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Les martyrs
Catalogne (Espagne)
Nº 743
1917 – 1936

Joan Roig i Diggle répond à la violence avec amour et pardon

Né en 1917 à Barcelone dans une famille modeste, Joan Roig i Diggle fut un jeune homme d’une grande profondeur spirituelle, un missionnaire enflammé, notamment auprès des jeunes, et un ardent promoteur de la doctrine sociale de l’Église. Il mourut martyr de la guerre civile espagnole, à l’âge de dix-neuf ans, en pardonnant à ceux qui allaient lui prendre la vie. Reconnu martyr par l’Église catholique, il fut proclamé bienheureux en 2020.


Les raisons d'y croire

  • Joan Roig i Diggle montre très tôt de grandes dispositions scolaires, mais aussi spirituelles, qui marquent profondément son entourage. L’intelligence spirituelle qu’il montre et sa maturité dans la prière, la charité et la souffrance sont bien supérieures à celles que l’on pourrait attendre d’une personne de son âge. Sa soif intérieure de Dieu n’est pas une construction familiale : non fabriquée, non imposée, elle est vécue librement. Il est difficile d’expliquer naturellement un tel élan intérieur, une telle sagesse spirituelle, en dehors de l’hypothèse que Dieu agit vraiment dans les âmes.

  • Joan fait de sa vie spirituelle une priorité : messe quotidienne, méditation de la Bible, longs moments d’adoration du saint sacrement... Ce lien indéfectible à l’Eucharistie montre que sa vie est centrée sur la présence réelle et vivante du Christ. Sa vie intérieure nourrit un rayonnement spirituel et vertueux qui touche ceux qui le connaissent. « Son exemple a converti plus que ses paroles », écrit-on de lui.

  • Joan, malgré sa jeunesse, ne s’épargne pas au service des autres : visites aux malades, catéchèse, aide aux familles pauvres... Son engagement montre une foi incarnée dans l’amour. Il vit en cohérence totale avec ce qu’il croit, en agissant selon sa conscience chrétienne.

  • En particulier, il est conscient des problèmes qui affligent la société, car, en raison des difficultés financières de sa famille, l’adolescent travaille en magasin, puis en usine. Il s’engage alors pour défendre les droits des travailleurs et améliorer leurs conditions de travail en diffusant la doctrine sociale de l’Église. Il allie ainsi prière et action sociale, convaincu que le christianisme est un véritable levier de justice et de dignité humaine.

  • En 1936, lorsque la guerre civile espagnole éclate, malgré le danger, Joan ne renie pas sa foi. Les églises sont fermées ou détruites, mais, à la demande d’un prêtre, il distribue la communion clandestinement, sachant que cela pourrait lui coûter la vie. Joan se consacre pleinement à sa mission d’apporter Jésus aux autres.

  • Le 12 septembre, arrêté et emmené de force hors de chez lui par les miliciens anticatholiques, Joan reste paisible, confiant, et même joyeux. S’il accepte de donner sa vie, ce n’est pas par fanatisme, mais par amour, parce qu’il croit vraiment que Jésus est vivant et que sa propre mort n’est pas vraiment la fin.

  • Dans ses derniers instants, Joan dit à ses bourreaux : « Que Dieu vous pardonne comme je vous pardonne. » Ce pardon, rapporté par un de ceux qui l’ont exécuté et qui en fut bouleversé, est d’une beauté morale que peu de personnes peuvent atteindre. Ses mots reflètent un sacrifice d’amour et un pardon authentiques, dont le modèle est le Christ en Croix.


En savoir plus

Né le 12 mai 1917 à Barcelone, dans une famille modeste, Joan Roig i Diggle est le fils d’un père catalan et d’une mère d’origine anglaise. En 1921, Joan commence à fréquenter l’école Saint-Joseph de Cluny, dans son quartier. C’est là qu’il fait sa première communion, à l’âge de sept ans, avec sa sœur Beatriu. La mère de Joan, Maud, constate que son fils a une vie intérieure profonde, nourrie d’un grand amour de Dieu. Au cours d’un trajet pour aller à l’école, Joan fait part à sa mère de son rêve d’être missionnaire. Une fois terminée l’école primaire, chez les Frères des Écoles chrétiennes, Joan rejoint les Piaristes (Scolopi, en italien) en 1927 pour ses études secondaires. Tout au long de sa scolarité, le jeune homme excelle, au point d’obtenir prix et médailles. Ne tarissant pas d’éloges sur lui, ses professeurs le décrivent comme un excellent élève, sérieux, respectueux et dévoué aux études. Cependant, ce qui marquera surtout ses professeurs, en particulier le père Francisco Carceller et le père Ignascio Casanovas, qui deviendront martyrs pendant la guerre civile, c’est la foi profonde et enracinée du jeune homme.

En 1934, alors que Joan est âgé de dix-sept ans, sa famille se voit contrainte de quitter Barcelone pour s’installer dans la ville voisine d’El Masnou. En raison d’importantes difficultés économiques touchant sa famille, Joan est obligé de travailler dans un magasin de tissus, puis dans une usine, afin d’aider sa famille à couvrir ses dépenses. Sans se plaindre, malgré la fatigue, Joan travaille d’arrache-pied, tout en continuant ses études, révisant parfois la nuit.

Dans le même temps, le jeune homme adhère avec enthousiasme à la Fédération des Jeunes Chrétiens de Catalogne (FJCC), créée en 1932 par Albert Bonet et qui comptait huit mille membres avant le début de la guerre civile espagnole. « Quand il vint à Masnou, personne ne le connaissait, mais sa piété et son amour ardent pour l’Eucharistie devinrent bientôt évidents. Il a passé des heures devant le saint sacrement sans s’en rendre compte. Son exemple a converti plus que ses paroles », écrivait le président de la section jeunesse de la FJCC en 1936. En effet, à Masnou, la vie spirituelle de Joan se développe considérablement. Tous les jours, à sept heures, avant le travail, le jeune homme se rend à la messe. Le père José Gili Doria, vicaire de Masnou, écrit en 1936 : « Un jour, Joan me dit : "Je consacre normalement au moins deux heures par jour à la vie spirituelle : messe, communion, méditation et visite au saint sacrement ; c’est peu, mais mon travail et l’apostolat ne me donnent pas plus." »

Le jeune homme se démarque de bien des jeunes de son âge par sa piété, et notamment par sa grande dévotion pour l’eucharistie. Ceux qui l’ont connu à l’époque sont frappés par le rayonnement de sa vie spirituelle et la transparence de ses vertus : une foi vécue avec authenticité et grande simplicité. Cet amour de Dieu, qui brûle Joan toujours davantage, semble comme déborder dans un grand amour du prochain, quel qu’il soit. Vivant sa foi en communauté, Joan devient un missionnaire infatigable, consacrant son temps libre à l’évangélisation des enfants et des jeunes. Il est ainsi nommé pour diriger la catéchèse des enfants de dix à quatorze ans à la paroisse de San Pere.

De son intense vie de prière et de sa dévotion eucharistique jaillit une aspiration à évangéliser, mais aussi à améliorer les conditions de vie de ses frères et sœurs les plus défavorisés. Soucieux du monde qui l’entoure, Joan devient plus conscient des problèmes qui affligent la société, mais aussi du rôle que le laïc peut jouer au sein de l’Église et dans la vie sociale. Le désir de Joan est de défendre les droits des travailleurs et d’améliorer leurs conditions de travail. Pour cela, il se plonge dans la doctrine sociale de l’Église, convaincu qu’il s’agit de la meilleure voie pour combattre les inégalités et promouvoir la dignité de tous les individus. Par la suite, Joan diffuse cette doctrine sociale de l’Église, notamment en écrivant sur les questions sociales dans le bulletin d’information de la FJCC.

D’après l’archevêque de Barcelone, Joan est donc « un jeune homme normal qui avait les goûts et les intérêts de son âge », même si, depuis l’enfance, « il rêvait de devenir un jour prêtre. Amoureux de l’Eucharistie et apôtre des travailleurs, il voulait être avec eux, les connaître, les aimer et leur apporter la Bonne Nouvelle du Christ. » En cela, Joan était « un révolutionnaire chrétien ».

Sur le plan politique, durant l’année 1936, la guerre civile espagnole éclate. Pendant l’été, un vent de persécution anticléricale sans précédent souffle sur l’Espagne. Au mois de juillet, les miliciens républicains incendient les églises et persécutent, voire tuent, religieux et prêtres, mais aussi parfois de simples laïcs. Très connue dans le village, notamment en raison de sa fidélité à l’Évangile et à l’Église, la famille de Joan est exposée. Ce dernier commence à envisager l’éventualité que Dieu l’appelle au martyre. Dans cette optique, il prépare ses camarades à mourir pour la foi catholique : « Maintenant, plus que jamais, nous devons lutter pour le ChristSi Dieu nous choisit, nous devrions être disposés à recevoir le martyre avec grâce et courage, comme il convient à tout bon chrétien. » Maud, la mère de Joan, rapporte l’attitude de son fils en cette période : « Il soulageait les peines, encourageait ses camarades apeurés, rendait visite aux blessés à l’hôpital, recherchait quotidiennement les morts afin de les enterrer. Chaque nuit, au pied du lit, le crucifix serré dans ses mains, il demandait à Dieu le pardon, la miséricorde et la force. »

Le 20 juillet 1936, les miliciens républicains mettent le feu au siège de la Fédération des Jeunes Chrétiens. À Barcelone, les églises sont fermées, brûlées ou détruites, de sorte qu’il est impossible d’assister à la messe. C’est ainsi que le père Lluma, directeur spirituel de Joan, confie au jeune homme, connu pour sa dévotion à l’Eucharistie, une réserve d’hosties consacrées, qu’il peut conserver chez lui. Sa mission ? Se rendre dans les maisons donner la sainte communion à ceux qui en ont le plus besoin. Au cœur de la persécution, Joan est pleinement dans sa vocation : apporter Jésus aux autres. À sa mère, qui s’inquiète pour sa vie, il répond : « Je ne crains rien, le Maître est avec moi. »

Dans la nuit du 11 au 12 septembre, des miliciens anticléricaux font irruption dans la maison familiale de Joan, à la recherche du chef de famille. Dans une autre pièce, Joan consomme toutes les hosties consacrées, afin de les sauver de la profanation, avant que les miliciens ne le remarquent. Embarqué par les forces armées, le jeune homme a le temps de glisser quelques mots à sa mère en pleurs, dans sa langue maternelle, en anglais : « God is with me. » (« Dieu est avec moi »). Les miliciens conduisent Joan dans la maison de son oncle, pensant que son père s’y cache. Ne le trouvant pas, ils détruisent tous les objets et images religieux, sans que cela ne suffise à apaiser leur colère. S’ils ne peuvent tuer le chef de cette famille catholique, son fils doit payer. La patrouille emmène ce dernier à côté du nouveau cimetière de Santa Coloma de Gramanet, non loin de Barcelone, pour l’exécuter. Restant calme, Joan chante et prie. Pointant leurs armes vers le jeune homme, les miliciens lui permettent de dire ses derniers mots : « Que Dieu vous pardonne comme je vous pardonne », souhaite Joan à ses bourreaux, avant d’ajouter « Vive le Christ Roi ! » Il est ensuite tué de cinq coups de fusil au cœur. Dans sa famille, personne n’est informé de ce qui lui est réellement arrivé. Le corps de Joan, enterré sur le lieu de sa mort, n’est retrouvé que deux ans plus tard. L’un des miliciens ayant participé à la mort de Joan se rappellera les faits des années plus tard « Ce jeune homme était un brave homme... Il est mort en prêchant, en disant qu’il me pardonnait et qu’il prierait Dieu de me pardonner aussi. J’en ai été ému. »

La cause pour la béatification et la canonisation de Joan Roig i Diggle est ouverte le 4 octobre 1999, à Barcelone. Après une enquête approfondie sur la vie et la mort de Joan, le pape François reconnaît, le 2 octobre 2019, que Joan est mort « en haine de la foi », le déclarant ainsi martyr de l’Église catholique. Joan Roig i Diggle est proclamé bienheureux au cours d’une messe célébrée à la Sagrada Familia de Barcelone le 7 novembre 2020. Dans l’homélie prononcée lors de cette messe de béatification, le cardinal archevêque de Barcelone, Juan José Omella y Omella, souligne que le nouveau bienheureux avait répondu avec amour et pardon à la violence reçue : « Son témoignage peut éveiller en nous le désir de suivre le Christ avec joie et générosité. Joan a vécu une profonde amitié avec Jésus. Le Christ a été la source qui a nourri toutes ses paroles, toutes ses relations, tous ses projets. Que son témoignage nous aide toujours à garder le Christ dans nos cœurs et à faire de l’amour la racine et le fondement de nos vies », a conclu l’archevêque de Barcelone.

Thomas Belleil, auteur de livres de spiritualité, diplômé en sciences religieuses à l’École Pratique des Hautes Études et en théologie au Collège des Bernardins.


Au delà

Joan Roig i Diggle a rejoint le long cortège des martyrs de la guerre civile espagnole reconnus par l’Église : ceux qui ont été tués « en haine de la foi ». Ils sont environ deux mille martyrs de la guerre civile espagnole à être vénérés par l’Église catholique : prêtres, religieux, évêques, ainsi que de nombreux laïcs, qui ont perdu la vie en raison de leur fidélité à l’Évangile et à l’Église. Parmi eux, 522 ont été béatifiés en 2013 à Tarragone (Catalogne).

L’Église catholique a eu plus de martyrs au cours du XXe siècle que tout au long du reste de son histoire.


Aller plus loin

Joan Roig i Diggle, Dios esta conmigo, San Pablo, 2020.


En complément

  • Lluis Badia Torras, Joan Roig I Diggle. Una vida jove que parla als joves, Ed. Associacio d’Amics de Joan Roig i Diggle, 2001. Cette biographie s’appuie sur des documents d’archives et des témoignages directs, notamment du directeur spirituel, le père Lluma.

  • Site officiel de l’ Association des Amis de Joan Roig i Diggle .

  • L’article de Vatican News : « Béatification de Joan Roig i Diggle, martyr du combat pour le Christ ».

  • L’article de la Fédération Internationale des Médecins Catholiques (FIAMC), « La precoz madurez del joven martir Joan Roig Diggle » contient des extraits de ses écrits et en propose une interprétation spirituelle.

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