Saint Arsène de Cappadoce
Saint Arsène de Cappadoce, né en 1840, également connu sous le nom de Hadji-Efendi, compte parmi ces saints grecs-orthodoxes modernes qui sont tombés un temps dans l’oubli. Très estimé et vénéré de son vivant pour ses qualités pastorales et thaumaturgiques, il jouissait d’une grande considération, non seulement parmi la communauté grecque-orthodoxe, mais aussi auprès de son voisinage turco-musulman. La fin de sa vie fut marquée par les déportations massives des populations grecques d’Asie Mineure, consécutives à la guerre gréco-turque (1919-1922). Contraint de quitter son village natal de Farassa, en Cappadoce, avec ses paroissiens, le père Arsène mourut en chemin, sur l’île de Corfou, le 10 novembre 1924, épuisé par l’exil.
Les raisons d'y croire
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La vie, les miracles et les enseignements de saint Arsène de Cappadoce sont principalement connus grâce aux témoignages de ses contemporains, habitants comme lui du village de Farassa, en Cappadoce, alors sous domination ottomane. Saint Païssios l’Athonite (1924 – 1994) – qui avait lui-même reçu le baptême des mains du père Arsène – entreprit de rassembler méthodiquement ces témoignages en recoupant les récits et en vérifiant leur authenticité. Il réunit l’ensemble de ce matériel dans un ouvrage intitulé Saint Arsène de Cappadoce, publié en 1975, soit cinquante ans après la mort du saint.
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Saint Arsène est connu pour les guérisons qu’il accomplissait, souvent en récitant simplement une prière ou en donnant un peu d’eau bénite : des malades retrouvaient la santé, des possédés étaient délivrés ou des événements inexplicables se produisaient pour protéger ou consoler les fidèles. Ces signes rappellent les paroles du Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes encore » ( Jean 14,12 ).
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Il est rapporté que « les miracles du père Arsène étaient devenus si naturels qu’il n’y avait plus d’autre médecin à Farassa ». Les guérisons obtenues par saint Arsène étaient en effet nombreuses, au point que, dans une perspective rationnelle, leur fréquence semble difficilement explicable par le seul hasard ou par une supercherie. Ces miracles ne visent pas à glorifier l’homme Arsène, mais manifestent la puissance du Christ vivant et agissant à travers ses saints.
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Ces dons suscitent de l’admiration et de l’empressement, mais saint Arsène refuse les louanges humaines et les avantages qu’elles pourraient lui apporter. Il préfère adopter l’attitude du « fou pour le Christ » – celui qui accepte d’être méprisé ou incompris par les hommes plutôt que glorifié, afin de vivre humblement et de rester fidèle à l’Évangile.
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L’humilité et l’effacement dont il fait preuve sont constants et profondément sincères – en témoigne, par exemple, son refus d’être nommé évêque. Une telle attitude, si contraire aux penchants ordinaires de la nature humaine, peut être comprise comme le signe d’une authentique union au Christ, dans la mesure où elle reflète et prolonge les dispositions mêmes de Jésus.
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Durant les persécutions ottomanes, saint Arsène ne cesse d’aider les musulmans autant que les chrétiens. Il accueille tous ceux qui viennent, sans distinction. Se manifeste, là aussi, un trait du Christ : la charité universelle.
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De nombreux témoins ont rapporté que saint Arsène connaissait à l’avance des événements ou des détails imprévisibles ; il prédit notamment, bien avant 1922, la « Grande Catastrophe » – massacres à la fin de la guerre gréco-turque et la déportation des Grecs chrétiens : « Quand le loup entrera dans la bergerie, vous partirez pour la Grèce. » Ces dons spirituels rappellent ceux des prophètes bibliques et des saints du Nouveau Testament.
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Les anciens de Farassa, installés en Grèce du Nord, demandèrent dans les années 1950 à récupérer les restes de leur saint pasteur. Ses reliques furent retrouvées en février 1958 à Corfou. Lors de l’exhumation, les témoins furent frappés de constater que le corps de saint Arsène était resté intact, malgré plus de trente ans passés dans la terre. Son visage paraissait paisible, comme s’il dormait, et il s’en dégageait étonnamment une odeur agréable.
En savoir plus
Saint Arsène naît dans le village de Farassa, en Cappadoce (Asie Mineure), vers 1840. Il est baptisé sous le nom de Théodore. Ses parents sont Éleuthère et Barbara. Avant l’exode des Grecs de Turquie (dû à l’échange forcé des populations gréco-turques, fondé sur la religion, décidé après la guerre et officialisé par le traité de Lausanne, en 1923), Farassa et plusieurs autres villages des environs constituaient une petite enclave grecque au sein de l’Empire ottoman. Très jeune, Théodore devient orphelin et vit avec son frère sous la tutelle de sa tante. Il fait ses études au séminaire de Smyrne (aujourd’hui Izmir, en Turquie).
À l’âge de vingt-six ans, il prononce ses vœux monastiques au monastère Saint-Jean-Baptiste de Zinci-Dere, en Césarée (Turquie) et se nomme désormais Arsène. Là, il est ordonné diacre et envoyé par le métropolite Païssios II dans sa ville natale de Farassa pour s’occuper de l’enseignement primaire. En 1870, Arsène est ordonné hiéromoine (titre réservé à un prêtre qui est moine) et élevé au rang d’archimandrite (titre de « grand pasteur », en grec, c’est la dernière étape avant de devenir évêque).
Il effectue cinq pèlerinages en Terre sainte : il a l’habitude de faire son pèlerinage tous les dix ans, ce qui lui vaut le surnom de Hadji-Effendi par les Turcs (ce qui peut se traduire par « le maître pèlerin »). Son ministère pastoral à Farassa dure cinquante-cinq ans. Il instruit et renforce la foi des habitants de l’enclave grecque, constamment menacée de destruction.
Saint Arsène demeure moine dans un milieu séculier en menant une vie ascétique. Il reçoit du Seigneur les dons de discernement et de guérison. Grâce à ses prières, des sourds, des aveugles, des paralysés et des possédés sont guéris.
Non seulement les Grecs, mais aussi les Turcs, considèrent Arsène de Cappadoce comme un saint, car il accomplit des miracles et aide les malades, même musulmans. Puisqu’il n’y a pas de médecin à Farassa, tout le monde se tourne vers Arsène. Il juge que l’admiration qu’on lui porte est excessive, ce qui le pousse à se comporter comme un fol en Christ afin d’éviter les tentations d’orgueil.
Les patriarches de Constantinople et de Jérusalem voulurent faire d’Arsène un évêque, mais il refusa à chaque fois. Il pressentait les épreuves, les guerres et l’exode à venir de sa terre natale. En 1924, lors de la réinstallation des Grecs d’Asie Mineure, il accompagne ses fidèles, et il est rappelé à Dieu quarante jours après son arrivée en Grèce, sur l’île de Corfou.
De son vivant, saint Arsène était entouré de vénération, mais, après son départ pour la Grèce, à cause de la dispersion des personnes qui l’avaient connu, il tombe temporairement dans l’oubli. Grâce aux efforts de Païssios l’Athonite (que saint Arsène avait baptisé en 1924 de son propre nom, Arsène) les reliques du saint sont découvertes en octobre 1958 et sont longtemps conservées à Konitsa, où vivent encore des Grecs arrivés de Farassa. En 1970, le père Païssios transfère les reliques au monastère féminin Saint-Jean-le-Théologien, à Souroti (près de Thessalonique), où elles sont conservées, encore aujourd’hui, dans un coffre ordinaire près de l’autel. Il devient une figure très vénérée parmi les réfugiés d’Asie Mineure.
Sur la base des témoignages, des nombreux miracles posthumes et de la vénération populaire persistante, l’Église orthodoxe de Grèce a officiellement canonisé saint Arsène de Cappadoce en 1986.
Yustina Panina, théologienne orthodoxe.
Aller plus loin
Le Synaxaire : vies des saints de l’Église Orthodoxe, Éditions To Perivoli Tis Panaghias, 1987.
En complément
Catherine Jolivet-Lévy, « Chrétiens en Cappadoce turque », dans La Cappadoce : Mémoire de Byzance, CNRS Éditions, coll. « Le Monde byzantin », 22 mai 2013.