Charles de Foucauld, le libertin débauché devenu ermite missionnaire
Jeune libertin vaniteux et orgueilleux, avide de gloire, de richesses et de plaisirs, Charles de Foucauld fait l’expérience de l’amour de Dieu lors d’une confession en 1886. Radicalement converti à la foi chrétienne, Charles devient religieux, puis ermite en Afrique du Nord. Auprès des populations locales, pour lesquelles il se dépense dans une vie de service, il offre un témoignage lumineux de l’amour du Christ, bien au-delà des mots. La vie, pourtant humble et cachée, de celui qui deviendra « saint » Charles de Foucauld en 2022 a un rayonnement extraordinaire, partout dans le monde, et touche les cœurs au-delà des frontières de l’Église catholique.
Les raisons d'y croire
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Né le 15 septembre 1858 dans une famille militaire très chrétienne, Charles de Foucauld abandonne progressivement la foi à l’adolescence. Son itinéraire de conversion radicale à l’âge adulte atteste que la foi n’est pas simplement une affaire de déterminisme social. Charles de Foucauld remet en cause la foi chrétienne et les valeurs morales qui lui sont associées, jusqu’en leur fondement, au point de vivre leur exact contraire, avant de les (re)choisir librement à la suite d’un itinéraire personnel.
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Adolescent puis jeune adulte, Charles de Foucauld a vécu aussi loin de l’Évangile que l’on peut l’être. Il a goûté à toutes les joies et tous les plaisirs qu’une vie sans Dieu ni maître peut offrir : prostituées, soirées libertines, festins, argent, gloire militaire et professionnelle… Pourtant, la vie libertine proposée par l’athéisme ne semble pas tenir ses promesses de bonheur. Les plus grandes philosophies athées et les plaisirs illimités n’ont pas su combler la soif de vérité et de bonheur de Charles de Foucauld. Seul l’Évangile a pu le faire.
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Après un début de carrière militaire, Charles de Foucauld effectue une exploration au Maroc. Le fait de côtoyer des musulmans profondément croyants éveille Charles à la transcendance. La religion lui semble pouvoir apporter des réponses qu’aucune philosophie ou aucun mode de vie ne peut offrir. Fasciné par la foi des musulmans, Charles envisage de se convertir à l’islam. Pourtant, après avoir lu le Coran et étudié le contenu doctrinal de cette religion, Charles, soutenu par une intuition intérieure, décide que le christianisme lui est préférable.
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De retour à Paris, la fréquentation régulière de catholiques intelligents et pleins de bonté fait sauter tous les préjugés négatifs que le jeune homme nourrissait envers la religion catholique. Attiré par le Dieu des chrétiens, Charles ose cette prière : « Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse ! » Très peu de temps après, Charles reçoit de Dieu des signes de son existence qui dépassent de bien loin ses attentes. Lors d’une confession à l’abbé Huvelin, l’illumination se produit : en son intelligence, Charles est certain que Dieu existe, et, en son cœur, il goûte à quel point le Christ l’aime.
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Charles de Foucauld se convertit radicalement au christianisme, et décide de renoncer à tous ses biens, et de ne plus vivre que pour le Christ, au point de devenir religieux, puis ermite. Ce qu’il a cherché toute sa vie, il l’a trouvé dans le christianisme. Après avoir goûté tous les plaisirs de la vie, jusqu’à l’excès, Charles de Foucauld choisit sciemment d’y renoncer pour un bonheur plus grand. Il trouve dans les vertus chrétiennes, en particulier la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, une libération intérieure et une joie bien plus profonde que dans ses années libertines.
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Devenu chrétien, religieux puis ermite, Charles va progressivement brûler d’un amour de Dieu et du prochain de plus en plus intense et profond, inexplicable autrement que par sa fréquentation toujours plus intime du Dieu en lequel il croit. Seule la grâce de Dieu peut expliquer comment un cœur aussi dur, orgueilleux, égoïste, jouisseur et indiscipliné a pu devenir aussi doux, humble, pur, aimant et obéissant.
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La vie humble et cachée de Charles de Foucauld sera dévoilée progressivement après la mort de ce dernier. Cette vie d’amour à haute température constituera une inspiration pour des millions de chrétiens, mais aussi de non chrétiens. À la suite de miracles obtenus par son intercession, Charles de Foucauld est canonisé le 15 mai 2022 par le pape François.
En savoir plus
Né à Strasbourg le 15 septembre 1858 dans une famille, très chrétienne, de militaires, Charles de Foucauld est orphelin de père et de mère dès l’âge de six ans. Élevé par son grand-père, avec sa sœur Marie, Charles fait sa première communion et il est confirmé le 28 avril 1872. Pourtant, à cette même époque, cet adolescent intelligent, curieux et avide de lectures diverses commence à s’éloigner de la foi.
Après avoir obtenu son baccalauréat en 1874, Charles prépare à Paris le concours d’entrée à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. L’abandon de la pratique religieuse s’accompagne pour ce jeune en crise spirituelle d’une remise en cause de tout repère moral : Charles est ainsi exclu du lycée pour « paresse et indiscipline » en mars 1876. Le jeune homme intègre cependant Saint-Cyr en juin 1876, mais son séjour là-bas sera pour lui « un véritable enfer », selon ses mots. Paradoxalement, c’est alors qu’il se destine à une haute carrière militaire que Charles sombre dans l’anarchie morale. Plongé dans des lectures érotiques, il se donne pour mission de « jouir d’une façon complète de ce qui est agréable au corps et à l’esprit ».
À vingt ans, Charles reçoit le patrimoine de son grand-père, récemment décédé. Tel le fils prodigue, le jeune officier s’emploie à dilapider méthodiquement son héritage dans la débauche. Les fêtes libertines de celui qui est appelé le « Gros Foucauld » tournent à l’orgie. « Je dors longtemps. Je mange beaucoup. Je pense peu », avoue-t-il. Plus tard, il dira de cette période : « J’étais moins un homme qu’un porc. » Et de sa conduite : « Jamais je crois n’avoir été dans un si lamentable état d’esprit […]. J’étais toute vanité, toute impiété, tout désir du mal ; j’étais comme affolé. »
C’est alors que se réveille en lui « l’inquiétude vague d’une conscience mauvaise qui, tout endormie qu’elle est, n’est pas tout à fait morte ». Nous sommes en Algérie, et le cheikh musulman Bou-Amama lance une insurrection. Foucauld ne peut supporter la pensée que ses camarades affronteront le danger sans lui : il obtient de rejoindre le régiment. Cette campagne marque un tournant dans la vie de Charles de Foucauld : non seulement il fait preuve d’un bon comportement militaire, mais il se révèle un excellent chef, soucieux de ses hommes.
En 1886, âgé de vingt-huit ans, Charles est de retour à Paris. Son attitude a changé. Il mène une vie de plus en plus sobre, loin des frasques qui choquaient tant sa famille… avec qui il renoue désormais. Charles ne retrouve plus le plaisir d’antan dans les lectures libertines, qui maintenant le dégoûtent. Le jeune homme s’intéresse désormais à la spiritualité. L’expérience au Maroc a été fondatrice pour Foucauld. Il affirmera en 1901 : « L’islam a produit en moi un profond bouleversement. La vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines. » Charles songe même à se faire musulman ; mais, après examen, il lui semble que la religion de Mahomet ne peut être la véritable, car elle lui semble « trop matérielle ».
Un soir de 1886, Charles rencontre l’abbé Huvelin chez sa tante, Inès Moitessier. Il est touché par la tendresse de cet homme de Dieu, et en particulier par son amour pour les pécheurs. Charles commence à se sentir irrésistiblement attiré par Dieu et se met à fréquenter la paroisse Saint-Augustin, où officie l’abbé Huvelin. Un jour, il fait monter vers Dieu cette demande : « Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse ! » Le 30 octobre 1886, cherchant à discuter avec l’abbé Huvelin, Charles le trouve dans le confessionnal de l’église Saint-Augustin. Entrant dans le confessionnal, Charles se penche vers le prêtre et dit : « Monsieur l’abbé, je n’ai pas la foi ; je viens vous demander de m’instruire. » Le prêtre le dévisage… « Mettez-vous à genoux, confessez-vous à Dieu : vous croirez. — Mais, je ne suis pas venu pour cela… », rétorque le jeune homme. « Confessez-vous ! », demande alors le prêtre avec autorité. L’ancien militaire rend alors les armes : s’agenouillant, il confesse toute sa vie. Alors, l’illumination survient. « En me faisant entrer dans le confessionnal de l’abbé Huvelin, vous m’avez donné tous les biens, mon Dieu : s’il y a de la joie dans le Ciel à la vue d’un pécheur se convertissant, il y en a eu quand je suis entré dans ce confessionnal ! Quel jour béni ! » Après avoir reçu de l’abbé le pardon de ses péchés, Charles se voit demander : « Vous êtes à jeun ? » « Oui », répond le jeune homme – « Allez communier ! », ordonne alors à nouveau le prêtre. Ce sera pour Charles comme une « seconde première communion »… Il est inondé de bonheur.
Alors, en 1888, Charles abandonne tout. Cet homme débauché, égoïste, indiscipliné, renonce à tous les plaisirs dont il avait goûté, pour ne plus vivre que pour le Christ. Le jeune homme prend la décision d’entrer à la Trappe de Notre-Dame-des-Neiges « où je trouverais la plus exacte imitation de Jésus ». Un pèlerinage en Terre sainte lui révèle sa vocation : suivre Jésus dans sa vie de Nazareth. Il passe ensuite sept années à la Trappe, d’abord à Notre-Dame-des-Neiges, puis à Akbès, en Syrie. Petit à petit, il se sent appelé à une plus grande radicalité dans la pauvreté et l’abaissement. Ordonné prêtre à quarante-trois ans, Charles part au Sahara, d’abord à Beni-Abbès, puis à Tamanrasset, parmi les Touaregs du Hoggar. « Vivant du travail de mes mains, inconnu de tous et pauvre et jouissant profondément de l’obscurité, du silence, de la pauvreté, de l’imitation de Jésus. L’imitation est inséparable de l’amour. Quiconque aime veut imiter, c’est le secret de ma vie. Prêtre depuis le mois de juin dernier, je me suis senti appelé aussitôt à aller aux brebis perdues, aux âmes les plus abandonnées, afin d’accomplir envers elles le devoir de l’amour. Je suis heureux, très heureux, bien que je ne cherche en rien le bonheur. »
Les journées de Charles de Foucauld, à Beni Abbès comme à Tamanrasset, sont consacrées à Dieu et à tout homme, avec une disponibilité et un service constant auprès de tous ceux qui l’entourent, qu’il considère avec une infinie bonté. Son but est d’ouvrir progressivement le cœur des musulmans en les mettant en contact avec la civilisation chrétienne et avec un prêtre, rayonnant du Christ, afin de préparer le terrain à une évangélisation future. Charles exerce auprès des musulmans une charité généreuse et désintéressée, même s’il n’hésite pas à leur parler du Christ et à initier à la religion chrétienne ceux qui y aspirent, lorsque cela est opportun.
Petit à petit, cependant Foucauld abandonne à Dieu ses désirs les plus chers de fondation d’ordre religieux, de conversions de musulmans, et s’offre comme un pauvre à Dieu. Charles comprend que cet abandon complet de lui-même, dans l’offrande de sa vie à Dieu, est pour lui le seul moyen de porter du fruit pour le peuple auquel il est envoyé. À l’image du « grain de blé » qui tombe en terre dans l’Évangile, et meurt, pour ensuite porter du fruit, Charles pressent que sa vie cachée aura une fécondité après sa mort.
Le 1er décembre 1916, Charles de Foucauld meurt assassiné. « Celui qui a la garde du Père lui tire à bout portant une balle dans la tête. Le père Charles de Foucauld glisse lentement le long du mur et s’effondre : il est mort… victime de son zèle d’amour pour ces peuples dans lesquels la lumière de la foi n’avait jamais brillé. » Peu avant sa mort, il avait écrit : « Supportons toutes les insultes, les coups, les blessures, la mort, en priant pour ceux qui nous haïssent… à l’exemple de Jésus, sans autre motif ni autre utilité que de déclarer à Jésus que nous l’aimons. »
Thomas Belleil, auteur de livres de spiritualité, diplômé en sciences religieuses à l’École Pratique des Hautes Études et en théologie au Collège des Bernardins.
Au delà
Au début des années 1880, après une première carrière militaire chaotique, Charles de Foucauld se lance dans une exploration audacieuse du Maroc, alors fermé aux Européens. Déguisé en juif pour passer inaperçu, il parcourt pendant près d’un an des régions difficiles d’accès, recueillant avec une rigueur remarquable des informations géographiques, topographiques et ethnographiques. Son voyage, mené au péril de sa vie, révèle un sens aigu de l’observation et une endurance qui contrastent avec sa vie dissipée des années précédentes. L’ouvrage qui en résulte, Reconnaissance au Maroc, est salué comme une contribution scientifique majeure ; il vaut à Foucauld la médaille d’or de la Société de Géographie et lui ouvre une renommée inattendue.
Aller plus loin
Dominique Casajus, « Charles de Foucauld, moine et savant », Paris, CNRS, 22 octobre 2009, 165 pages.
En complément
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The spiritual autobiography of Charles de Foucauld (English translation of his own writings), P. J. Kenedy & Sons, 1964.
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Charles de Foucauld, Écrits spirituels, Les Éditions Blanche de Peuterey, 2020.
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Charles de Foucauld, Lettres à Henry de Castries, Grasset, 1938, 224 pages.
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Pierre Sourisseau, Charles de Foucauld, 1858-1916, Salvator, 2016.