
Aidan de Lindisfarne commande au feu
En 642, après la mort du roi chrétien Oswald de Northumbrie, tué en combattant un rival païen, Penda, le roi victorieux, répand la désolation sur les territoires du défunt. Ainsi incendie-t-il la capitale d’Oswald, Bamburgh. C’est alors qu’Aidan, abbé de Lindisfarne, voyant depuis son monastère flamber la ville, s’avance sur la plage et, prenant le Ciel à témoin du désastre, en appelle à la justice divine contre l’incendiaire. À l’instant même, le brasier qui dévorait la cité s’éteint comme une bougie que l’on souffle et se rallume dans les rangs de l’ennemi, dont le camp est dévoré par les flammes et qui préfère quitter la Northumbrie. Dieu manifeste de la sorte la sainteté du moine irlandais.
Les raisons d'y croire
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Nous devons à Bède le Vénérable et à son Histoire ecclésiastique du peuple anglais tout ce que nous savons de la vie de saint Aidan. Cet écrit, composé dans les années 730, est tenu par les historiens pour un texte remarquablement bien documenté, fiable et sérieux. Les Vitae et autres récits le concernant découlent tous de ce livre. Bède fait preuve d’une méthode critique remarquable (sources et informateurs croisés et cités, rigueur dans la chronologie…). Nous pouvons donc nous rapporter à lui en confiance.
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On trouve, jusque dans l’histoire contemporaine, des exemples d’incendies victorieusement combattus par la prière ou qui tournent avant de menacer un endroit vénéré. C’est ce qui s’est produit le 15 mai 1915 rue du Bac à Paris, épargnant la chapelle des apparitions, ou à Lisieux le 7 juin 1944, protégeant le carmel de Thérèse.
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La réputation de sainteté d’Aidan était si grande que ni les évêques d’Angleterre ni le pape Honorius ne lui ont reproché d’avoir suivi et conservé les usages de l’Église celtique tels qu’ils se pratiquaient en son Irlande natale, au détriment de ceux de Rome. Bède ne se permet jamais non plus, quand il est question d’Aidan, la moindre allusion déplaisante, comme il le fait parfois ailleurs, concernant les coutumes irlandaises. Eu égard aux violents antagonismes qui opposaient déjà Irlandais et Anglo-Saxons, c’est tout à fait remarquable et cela montre à quel point Aidan était respecté.
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Moine du monastère fondé par saint Colomba sur l’île d’Iona, au large de l’Écosse, Aidan, un jeune frère irlandais, aurait dû y rester toute sa vie. Mais, en 635, à la demande du roi Oswald de Northumbrie, il va tenter d’évangéliser le peuple d’Angles et de Saxons païens. Aidan va abondamment payer de sa personne sans jamais compter sa peine et sa fatigue, donnant l’exemple du travail missionnaire.
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Des religieux qui l’ont accompagné depuis Iona rechignent à convertir les envahisseurs qui désolent depuis deux siècles la Grande-Bretagne : ils ont détruit sans pitié, massacrant les autochtones catholiques ou les obligeant à fuir vers d’autres contrées. Se souvenant de leurs exactions, les moines se demandent s’il est opportun de baptiser ces Barbares… Aidan réussit à les amener à une vision plus charitable et chrétienne et leur rappelle la grandeur du pardon des offenses. Par son exemple, il désarme les oppositions.
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Les populations locales sont très attachées à leurs dieux germaniques et sont déjà parvenues à se débarrasser par le passé, quitte à les assassiner, de ceux qui avaient voulu les convertir, comme le roi Edwin, oncle d’Oswald. Qu’il s’emploie à christianiser la Northumbrie démontre la puissance de sa parole évangélisatrice. Il y parvient car « il les nourrit d’une douce doctrine et du lait de la parole divine ».
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Protégé d’Oswald, souverain puissant, Aidan ne cherche pas à profiter de ses largesses et choisit pour installer son monastère le site inconfortable de Lindisfarne, aujourd’hui Holy Island, au large de la côte et accessible seulement à marée basse. Il peut ainsi préserver sa vie de prière et de solitude, qui est le moteur et l’aliment de sa vie missionnaire.
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Aidan s’illustre aussi par son souci des pauvres et des orphelins, qu’il recueille et élève, sa table étant toujours ouverte aux miséreux. Les miracles et prodiges qu’on lui attribue s’appuient donc sur la sainteté de sa vie.
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Un jour, en présence d’Aiden, Oswald fait servir à des mendiants un riche repas dans un plat d’argent. Il brise ensuite le plat et leur en distribue les morceaux. C’est alors que Aidan, saisit le bras droit d’Oswald, en affirmant « qu’il ne périra jamais ». En effet, après la mort d’Oswald, on découvrira son bras droit incorrompu.
En savoir plus
Né en Irlande à la fin du VIe siècle, sans doute dans la région du Connaught, Aidan – Aedan en gaélique, prénom qui signifie « jeune fougueux » –, est, comme beaucoup de garçons, élevé chez les moines. Il y découvre l’amour de la prière, du jeûne et de la solitude. Vers l’âge de vingt ans, il rejoint le monastère d’Iona, fondé par saint Colomba, où la vie, régie par les usages de l’Église celte, coupée de Rome par les invasions, est d’une grande austérité. C’est là que s’est réfugié le prince héritier de Northumbrie, Oswald, après l’assassinat de son oncle Edwin, coupable de s’être converti au Christ.
Quand il reprend le pouvoir, Oswald est désireux de convertir ses sujets. Il demande des missionnaires à Iona plutôt qu’aux évêchés catholiques du sud de l’Angleterre (fondés par Augustin de Cantorbéry à la demande de saint Grégoire le Grand). C’est un choix qui le met en porte-à-faux avec Rome, mais la papauté respecte tellement Aidan qu’elle tolérera les usages celtiques aussi longtemps qu’il vivra.
Oswine de Deira, qui succède à Oswald, son parent, continue d’apporter sa protection à Aidan, qui retourne à Dieu le 31 août 651.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Aidan a non seulement converti une grande partie de la Northumbrie, mais aussi transmis un modèle missionnaire fondé sur l’exemple, la pauvreté et la douceur. Après sa mort, son œuvre évangélisatrice continue, portée par ses disciples. Lindisfarne devient un foyer de culture chrétienne et d’envoi missionnaire. Son œuvre a marqué l’histoire religieuse, culturelle et monastique de l’Angleterre.
Aller plus loin
Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais.
En complément
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Alfred Webb, Recueil de biographies irlandaises, 1876.
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Ray Simpson, Aidan of Lindisfarne, Irish Flame Warms a New World, 2014.
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Sur Internet, l’article de Kate Tristram : « Saint Aidan, premier habitant de Holy Island de Lindisfarne ».
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La vidéo de Augustine Institute : « Who Is Saint Aidan of Lindisfarne ? », en anglais.