
Jean de Brébeuf, Isaac Jogues et leurs compagnons : les saints martyrs du Canada
À la suite de Jacques Cartier (1534) et de Samuel de Champlain (1608), des hommes et des femmes venus de France ont planté la croix du Christ en terre canadienne. Ceux que l’on appelle les « saints martyrs canadiens » ont scellé leur passion pour le Christ par le sacrifice de leur vie. Ils désiraient ardemment illuminer les âmes des autochtones, qui ne connaissaient pas encore la foi catholique. Ces hommes de foi étaient pour la plupart des jésuites : Jean de Brébeuf, Gabriel Lalemant, Isaac Jogues, Antoine Daniel, Charles Garnier, Noël Chabanel. Deux d’entre eux étaient des laïcs : René Goupil et Jean de la Lande. Ils sont morts, entre 1642 et 1649, dans des bourgades des Premières Nations situées dans le nord de l’état de New York et le centre de l’Ontario. Au Canada, l’Église fait mémoire d’eux le 26 septembre.
Les raisons d'y croire
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Ces hommes ont radicalement abandonné leur confort, leur pays, leur langue, leur culture, et ont acceptéde vivre dans des conditions extrêmes pour annoncer Jésus-Christ à des peuples qui ne le connaissaient pas. La force intérieure qui peut conduire des hommes à un tel don d’eux-mêmes se doit d’être exceptionnelle. C’est Christ vivant, qui agit dans ceux qui le suivent.
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La vérité de l’Évangile se manifeste aussi dans le comportement de ceux qui le vivent : l’offrande de la vie par amour constitue le centre du message chrétien. Jean de Brébeuf, Isaac Jogues et leurs compagnons n’ont pas cherché à dominer, mais réellement à aimer ceux auprès de qui ils vivaient. Ces premiers missionnaires canadiens étaient des éducateurs de la foi, mais aussi des amis de beaucoup d’autochtones.
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En apprenant la langue huronne, en s’immergeant dans les coutumes locales, en cherchant à comprendre la sagesse et la spiritualité autochtones, ces missionnaires ont prouvé que le christianisme porte un message capable de s’incarner dans le peuple autochtone. Cela révèle que l’Évangile porte une vérité qui rejoint toutes les cultures. Jean de Brébeuf a cherché à construire une Église « entièrement catholique et entièrement huronne ». Comme le disait Jean-Paul II : « Le Christ, par les membres de son Corps, est lui-même indien. » Autrement dit, le Christ rejoint toute l’humanité, ce qui atteste l’universalité de son message.
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Les missionnaires français se sont conformés au Christ jusqu’à le suivre dans le martyre. Ils ont persévéré dans leur mission d’annonce de l’Évangile aux peuples autochtones en Nouvelle-France en acceptant de façon libre et consciente le danger. Si, volontairement, ils risquent leur vie pour transmettre un message, c’est parce qu’ils jugent ce message plus précieux que la vie elle-même. Ils font ainsi don de leur vie en témoignage de leur foi en Jésus-Christ.
En savoir plus
Jean de Brébeuf et ses compagnons sont venus en Nouvelle-France par amour pour le Christ. C’est en son nom qu’ils désirent convertir des milliers de Hurons pour le salut de leurs âmes. Ces hommes de foi ont été formés aux Exercices spirituels de saint Ignace. Leur spiritualité est marquée par la prière constante, l’attachement exclusif au Christ, l’amour de l’eucharistie, une grande dévotion à Marie et à Joseph, et par l’esprit de sacrifice. Même s’ils sont tributaires de la mentalité colonisatrice de leur époque, ils ont su pourtant, pour la plupart, en une quinzaine d’années seulement, apprendre la langue huronne et connaître leurs coutumes. Ils ont créé des dictionnaires, des grammaires et des catéchismes dans une langue aux antipodes des langues européennes. En revanche, quatre siècles nous séparent d’eux : notre sensibilité théologique et notre connaissance des croyances autochtones ne peuvent être les mêmes.
Jean de Brébeuf, par exemple, tente d’intégrer l’Évangile à la culture des Premières Nations et de comprendre leur sagesse, leur spiritualité, leur contact avec le sacré. Mais ce que ces jésuites ont accompli de plus grand a été d’offrir leur vie par amour en étant huron avec les Hurons. Jean de Brébeuf témoigne de cet engagement au début de son journal, en 1630 : « Je me suis offert et j’ai dit : "Faites de moi, Seigneur, un homme selon votre cœur." »
En 1636, lors d’une grave épidémie, les jésuites savent qu’on veut les tuer, parce que les autochtones les croient responsables de ce fléau. Ils sont prêts à verser leur sang. Le père de Brébeuf écrit dans la Relation de 1638 : « Nous sommes peut-être sur le point de répandre notre sang et d’immoler nos vies pour le service de notre bon Maître Jésus-Christ. »
René Goupil est un laïc, chirurgien ; il meurt le premier en 1642 d’un coup de hache d’un Iroquois, pour avoir fait une croix sur le front d’un jeune autochtone malade. Le prêtre Isaac Jogues, qui était à ses côtés, rapporte : « Il mourut entre mes bras, regardant le ciel, et prononçant le saint nom de Jésus avec foi et amour. »
Isaac Jogues était apprécié des autochtones, car il s’était bien adapté à eux. Lorsqu’il est capturé par les Iroquois, il est torturé et mutilé (on lui coupe des doigts, entre autres). Libéré un an plus tard, il choisira de repartir en mission et sera mis à mort en 1646 à Auriesville, en Iroquoisie. Jean de la Lande, qui accompagne le père Isaac Jogues lors de sa dernière mission chez les Iroquois, en 1646, refuse de fuir. Il reste pour enterrer le corps du prêtre, puis il est tué le lendemain.
Antoine Daniel a séjourné quatorze ans en Huronie. Il savait parler aux jeunes. Il est abattu en 1648 devant sa chapelle lors d’une attaque des Iroquois.
En 1649, lors d’une attaque iroquoise contre la mission de Sainte-Marie-des-Hurons, Gabriel Lalemant est capturé avec Jean de Brébeuf, torturé puis tué. Durant ce même assaut, Charles Garnier est abattu alors qu’il assiste un autochtone mourant. Noël Chabanel reste chez les Hurons par ordre de ses supérieurs. Il est le seul des huit missionnaires à ne pas s’exprimer dans leur langue. Il est assassiné en 1649 par un Huron qui n’aime pas sa foi.
Lors de sa visite au sanctuaire des martyrs canadiens à Midland, le 15 septembre 1984, Jean-Paul II prononce ces paroles très fortes : « En sacrifiant leur vie, ces missionnaires espéraient qu’un jour le peuple autochtone arriverait à une pleine maturité et aux plus hauts offices dans leur propre Église. Saint Jean de Brébeuf rêvait d’une Église qui soit à la fois entièrement catholique et entièrement huronne [...]. Dès lors, non seulement le christianisme est valable pour les peuples indiens, mais le Christ, par les membres de son Corps, est lui-même indien. »
Ces missionnaires du Christ au Canada ont été canonisés en 1930 par le pape Pie XI. Ils sont les patrons secondaires du Canada, après saint Joseph. Le sang versé par les saints martyrs fut la semence d’une moisson de chrétiens et de chrétiennes, dont l’Église canadienne est aujourd’hui l’héritière.
Cette histoire serait-elle racontée de la même manière si elle avait été écrite par des autochtones ? Les peuples autochtones ont en effet traversé des bouleversements profonds et durables à la suite de l’arrivée des Européens sur le continent américain. Ces perturbations continuent de se faire sentir aujourd’hui, car les défis auxquels font face les Premières Nations sont loin d’être résolus . Pendant longtemps, la politique officielle du gouvernement canadien visait l’assimilation des peuples autochtones, cherchant à effacer leur culture et leur identité. C’est dans ce contexte que le pape François a entrepris un pèlerinage pénitentiel au Canada, du 24 au 29 août 2022, pour écouter, dialoguer et prier avec les communautés autochtones, et leur demander pardon au nom de l’Église pour les blessures causées par les institutions chrétiennes.
En plus de l’hostilité réelle envers la foi catholique, que certains Iroquois rejetaient fermement, d’autres facteurs doivent être pris en compte dans le massacre des jésuites et de leurs compagnons. Tout d’abord, les missionnaires se sont retrouvés pris au milieu du conflit entre les Hurons et les Iroquois. Ces derniers, armés par les Anglais et les Hollandais, étaient en guerre constante contre les Hurons, alliés des Français. De plus, les maladies apportées par les Européens décimaient les populations autochtones, qui n’avaient aucune immunité naturelle contre ces épidémies. Bien que les missionnaires n’en soient pas responsables, certains autochtones associaient les « robes noires » à ces fléaux, les percevant comme des sorciers porteurs de malheur. Pour tenter de conjurer ces calamités, ils choisirent de les éliminer.
Jacques Gauthier, auteur et théologien , a enseigné à l’université Saint-Paul d’Ottawa. Il a écrit quatre-vingt-cinq livres, dont de nombreuses biographies de saints. Il tient un blogue et une chaîne YouTube .
Au delà
Le sanctuaire des martyrs canadiens situé à Midland, en Ontario, a été désigné sanctuaire national par la Conférence des évêques catholiques du Canada. Ces saints martyrs nous invitent à être des artisans de paix et de dialogue pour notre temps, au coeur même des conflits, des divisions et des guerres.
Aller plus loin
Un article complet sur le blog de Jacques Gauthier : Saints Jean de Brébeuf, Isaac Jogues et leurs compagnons .
En complément
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Jean de Brébeuf, Écrits en Huronie, Éditions Bibliothèque Québécoise, 1996.
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Jacques Gauthier, Les Saints, ces fous admirables , Novalis / Béatitudes, 2018, p. 261-264.
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René Latourelle, Jean de Brébeuf, Bellarmin, 1993.
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Léon Pouliot, Les Saints martyrs canadiens, Bellarmin, 1949.
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Voir aussi l’article sur le site de la Conférence des évêques catholiques du Canada .