineffabilis).
La source est donc Jésus Christ : de la plénitude de qui nous avons tout reçu (Joan. I, 16) ; par qui tout le corps, lié et rendu compact moyennant les jointures de communication, prend les accroissements propres au corps et s'édifie dans la charité (Ephes. IV, 16). Mais Marie, comme le remarque justement saint Bernard, est l'aqueduc (Serm. de temp., in Nativ. B. V., " De Aquæductu ", n. 4) ; ou, si l'on veut, cette partie médiane qui a pour propre de rattacher le corps à la tête et de transmettre au corps les influences et efficacités de la tête, Nous voulons dire le cou.
Oui, dit saint Bernardin de Sienne, elle est le cou de notre chef, moyennant lequel celui-ci communique à son corps mystique tous les dons spirituels (S. BERNARDIN. SEN., Quadrag. de Evangelio æterno, Serm. X, a. III, c.3). Il s'en faut donc grandement, on le voit, que Nous attribuions à la Mère de Dieu une vertu productrice de la grâce, vertu qui est de Dieu seul.
Marie mérite de congruo ce que Jésus mérite de condigno
Néanmoins, parce que Marie l'emporte sur tous en sainteté et en union avec Jésus-Christ et qu'elle a été associée par Jésus-Christ à l'œuvre de la rédemption, elle nous mérite de congruo, comme disent les théologiens, ce que Jésus-Christ nous a mérité de condigno, et elle est le ministre suprême de la dispensation des grâces. Lui, Jésus, siège à la droite de la majesté divine dans la sublimité des cieux (Hebr. I, 3). Elle, Marie, se tient à la droite de son Fils ; refuge si assuré et secours si fidèle contre tous les dangers, que l'on n'a rien à craindre, à désespérer de rien sous sa conduite, sous ses auspices, sous son patronage, sous son égide (PIUS IX, in Bull. Ineffabilis).
Ces principes posés, et pour revenir à notre dessein, qui ne reconnaîtra que c'est à juste titre que Nous avons affirmé de Marie que, compagne assidue de Jésus, de la maison de Nazareth au plateau du Calvaire, initiée plus que tout autre aux secrets de son cœur, dispensatrice, comme de droit maternel, des trésors de ses mérites, elle est, pour toutes ces causes, d'un secours très certain et très efficace pour arriver à la connaissance et à l'amour de Jésus-Christ ? Ces hommes, hélas ! nous en fournissent dans leur conduite une preuve trop péremptoire qui, séduits par les artifices du démon ou trompés par de fausses