
L’homme tend-il naturellement au mal ?
Dans l’article précédent, nous avons exploré la question de la liberté. Cette réflexion nous a conduits à comprendre que la liberté ne réside pas tant dans la capacité à choisir entre le bien et le mal, mais plutôt entre plusieurs biens.
En effet, nous avons constaté que le choix du mal découle souvent d’un esclavage intérieur. Un esclavage dont nous sommes responsables, car c’est en cédant trop facilement aux tentations que nous nous enfermons dans leur esclavage.
Nous avions illustré cela avec l’exemple de l’alcoolique qui, usant de sa liberté, choisit de boire toujours plus, jusqu’à devenir esclave de l’alcool.
Ainsi, un mauvais usage de notre liberté peut paradoxalement nous conduire à la servitude.
Mais ce n’est pas tout, et c’est précisément ce que nous allons explorer aujourd’hui. Si l’homme succombe si facilement au mal, affirment les philosophes, c’est parce qu’il existe en lui une force mystérieuse qui l’y pousse et contre laquelle il doit lutter tout au long de sa vie.
Les différentes écoles de pensée ont tenté de mettre des mots sur ce phénomène. Celui qui, selon nous, l’a exprimé avec le plus de pertinence et de clarté est saint Paul, pilier du christianisme, mort décapité pour sa foi en l’an 67.
Dans la lettre qu’il adresse à la communauté chrétienne de Rome, il écrit :
« Je constate en moi une loi qui fait que je ne fais pas le bien que je voudrais faire et fais le mal que je ne voudrais pas faire. »
Tout homme devrait connaître cette phrase par cœur tant elle est essentielle pour comprendre la nature humaine. Car comment bien mener sa vie si l’on ignore ce que nous sommes réellement ?
En d’autres termes, saint Paul observe en lui une force intérieure qui l’attire vers le mal, ou du moins qui rend le mal plus facile à accomplir que le bien. C’est précisément ce que les chrétiens expriment lorsqu’ils affirment que tout homme porte en lui le poids du péché originel.
Ainsi, si je ne lutte pas, si je ne combats pas certains de mes désirs ou certaines de mes pulsions naturelles, je finis inévitablement par poser des actes désordonnés qu’au fond de moi, je sais que je ne devrais pas faire.
Faire le bien est plus difficile que faire le mal. Pour faire le bien et poser des actes justes et ordonnés, je dois livrer un combat contre moi-même, contre mes pulsions.
Par exemple, si je ne fais pas l’effort de me maîtriser, je prendrai du dessert plus de fois que de raison. Si je ne garde pas le contrôle sur moi-même, ma colère contre mon fils qui refuse de manger son repas risque de dépasser la mesure. Et si je ne me force pas à surmonter ma peur, je n’oserai pas élever la voix pour défendre cet innocent injustement pris à partie dans la rue.
Bref, il est facile de succomber à la gourmandise, à la colère ou à la lâcheté : il suffit de se laisser aller. En revanche, la tempérance, la maîtrise de soi et le courage exigent un effort, un véritable combat contre soi-même.
À la lumière de ces exemples, la phrase de saint Paul prend tout son sens : « Je constate en moi une loi qui fait que je ne fais pas le bien que je voudrais faire et fais le mal que je ne voudrais pas faire. »
Trop nombreux sont ceux qui, après toute une vie, n’ont jamais réalisé l’existence de ce combat intérieur : un combat pour le bien contre le mal, un combat pour la véritable liberté, celle qui réside au plus profond de nous.
Car en choisissant la voie de la facilité, nous nous enchaînons peu à peu au mal, jusqu’à devenir ses esclaves.
Si je n’apprends pas dès le plus jeune âge à combattre mes tendances naturelles à la gourmandise, à la colère, à la lâcheté, etc., ces mêmes tendances finiront par se figer en vices et feront de moi leur esclave ! Ma liberté s’atrophiera, et je n’aurai plus la force d’accomplir le bien, car celui-ci demande un effort.
Mais cela signifie-t-il que l’homme est intrinsèquement mauvais ? Qu’il est naturellement porté vers le mal ? Après tout, si sa pente naturelle le pousse à y tomber, n’est-ce pas la preuve qu’il est fondamentalement mauvais ?
Eh bien non. L’homme n’est pas mauvais par essence. S’il tend vers le mal, c’est simplement parce qu’il ne naît pas parfait.
Devrait-on dire qu’un homme est, par nature, un enfant sous prétexte qu’il naît immature et inachevé ? Bien sûr que non !
De même qu’un homme ne naît pas adulte mais fragile et sans force, il ne naît pas non plus avec la force de faire le bien. De même qu’un bébé doit être nourri pour grandir et devenir fort, l’homme doit cultiver sa capacité à faire le bien pour la renforcer.
L’homme n’est pas fait pour rester un enfant, mais pour devenir un adulte. De même, il n’est pas destiné à demeurer prisonnier de sa tendance au mal, mais à développer en lui la force de faire le bien. Et plus il l’exercera, plus cela deviendra naturel pour lui.
L’homme n’est donc pas fondamentalement mauvais. Au contraire, il est fait pour le bien. Mais cela ne se fait pas sans effort. Il doit livrer un combat, dur et acharné, contre lui-même pour transformer peu à peu ses tendances au mal (les vices) en tendances au bien (les vertus).
La semaine prochaine, nous approfondirons la notion de vertu et nous tâcherons d’en identifier les principales.