Notre-Dame du Signe et son icône miraculeuse
Durant l’hiver 1169-1170, les habitants de la ville de Novgorod, république indépendante de la Rus de Kiev, sont assiégés par le prince André Bogoloubski (Andreï Iourevitch), fils du grand-prince de Kiev Iouri Dolgorouki, alors décédé. Les habitants de la cité, en procession dans la ville, supplient la Mère de Dieu, dont ils vénèrent l’image sous la forme de l’icône de Notre-Dame du Signe, de les protéger de l’assaillant. Ils sont exaucés.
Les raisons d'y croire
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En cas de péril grave et imminent, la coutume, tant en Orient qu’en Occident, est d’invoquer l’aide divine au moyen de supplications litaniques et de processions. Cette démarche pénitentielle engage toute la cité sous la conduite de l’évêque. À Novgorod, celui-ci marche avec l’icône de Notre-Dame du Signe. La Première chronique de Novgorod évoque une telle procession ainsi que la prière de l’archevêque à laquelle répond l’intercession de la Mère de Dieu qui obtient de son divin Fils, en raison des mérites de sa Passion et de sa mort, la protection miraculeuse de la ville.
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Le siège de Novgorod est précédé d’une bataille qui oppose des troupes d’importance très inégale : la Première chronique de Novgorod évoque quatre cents hommes de Novgorod contre sept mille soldats du prince André. Or, les Novgorodiens ont tout de même le dessus. La Vierge Marie a protégé la ville.
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Cette protection se confirme quelques mois plus tard, lorsque le prince André envoie son fils Mstislav Andreïevitch avec une armée plus grande encore issue de plusieurs principautés de la Rus. En dépit de la puissance combinée de cette coalition, l’assaut échoue à nouveau devant Novgorod. Pour les habitants, il ne fait aucun doute que la même aide venue du Ciel continue d’assurer la défense de leur cité.
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Avant ces combats, les habitants avaient prêté serment devant l’icône de Notre-Dame du Signe de défendre leur cité contre quiconque chercherait à la leur ravir. Ce serment, prononcé publiquement et en présence de l’icône, montre la place que cette image occupait dans la vie religieuse et civique de Novgorod, et la manière dont la population associait sa fidélité à la ville à sa fidélité à la Mère de Dieu.
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Fidèles à la tradition antique de prier en marchant à la suite d’une représentation du Christ ou de la Vierge Marie portée en procession, les habitants de Novgorod chemineront encore de nombreuses fois au cours de leur histoire derrière l’icône Notre-Dame du Signe. Par cette pratique, ils cherchent à exprimer leur reconnaissance envers Dieu et sa sainte Mère, pour l’aide et la protection qu’ils n’ont cessé de recevoir d’eux.
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La fidélité persévérante de la ville à marcher derrière l’icône de Notre-Dame du Signe, siècle après siècle, n’est pas un simple attachement culturel. Elle provient d’événements vécus, où la communauté a perçu la présence agissante de Dieu. Une tradition aussi tenace suppose une expérience fondatrice suffisamment forte pour marquer la mémoire entière d’un peuple.
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Cette habitude est reprise par les Moscovites après la prise de Novgorod par Ivan III en 1478. Fait remarquable : ceux‑là mêmes qui avaient combattu la ville adoptent à leur tour cette tradition, marchant derrière la même icône et priant la même Mère de Dieu. Ainsi, au-delà des appartenances politiques ou des rivalités princières, tous se rejoignent dans une même dévotion, ce qui laisse entrevoir une réalité spirituelle partagée et la reconnaissance implicite de l’aide reçue.
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L’importance durable de cette icône dans la spiritualité russe, jusqu’à des gestes contemporains comme son envoi dans l’espace le 30 septembre 2009 à bord du Soyouz TMA-16, montre que non seulement l’Église orthodoxe, mais encore toute la nation, reconnaissent dans cette image le signe d’une protection particulière. Un culte qui traverse autant de siècles témoigne de la profondeur d’un événement qui, dès l’origine, a été compris comme un secours donné par Dieu.
En savoir plus
Le berceau des États contemporains que nous connaissons – Biélorussie, Ukraine et Fédération de Russie – trouve sa source dans une principauté slave orientale fondée au milieu du IXe siècle : la Rus de Kiev. Au XIIe siècle, en raison du système successoral, les membres de la famille royale la divisent en principautés, qui deviennent peu à peu antagonistes. En particulier, la ville de Novgorod prospère plus que les principautés voisines parce qu’elle contrôle les routes commerciales du fleuve Volga à la mer Baltique. En 1136, profitant de l’état d’anarchie dans lequel se trouve la Rus, les Novgorodiens décident qu’ils choisiront désormais leur prince et que les boyards et une assemblée populaire, la Vétché, limiteront son pouvoir. En 1156, Novgorod devient un archevêché, signe de son importance accrue et de son indépendance politique nouvelle. À l’archevêque, élu par la Vétché, sont alors remis le pouvoir et les possessions qui appartenaient jusqu’alors au prince de Kiev. On peut lire dans la Première chronique de Novgorod, pour l’année 1196 : « Tous les princes accordèrent sa liberté à Novgorod : là où ils veulent, là ils prennent leur prince » (op. cit., p. 39). De fait, entre 1136 et 1199, trente-trois princes se succéderont à Novgorod.
Dans le nord-est de la Rus, la principauté de Vladimir-Souzdal est fondée au milieu du XIIe siècle. André Bogolioubovski, devenu prince de Vladimir-Souzdal, tente d’unifier les terres russes sous son autorité. Il assiège Kiev et la prend en mars 1169. Puis il en laisse l’administration à l’un de ses frères, transférant la capitale de la Rus à la ville de Vladimir. Ainsi s’achève la suprématie de la Rus de Kiev. André s’attaque ensuite à la république de Novgorod.
Car André veut s’assujettir Novgorod depuis plusieurs années : il avait déjà essayé de se faire des alliés dans la république en introduisant parmi l’élite gouvernante de la cité des notables qui, à l’origine, n’étaient pas boyards, mais ces derniers étaient trop peu nombreux et la machination n’avait pas abouti. La majorité des citoyens s’oppose à André et chasse en 1167 le gouverneur qu’il avait installé dans la ville, Sviatoslav IV Rostislavitch, puis les habitants prêtent serment, devant l’icône de Notre-Dame du Signe, de défendre toujours leur cité contre celui qui voudrait la leur ravir. Mstislav II Chobry envoie alors son fils, Roman Mstislavitch, qui règne sur Novgorod à partir d’avril 1168.
La Première chronique de Novgorod rapporte qu’une première bataille a lieu entre les Novgorodiens et les forces du prince André en 1169, pendant laquelle, malgré la supériorité numérique des troupes d’André – dix-sept Souzdaliens pour un Novgorodien –, le prince de Souzdal essuie des pertes cuisantes et doit se retirer. Puis, l’hiver arrivé – soit fin 1169 et début 1170 –, a lieu la bataille mémorable où la Mère de Dieu protège les assiégés : « La même année, en hiver, les hommes de Souzdal avec Andreïevitch [le fils du prince André], Roman et Mstislav avec les hommes de Smolensk, de Toropets, de Mourom et de Riazan avec deux knyazes [princes], le knyaz de Polotsk avec les hommes de Polotsk, et toute la Russie proprement dite, s’approchèrent de Novgorod. Et les hommes de Novgorod restèrent fidèles au knyaz Roman Mstislavitch, petit-fils d’Izyaslav... et construisirent une défense autour de la ville. Ils se rendirent à la ville un dimanche pour négocier, et discutèrent pendant trois jours ; le quatrième jour, un mercredi, ils arrivèrent en force et combattirent toute la journée. Et vers le soir, le prince Roman et les hommes de Novgorod les vainquirent, par la puissance de la Croix et de la sainte Mère de Dieu et par les prières du fidèle Vladyka Ilya [l’archevêque de Novgorod], le 25 février, jour du saint évêque Tarasi. Certains furent tués, d’autres capturés, et les autres s’échappèrent difficilement, et ils achetèrent des hommes de Souzdal à deux nogatas [soit alors 5 grammes d’argent]. » La chronique ajoute qu’il y a alors pénurie de denrées dans la ville, et qu’un pain se monnaie aussi deux nogatas : c’est dire le nombre de prisonniers !
La faim oblige finalement les Novgorodiens à négocier avec André. Ils renvoient Roman Mstislavitch, qui gouvernait alors Novgorod, puis adressent des émissaires à André pour demander la paix, mais aussi la garantie d’une liberté totale. André accepte et donne la ville à un autre de ses cousins, Rurik II, qui en prend possession le 4 octobre 1170.
La même année, en remerciement à la Vierge Marie, l’archevêque Jean (Ilya) et son frère fondent un monastère et son église dédiée à la sainte Mère de Dieu dans le mystère de son Annonciation. L’église sera bâtie en pierres en 1179, en soixante-dix jours.
Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.
Au delà
L’icône, qui se trouvait en 1170 dans l’église de la Transfiguration-du-Sauveur-sur-Iline, est déplacée solennellement en 1354 dans l’église voisine Notre-Dame-du-Signe, qui a succédé à celle de l’Annonciation – le « Signe » désigne ici le mystère de l’Annonciation – construite par l’archevêque Jean en 1189. Détruite par un incendie, cette dernière est remplacée par un édifice plus vaste et plus remarquable, construit en 1682, et qui porte le nom de cathédrale Notre-Dame-du-Signe. Incendiée de nouveau en 1696, elle est reconstruite. Cela se reproduit en 1745. Utilisée comme caserne durant la Seconde Guerre mondiale par les Allemands, la cathédrale est abîmée, et les icônes présentes sont perdues. La cathédrale subit des restaurations successives depuis 1950.
L’icône miraculeuse, enfermée dans un musée après la révolution d’octobre 1917, est évacuée durant la Seconde Guerre mondiale pour être protégée. Elle regagne le patrimoine de l’Église orthodoxe russe en août 1991. On peut aujourd’hui la vénérer à la cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod, première cathédrale de la ville, construite dans la forteresse par Vladimir, prince de Novgorod de 1036 à sa mort en 1052.
Aller plus loin
Première chronique de Novgorod. Une traduction anglaise existe sous le titre : The Chronicle of Novgorod (1016-1471), translated by R. Mitchell and N. Forbes... with an account of the texte by A. Shakhmatov, London, Offices of the Society, 1914, Camden third series, vol. XXV. L’échec des troupes d’André devant Novgorod en 1170 est rapporté p. 26-27, à la date de 1169, car le siège a commencé au terme de cette année-là.
En complément
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Le site Internet Orthodox christianity , édité en russe, mais qui propose une version anglaise, rend compte dans une brève du 3 novembre 2010 du pèlerinage intersidéral de l’icône de Notre-Dame du Signe.
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Chronique de Nestor ou Chronique des temps passés (manuscrit dit de Königsberg), traduction de Louis Paris, vol. 2, Paris, Heideloff et Campé, 1835, 212 pages. Le siège de Novgorod, en 1170, qui se solda par un échec, est rapporté p. 116-117. Il n’y est pas fait état de l’intervention miraculeuse de Notre Dame du Signe. Le point de vue kiévien du rédacteur peut en expliquer l’omission. Disponible à la lecture en ligne .
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Maureen Perrie (dir.), The Cambridge History of Russia, vol. 1 : From Early Rus’ to 1689, Cambridge university Press, 2006, 800 pages.
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Simon Franklin et Jonathan Shepard, The Emergence of Rus 750-1200, Londres / New York, Longman, 1996, 450 pages.
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Pierre Gonneau, Novgorod, Paris, CNRS éditions, 2021, 246 pages.
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Philippe Frison et Olga Sevastyanova (dir.), Novgorod ou la Russie oubliée, Les Essarts-le-Roi, éditions Le ver à soie, 2015, 462 pages.