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Les moines
Constantinople
Nº 771
Vers 880 – vers 936

Saint André, le fol-en-Christ

Esclave d’origine scythe ayant vécu à la charnière des IXe et Xe siècles à Constantinople, André est au service d’un dignitaire de la cour impériale. Après que son maître lui a rendu la liberté, il vit habillé de paille et boit l’eau des flaques de la rue, appliquant à la lettre la parole de saint Paul : « Nous sommes fous à cause du Christ. » Il renonce à la logique du monde – honneurs, confort, réputation – pour le Christ, ce qui lui vaut de supporter les vexations brutales et les jeux cruels des passants, jusqu’au jour de sa mort. Tous, par les miracles qui entourent et suivent son décès, découvrent la sainteté de celui dont le récit de la Vie rapporte le voyage au paradis et la rencontre avec Dieu.


Les raisons d'y croire

  • La Vie d’André de Constantinople, dit « le fou », est connue par plus de cent manuscrits en langue grecque. Le plus ancien remonte à une période comprise entre le milieu du Xe et le début du XIe siècle. Le texte a été étudié avec soin et publié en 1995 par un chercheur de l’université de la ville d’Upsal (Uppsala), en Suède.

  • André prie sans cesse – oralement, selon l’habitude orientale, vulgarisée en Occident par le Récit d’un pèlerin russe. La prière ainsi ne quitte jamais ses lèvres, non seulement de jour, mais aussi quand tous dorment. Il lui arrive alors d’être élevé de terre et son esprit est ravi en extase. En effet, André est connu pour avoir eu de nombreuses visions spirituelles de combats entre anges et démons, du paradis, etc. Ces expériences, à la différence d’hallucinations, ont été partagées publiquement et confirmées par des signes, laissant même une empreinte liturgique durable dans l’Église orthodoxe.

  • C’est le cas du miracle du Pokrov : en 911, au cours d’une vigile nocturne dans l’église des Blachernes, à Constantinople, André, en prière avec son disciple Épiphane, voit la Vierge Marie apparaître dans la coupole de l’église, entourée d’anges, de saints et de prophètes. Elle étend son voile (pokrov) au-dessus des fidèles réunis dans l’église, en signe de protection, priant son Fils pour qu’il épargne la ville, qui est alors menacée par les Sarrasins. Constantinople est sauvée sans effusion de sang. L’événement est interprété comme une intervention directe de la Mère de Dieu pour protéger son peuple, et il est fêté le 1er octobre en Orient.

  • Une autre fois, son biographe atteste que, transporté hors de son corps et délivré de la lourdeur de la chair, André se voit revêtu d’une tunique lumineuse et couronné comme l’empereur : cette vision exprime sa nouvelle condition d’habitant du Ciel. Ramené dans le jardin, un homme lumineux bénit André avec une croix qu’il tient à la main en lui disant : « Bienheureux êtes-vous les fous, car vous possédez une grande sagesse. Que la crucifixion de Notre Seigneur Jésus-Christ soit avec toi. » Puis cet homme le renvoie, avec pour mission de renverser le Prince de ce monde, en assumant volontairement la dérision et la persécution des hommes.

  • Il erre dans les rues, sans logis, et distribue aux pauvres les aumônes qu’il reçoit. Passant un jour devant des marchandises de luxe étalées au marché, il s’écrie selon son goût habituel du paradoxe : « Paille et ordure ! » Sa vie étonne par sa singulière bizarrerie : s’offrir à la plus complète déréliction est pour lui une source de délices. Mais la folie que s’attribue André a pour but de convaincre ceux qui en sont témoins, par son paradoxe même, de la folie réelle des propres actes de ces derniers. Seule la vie menée pour Dieu a du sens. L’homme qui agit pour son seul intérêt se ment à lui-même et ses actions le desservent : c’est là son erreur foncière. C’est pourquoi, lorsqu’André s’adresse aux hommes, c’est toujours par l’apostrophe « fous » ou « insensés ».

  • Malgré son comportement qui, en apparence, paraît celui d’un fou, André perçoit les secrets des cœurs, lit dans les consciences, avertit des dangers à venir, et console par des paroles qui dépassent une sagesse qui serait simplement humaine. Il parvient à distinguer l’état spirituel de chacun : les hommes vertueux lui apparaissent couronnés de lin fin, tandis que les pécheurs portent des bêtes de petite taille, immondes, suspendues à leurs vêtements. André ne se lasse pas de reprendre les pécheurs, soit par des avertissements, soit par des prophéties sur leurs châtiments à venir, lesquelles ne manquent jamais de se réaliser sous peu. Il fait ainsi preuve d’une forme de connaissance surnaturelle. Ses dons de clairvoyance et de prophétie sont des signes qui suscitent la confiance dans la véracité de ce qu’il affirme par ailleurs.


En savoir plus

André est d’origine scythe. Esclave, il vit à Constantinople, au service d’un dignitaire de la garde impériale. Doux, intelligent, aux traits harmonieux : tous s’étonnent de ce contraste avec sa condition de naissance. Instruit dans les lettres sacrées et profanes, il y fait de rapides progrès qui provoquent l’admiration de son entourage et rendent son savoir célèbre dans l’entourage de son maître. Une nuit, alors qu’il se tient en prière, il voit avec effroi une armée d’Éthiopiens prête à affronter une troupe d’hommes justes. Invité à engager un combat singulier contre le champion des barbares, André l’étend à terre. En récompense, il reçoit d’un ange trois couronnes, alors que le Christ, apparaissant sous l’aspect d’un jeune homme, lui dit : « Mène, nu, ce bon combat, et fais-toi fou pour moi, afin d’être digne du royaume des Cieux ! » Dès le lever du jour, obéissant à cet ordre divin, André entame sa carrière de fou pour le Christ : il taille sa tunique avec un glaive et se met à pousser des cris qui effrayent toute la maisonnée. Son maître, le croyant possédé, le fait enchaîner et garder dans l’église Sainte-Anastasie. André, confirmé dans cette voie par l’apparition de la sainte patronne titulaire de l’église, y passe les jours à contrefaire la folie par toutes sortes d’excentricités, et les nuits en prière.

Un soir, tard, il est assailli par une troupe de démons. Dès qu’il appelle à son aide saint Jean le Théologien – titre que les Orientaux donnent à saint Jean l’Évangéliste –, ce dernier apparaît et disperse les démons au moyen de la chaîne qui entrave André, puis lui promet son assistance dans la suite de ses combats. Lors d’une autre vision nocturne, il est invité à servir un roi dans son palais et reçoit de la neige à manger, qui se transforme en un parfum céleste. Puis on lui offre des fruits amers, symboles de la voie étroite qu’il est appelé à suivre, lesquels cèdent bientôt la place à des mets exquis et, lorsqu’il les goûte, lui procurent une divine extase. Ces images symbolisent les pénitences corporelles et morales qui, acceptées pour se renoncer à lui-même, l’unissent à Dieu.

Libéré après quatre mois de détention dans l’église, André commence à se comporter en public à l’imitation de saint Siméon d’Émèse, appelé « le fol ». Cependant, Siméon se servait de la folie, sous forme d’ironie ou de dérision, pour condamner les pécheurs et les vaines valeurs de ce monde. André, lui, par ses facéties, s’offre plutôt au mépris et aux mauvais traitements, à l’imitation du Christ, pour manifester qu’en la « folie de la Croix » se trouve au contraire la sagesse suprême.

Au cours d’une grande peste qui s’est abattue sur la capitale, malgré les moqueries des badauds, il passe dans les rues et sur les places en pleurant ; il intercède pour la ville, demandant à Dieu le pardon des péchés du peuple. Comme il se tient en prière, il est transporté à Anaplos, en Thrace, où il voit saint Daniel le Stylite, qui l’invite à unir leurs prières pour le salut de la cité. Il voit alors un feu descendre du ciel et chasser le démon, auteur de cette épidémie.

André fait la connaissance d’Épiphane, un jeune homme noble de dix-huit ans, chaste et doux, qui devient son protecteur en même temps que son fils spirituel. À lui seul, il s’adresse de manière sensée. Il veille particulièrement à son éducation spirituelle, l’instruisant avec science dans la lutte contre les démons. Il le laisse parfois être tenté par eux, pour acquérir la patience et devenir, sous le feu des épreuves, un digne disciple du Christ.

Épiphane accueille un jour André dans sa demeure. André ne refuse pas, mais il se comporte de telle sorte qu’il ne peut bientôt plus y rester : sous forme de paraboles, il dénonce d’abord les péchés des serviteurs de la maison, s’adressant à chacun – ces derniers sont de diverses nationalités – dans sa propre langue. Puis il refuse le lit qu’Épiphane lui propose et passe ses nuits dehors, sur le fumier. Aussi ne tarde-t-il pas à reprendre sa vie errante dans les rues, s’offrant aux jeux cruels des garnements et aux coups des passants.

Il enseigne à son fils spirituel les mystères de la création, le monde spirituel, et surtout lui révèle ce qui doit arriver à la fin des temps, lorsque, à l’issue de terribles épreuves, invasions et catastrophes naturelles, tous croiront à l’Antéchrist, qui y régnera comme seul souverain sur terre et persécutera les chrétiens. Le Christ apparaîtra ensuite pour mener le grand combat contre l’Antéchrist. Après sa victoire, il l’amènera, lui et ses démons, devant le Tribunal de Dieu, pendant qu’une trompette retentira, annonçant la résurrection des morts. Après le Jugement dernier, l’univers entier sera alors renouvelé : des cieux nouveaux et une terre nouvelle apparaîtront, pour être conformes aux corps incorruptibles des hommes ressuscités. Tout sera alors éternel, et un parfum indicible remplira l’univers illuminé par une lumière sans soir.

Une autre fois, comme André lit à son disciple un texte de saint Basile, un parfum céleste se répand autour d’eux. Comme Épiphane l’interroge, André répond que cette bonne odeur est emportée du Trône de Dieu par les anges, pour qu’ils encensent et honorent les hommes en trois occasions : quand ces derniers prient avec confiance, lorsqu’ils lisent avec attention les livres saints, enfin quand ils souffrent avec patience par amour de Dieu.

André enseigne à Épiphane à agir toujours avec charité. Peu avant de mourir, il lui promet donc de toujours l’assister invisiblement, pourvu qu’Épiphane montre sa sollicitude envers les pauvres, les veuves, les orphelins et tous ceux qui sont dans l’épreuve.

Lorsque André sent sa mort prochaine, il se rend à l’hippodrome, sous le portique où avaient coutume de se tenir les prostituées, et y prie toute la nuit pour le monde entier. Une fois sa prière achevée, le bienheureux s’étend à terre et, regardant en souriant les saints qui sont apparus en grand nombre pour l’assister, il remet son âme à Dieu, à l’issue de soixante-six années de combats ascétiques cachés sous le voile de la folie. Une forte odeur d’encens qui remplit alors l’atmosphère fait venir une pauvre femme qui habitait à proximité. Elle découvre le corps. Mais lorsque la foule, avertie, arrive à son tour, la dépouille a disparu.

Cette nuit-là, Épiphane voit l’âme de son père spirituel, sept fois plus lumineuse que le soleil, enlevée au Ciel en présence d’une myriade d’Anges.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Aller plus loin

L. Ryden, The Life of St Andrew the Fool, Text, Translation and Notes, Uppsala, Acta Universitatis Upsaliensis, 1995, 308 p. (vol. 1) et 437 p. (vol. 2). Le texte de la Vie, traduit en français, est disponible en ligne par les soins du foyer orthodoxe de Clara.


En complément

  • Youval Rotman, Insanity and Sanctity in Byzantium, Cambridge, Massachusetts / London, England, Harvard University Press, 2016.

  • John Saward, Perfect Fools: Folly for Christ’s Sake in Catholic and Orthodox Spirituality, Oxford, Oxford University Press, 2000.

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