
Hildegarde : une âme féconde façonnée par le Christ
Née en 1098 en Rhénanie dans une famille noble, Hildegarde reçoit l’habit bénédictin à dix-sept ans. Elle est douée de dons littéraires et musicaux exceptionnels. Lorsqu’elle est élue à trente-huit ans abbesse du monastère Saint-Rupert à Disibodenberg, près de Bingen, Hildegarde est déjà connue à travers toute l’Europe pour la sagesse de ses conseils et la richesse des visions qu’elle reçoit. Elle laisse à sa mort plusieurs chefs-d’œuvre musicaux, littéraires et scientifiques. Fêtée le 17 septembre, sainte Hildegarde de Bingen est canonisée par le pape Benoît XVI en 2012 et proclamée docteur de l’Église.
Les raisons d'y croire
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Dès son enfance, Hildegarde reçoit des visions, qu’elle interprète comme venant de Dieu. La cohérence et la profondeur théologique de ses visions, consignées par écrit, sont impressionnantes. Sa vie entière est jalonnée d’expériences spirituelles, qui sont loin d’être absurdes ou contradictoires, mais se révèlent au contraire nourrissantes pour l’intelligence de la foi.
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Dès son vivant, l’authenticité de ses visions est publiquement reconnue par des personnalités de premier plan. À la fin de 1147, lors du concile de Trèves, le pape Eugène III († 1153) fait lire des passages des écrits de la sainte. Présent, saint Bernard lui demande qu’il ne « permette qu’une lampe aussi brillante ne soit éteinte par le silence, sinon que l’on confirme par son autorité une grâce aussi grande que Dieu veut manifester en son époque ». Plus tard, Eugène III écrira une lettre personnelle à Hildegarde, dans laquelle il lui donne l’autorisation de « publier tout ce que le Saint-Esprit lui avait enseigné ».
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La sainte est un modèle absolu d’humilité, en particulier dans le domaine de la mystique. Jamais elle n’a mis sur le compte de ses qualités personnelles les bienfaits que Dieu lui offrait. Au sujet de ses visions, pour connaître leur origine (divine ou non), elle fait preuve d’une extrême prudence et s’en remet aux autres, par exemple en demandant l’aide de saint Bernard pour discerner : « Je veux, mon père, par amour de Dieu, que vous me conseilliez si je dois manifester ces choses ou les garder en silence... »
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Sa foi en Christ éclaire et enrichit tous les domaines de la vie humaine. Extrêmement féconde, sa foi lui inspire des poèmes, de la musique sacrée encore jouée aujourd’hui, des traités médicaux et botaniques novateurs… Chacune de ses paroles, chacun de ses écrits n’a qu’une origine : la prière. C’est dans la louange et la contemplation des mystères de Dieu qu’elle puise son inspiration et sa force.
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Hildegarde insiste sur l’harmonie du corps humain, de l’âme et de la nature, comme reflet du Christ qui est l’ordonnateur de toute chose. Elle révèle un monde cohérent, ordonné par Dieu et christocentrique.
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Hildegarde parle du Christ comme lumière vivante, Époux de l’âme, et comme Sauveur. Son témoignage invite à croire en un Christ vivant et agissant. Il l’appelle à agir et c’est grâce à lui qu’elle parle avec sagesse et fermeté dans les nombreux courriers de conseils qu’elle échange avec les princes et les empereurs d’Europe, les papes, les cardinaux et les abbés. Son courage prophétique est ancré dans le Christ.
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La qualité, la diversité et les responsabilités variées des correspondants de sainte Hildegarde plaident de manière évidente à la fois pour l’équilibre mental de Hildegarde, pour son intelligence et pour l’immense richesse spirituelle de sa vie et de ses expériences intérieures. Outre saint Bernard et Eugène III, déjà cités, figurent parmi eux les papes Adrien IV et Alexandre III, les empereurs germaniques Conrad et Frédéric Ier, le futur roi de France Philippe Auguste, la reine Aliénor d’Aquitaine, le roi d’Angleterre Henri Ier (dit Henri Beauclerc), la reine Berta de Grèce, des mystiques comme Élisabeth de Schönau ou Eberhard de Salzbourg, des maîtres de l’université de Paris…
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Sa renommée pourrait laisser croire qu’elle vivait comme une aristocrate de haut rang et que son train de vie correspondait à celui d’un membre de la haute noblesse. Il n’en est rien. De surcroît, elle exerce une charité de chaque instant vis-à-vis des pauvres qui sollicitent son aide, sans aucune discrimination.
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Canonisée, Hildegarde a aussi été proclamée docteur de l’Église en 2012, faisant d’elle l’une des quatre femmes de l’histoire à porter ce titre. L’Église reconnaît ainsi que son enseignement conduit à une foi plus profonde, plus intelligente, plus amoureuse du Christ.
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Hildegarde laisse si bien entrevoir la vérité du Christ et de l’Évangile que les vocations religieuses se multiplient dans son couvent. C’est une abbesse, fondatrice et gestionnaire hors pair : après le monastère Saint-Rupert de Bingen, elle met sur pied en 1165 l’abbaye d’Eibingen, où s’installent encore une trentaine de sœurs.
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Elle fait preuve d’une énergie inexplicable au service du Christ : grâce à Dieu, sa santé fragile n’est jamais devenue un obstacle pour elle. Âgée de soixante-douze ans, elle voyage sur les routes allemandes, prenant publiquement la parole dans les villes et villages. L’énergie spirituelle de Hildegarde est telle qu’elle réussit à mener quatre vies de front : celle d’une abbesse organisatrice, d’une mystique contemplative, d’une missionnaire zélée, mais aussi d’une autrice érudite et prolifique.
En savoir plus
Née en 1098 dans le village rhénan de Bermersheim, Hildegarde de Bingen est issue d’une famille noble et aisée. Ses parents sont croyants et transmettent à leur fille une foi vivante et profonde. Comme c’est quelquefois la tradition à cette époque, ils la confient en 1106 à de pieuses éducatrices, qui, toutes deux, sont liées aux milieux monastiques ; elles donneront à la future sainte une éducation complète et soignée, tant sur le plan intellectuel que spirituel. Dès sa jeunesse, Hildegarde fait preuve d’une intelligence spéculative et pratique, ainsi que d’une vive sensibilité. Au couvent bénédictin de Saint-Disibod (Disibodenberg) – monastère bénédictin près de Odernheim am Glan (Rhénanie-Palatinat, au confluent des rivières Nahe et Glan, qui présente alors la particularité d’abriter une double communauté (une branche féminine et une masculine), avec, à leurs têtes, une abbesse et un abbé –, elle apprend les idéaux et les devoirs des moniales, leur goût de la prière, leur fraternité, leur amour de Dieu. Elle mesure la valeur de la règle de saint Benoît sous l’autorité de laquelle vivent les sœurs en religion et, désormais, aspire à devenir l’une d’elles.
À dix-sept ans à peine, elle reçoit l’habit bénédictin des mains de l’évêque de Bamberg, Mgr Othon, puis, en 1136, elle devient prieure du couvent de Saint-Disibod. Ses dons littéraires et musicaux exceptionnels, ses qualités humaines et sa conduite religieuse édifiante font d’elle une religieuse recherchée et un exemple parmi les moniales germaniques.
Elle est alors célèbre à cette époque pour ses nombreuses visions au riche contenu théologique, et dont l’authenticité sera pleinement reconnue dès la fin de 1147 par des personnalités exceptionnelles. Elle vit dans un esprit de pauvreté absolue, mais correspond avec l’élite de son temps.
Sa popularité devient immense. On accourt à l’abbaye pour la voir, lui demander un conseil, une prière, un poème, un chant… Les vocations religieuses augmentent dans une proportion telle que, bientôt, les bâtiments conventuels deviennent trop exigus, provoquant le transfert des moniales dans un autre lieu. Ce sera le Rupertsberg, vaste couvent près de Bingen, petite ville de Rhénanie-Palatinat. C’est là que Hildegarde montrera pendant presque quarante ans la mesure de son génie, tant sur le plan spirituel et artistique que matériel. En trois ans – de 1147 à 1150 – elle développe une communauté florissante, dans laquelle la vie contemplative atteint un sommet, selon le témoignage de personnalités du temps comme Guibert de Gembloux, le dernier secrétaire de la sainte.
Elle écrit plusieurs chefs-d’œuvre, sur la cuisine, la médecine, la musique (on lui doit des pièces extraordinaires de musique sacrée, de toute beauté, qui sont aujourd’hui encore jouées et enregistrées), la botanique.... Par exemple, son ouvrage Physica (De la nature) est une description méthodique de près de 300 plantes, 61 espèces d’oiseaux et autres chauves-souris et insectes volants, 41 sortes de mammifères, dont la finalité est thérapeutique. La sainte y décrit les remèdes obtenus à partir de chacun de ces êtres vivants. Ou encore son livre intitulé Les Causes et les remèdes, qui montre une grande connaissance de la médecine et de ses théories. Hildegarde y commente les fondateurs de la médecine antique, Hippocrate et Galien, mais aussi les médecins arabes.
En 1165, le nombre de sœurs installées au Rupertsberg devenant trop important, elle fonde l’abbaye d’Eibingen, sur la rive droite du Rhin, où viennent s’installer une trentaine de religieuses. Parallèlement, la sainte, qui a atteint soixante ans (âge avancé, l’espérance de vie au XIIe siècle ne dépassant pas quarante-cinq ans) et qui est autorisée à divulguer publiquement le contenu de ses visions, se met à parcourir l’Allemagne de l’Ouest en tous sens, dans le cadre de quatre séries de périples. C’est l’une des facettes fascinantes de Hildegarde de Bingen : poussée par les messages célestes qu’elle reçoit lors de ses extases, elle proclame la parole de Dieu dans les villes, où elle est accueillie avec un succès non démenti, souvent devant des personnes de milieux sociaux et culturels différents. Or, à cette époque, il s’agit d’un cas extrêmement rare, les femmes n’étant pas autorisées à prêcher ni à témoigner en public de leurs expériences spirituelles.
De 1158 à 1163, elle voyage en Lorraine, en Rhénanie, enfin en Souabe... à soixante-douze ans ! Traversant villes et villages (Bamberg, Cologne, Mayence, Metz et Wurtzbourg la reçoivent avec les honneurs), elle multiplie les succès. Ses prophéties soulèvent l’enthousiasme et convertissent les gens éloignés de la foi. À chaque fois, ses propos sont d’une justesse remarquable, sans la moindre approximation théologique. Les laïcs aiment ses paroles belles et équilibrées. Le clergé pavoise. Tous veulent l’inviter dans leur ville. Par-dessus tout, Hildegarde est la charité incarnée. Elle ose soulever de graves questions liées à l’injustice sociale, aux travailleurs pauvres, aux malades, à tous les rejetés...
Canonisée par le pape Benoît XVI le 10 mai 2012, elle est proclamée docteur de l’Église le 7 octobre suivant.
Patrick Sbalchiero, membre de l’Observatoire international des apparitions et des phénomènes mystiques.
Au delà
La vie de Hildelgarde de Bingen fut exceptionnelle, dans tous les domaines.
Aller plus loin
Sylvain Gouguenheim, La Sybille du Rhin : Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse rhénane, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996.
En complément
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Deux passages de la vie de Hildegarde de Bingen sont relatés dans les articles de la rubrique Un saint, un miracle : « Elle entend une voix céleste et reçoit une flèche de feu », « Une vision de sainte Hildegarde de Bingen ».
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Pascale Fautrier, Hildegarde de Bingen, un secret de naissance, Paris, Albin Michel, 2018.
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Benoît XVI, « Sainte Hildegarde de Bingen », Chemins vers le silence intérieur avec les saintes du Moyen Âge, Audiences des mercredis 1er et 8 septembre 2010, Parole et Silence, 2017, p. 7-24.
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Audrey Fella, Hildegarde de Bingen : corps et âme en Dieu, Paris, Le Seuil, collections « Sagesses », Points, 2015.
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Pierre Dumoulin, Hildegarde de Bingen, prophète et docteur pour le troisième millénaire, Éditions des Béatitudes, Nouan-le-Fuzelier, 2012.
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Ventura Sella Barrachina, « Hildegarde de Bingen (sainte), 1098 – 1179 », dans Dictionnaire de l’extraordinaire et des miracles chrétiens, sous la direction de Patrick Sbalchiero, Paris, Fayard, 2002, p. 349-352.
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Régine Pernoud, Hildegarde de Bingen : conscience inspirée du XIIe siècle, Paris, Le Rocher, 1994.
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G.M. Colombas, « Una monja profetisa : Santa Hildegarda de Bingen », dans La Tradicion benedictina. Ensayo historico, IV, 2 : El siglo XII, Zamora, 1994, p. 912-932.
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P. Daaleman, « The Medical World of Hildegard of Bingen », The American Benedictine Review, 44, 1993, p. 280-289.