Saint Louis, un roi conforme au Christ, Juge et Prince de la paix
Louis IX, communément appelé Saint Louis, est un personnage historique dont l’image comme l’action ont eu un rôle charnière au XIIIe siècle dans le royaume de France comme en Europe, et même jusqu’en des contrées très éloignées (par exemple la Mongolie). Il est canonisé par le pape dès 1297 tant l’exercice de ses vertus, dans sa charge publique comme en sa vie privée, a marqué ses contemporains. L’image d’Épinal du roi sous le chêne, près de Vincennes, est célèbre ; c’est qu’elle exprime en résumé un des traits les plus caractéristiques de Saint Louis : la justice. « La paix est le fruit de l’ordre », écrit saint Thomas d’Aquin : c’est pourquoi l’histoire retient aussi Saint Louis comme un artisan de paix.
Les raisons d'y croire
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Saint Louis gouverne dans une époque de conflits féodaux, de rivalités entre puissances européennes, de tensions entre l’Église et les rois... Il est pourtant reconnu pour être un homme de paix, non par faiblesse ou calcul, mais par conviction chrétienne. Traités et arbitrages prouvent que Saint Louis est un amoureux de la paix, un roi désireux non seulement de mettre fin aux conflits, mais aussi d’éliminer les causes de nouvelles guerres. Son esprit de paix repose sur la doctrine chrétienne : le Christ est le roi de la paix. Saint Louis privilégie ainsi les accords diplomatiques qui résolvent les conflits territoriaux à l’origine ancienne, et pérennise le tracé des frontières de son royaume. Par exemple en 1258, avec les traités de Corbeil et de Paris. Par sa recherche constante de la paix, il préfigure le règne de Dieu.
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L’influence hors du commun de ce roi ne repose pas sur sa domination militaire, mais sur le respect généralisé de son équité, de son intégrité personnelle et de sa réputation de dirigeant chrétien. Les monarques et les seigneurs européens recherchent fréquemment son jugement dans les conflits parce qu’ils le considèrent comme un médiateur impartial et respectueux des principes. Par exemple, à la fin de l’année 1259, puis de nouveau en 1263, car le conflit reprend, Saint Louis est choisi comme arbitre dans le différend qui oppose Henri III aux barons anglais soutenant Simon V de Montfort. Cela donne un contre-exemple fort à l’idée que foi et pouvoir seraient incompatibles ou que la foi serait une faiblesse : sa politique montre plutôt que la paix est une vertu politique réelle quand elle est portée par la foi.
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L’engagement le plus emblématique de Louis IX pour la justice est son implication personnelle dans les procédures judiciaires. Il est animé avant toute chose par un souci d’équité et de recherche de la vérité, car pour lui sa justice n’est pas un simple attribut royal, mais l’expression d’un devoir spirituel inspiré par le Christ. Selon nombre de récits contemporains, le roi s’assoit fréquemment sous un grand chêne, près de Vincennes, où il est disponible pour entendre personnellement les affaires et où il rend les jugements avec humilité. Ce faisant, il reproduit l’exemple du Christ, de qui il tire son pouvoir.
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En effet, Saint Louis est conscient que toute autorité vient de Dieu ( Rm 13,1 ) et le devoir du gouvernant est de rendre justice également au peuple. C’est pourquoi Saint Louis l’exerce au nom du Christ, et pour l’honneur du Christ. De là découle aussi sa modestie fondée sur la soumission à l’ordre voulu et établi par Dieu dans la création. C’est là la raison de la réussite de l’action de Saint Louis pour la justice.
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Saint Louis réforme le système judiciaire pour le rendre plus fiable et plus moral. L’une de ses innovations juridiques les plus marquantes est l’abolition de l’ordalie, qui déterminait la culpabilité ou l’innocence par des épreuves physiques plutôt que par des preuves. La doctrine sous-jacente à ce type de jugement est une pensée magique. L’ordalie revient de plus à mettre Dieu au défi de montrer sa puissance pour prouver l’innocence d’un homme, ce qui est interdit par la Révélation : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » ( Lc 4,12 ). Louis l’interdit totalement. À sa place, il introduisit le concept très innovant de la présomption d’innocence dans les procédures pénales, transformant ainsi fondamentalement l’administration de la justice dans tout le royaume.
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Au cours des seize dernières années de son règne, après avoir mené une enquête à travers tout le royaume, il lance une vaste série de réformes marquée par la promulgation, en décembre 1254, de la « Grande ordonnance pour la réforme du royaume ». C’est un vaste ensemble de principes éthiques et de règles pratiques concernant la conduite et l’intégrité morale des officiers royaux. Pour en garantir le respect et l’application, la Couronne s’appuie simultanément sur des stratégies préventives, sur une surveillance intensive et sur des procédures de responsabilisation. De telles mesures réduisent efficacement les abus de pouvoir et normalisent les procédures judiciaires dans tout le royaume. Saint Louis a fait entrer dans le droit une dimension morale chrétienne, fondée sur la miséricorde et la vérité, montrant que le Christ n’est pas un frein à la justice, mais sa source la plus noble.
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La vie de Saint Louis est connue par des sources historiques fiables, notamment par Joinville, son ami et biographe, qui fut un témoin oculaire de sa vie. La gouvernance humble de ce roi chrétien, loin des tyrannies ou des théocraties, a porté beaucoup de fruits sociaux, politiques et moraux. Or, son action et sa vie sont fondées sur l’imitation du Christ et inspirées par l’Évangile.
En savoir plus
Tant la politique extérieure qu’intérieure de Saint Louis vise la paix, la justice et la réforme morale. Au roi d’Aragon, Louis impose le traité de Corbeil du 11 mai 1258, par lequel la France renonce à ses anciennes prétentions de suzeraineté féodale sur la Catalogne (la Marche hispanique), tandis que l’Aragon renonce à toute prétention sur plusieurs territoires du sud de la France, dont le Languedoc, la Provence, Toulouse, le Quercy et d’autres, à l’exception de Montpellier et du Carlat. Louis IX fiance Isabelle, fille de Jacques Ier, à son fils aîné Philippe afin de garantir par cette alliance la paix avec le royaume d’Aragon.
De même, le 28 mai 1258, Saint Louis conclut le traité de Paris avec Henri III d’Angleterre. Ce dernier renonce formellement à toute revendication sur la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine et le Poitou, territoires perdus de fait par son père Jean sans Terre. En échange, le roi de France reconnaît Henri comme duc de Guyenne, c’est-à-dire suzerain du Limousin, du Périgord, de la Guyenne, du Quercy, de l’Agenais et de la partie sud de la Saintonge (limitée par la rive gauche de la Charente). Henri conserve le pouvoir sur ces provinces, mais en tant qu’homme lige du roi de France. Par ce traité, Louis met un premier terme à ce que les historiens appellent « la première guerre de Cent Ans » (1159-1259) entre Capétiens et Plantagenêts.
L’histoire du « Dit d’Amiens » prouve que toute la chrétienté considérait volontiers Louis IX comme un magistrat international : le 24 janvier 1264, Saint Louis se prononce pour Henri III contre les barons et annule les dispositions d’Oxford (les Provisiones Oxoniae), par lesquelles ces derniers ont obtenu d’Henri qu’il partageât son gouvernement avec un conseil de vingt-quatre nobles et ecclésiastiques, nommés en moitié par le roi et en moitié par les barons.
Saint Louis initie aussi d’importantes réformes du système juridique français. Il permet d’abord aux requérants de faire appel des jugements directement auprès du monarque, établissant ainsi un précédent pour les tribunaux royaux comme arbitres suprêmes de la justice dans le royaume. Ce faisant, il s’efforce de mettre fin aux guerres privées qui déchirent alors parfois les familles nobles du royaume. Pour mettre en œuvre son nouveau cadre juridique, il crée les offices royaux de prévôts et de baillis. Sous son règne, la « cour du roi » (curia regis) est organisée en une cour de justice régulière, composée d’experts compétents et de commissions judiciaires siégeant à intervalles réguliers : la justice est déléguée à des juristes. Ces commissions sont appelées parlements.
Au retour de la septième croisade, après leur débarquement à Hyères, en juillet 1254, Louis et son entourage sont accueillis presque immédiatement par l’abbé de Cluny, qui leur offre, ainsi qu’à la reine, deux palefrois que Joinville estime à cinq cents livres tournois. Le lendemain, l’abbé revient raconter ses malheurs au roi, qui l’écoute patiemment et attentivement. Après le départ de l’abbé, Joinville demande à Louis si le don des palefrois a rendu le roi plus favorable à sa requête et, lorsque Louis répondit par l’affirmative, il lui conseille d’interdire aux hommes chargés d’administrer la justice royale d’accepter des présents, de peur qu’ils écoutent plus volontiers et avec plus d’attention ceux qui les ont offerts (Jean de Joinville, Vie de Saint Louis, ch. 655-656, p. 324-327), ce que fera le roi.
Avant son départ en croisade, en 1248, Louis avait envoyé des enquêteurs à travers le royaume pour recueillir les plaintes concernant les injustices royales, enquêter sur ces plaintes et accorder des réparations aux requérants méritants. Fort des preuves de corruption et de malversations administratives rassemblées dans les rapports des enquêteurs, Louis lance à son retour une vaste série de réformes. Une enquête de 1261 sur la conduite de Mathieu de Beaune, bailli de Vermandois, illustre l’engagement du roi en matière de responsabilité : les témoignages de 247 témoins ont été recueillis pour enquêter sur les allégations de corruption, mettant en évidence les mécanismes de surveillance rigoureux de la Couronne et sa mission de créer un système judiciaire plus transparent.
Un exemple est particulièrement parlant. Peu avant 1256, Enguerrand IV, seigneur de Coucy, fait pendre sans jugement trois jeunes écuyers de Laon, qu’il accuse de braconnage dans sa forêt. En 1256, Louis fait arrêter le seigneur. Il est conduit au Louvre par les sergents royaux. Enguerrand exige un jugement par ses pairs et un procès en bataille, ce que le roi refuse, jugeant cette procédure obsolète. Enguerrand est jugé, condamné et obligé de payer 12 000 livres. Une partie de cette somme servira à financer des messes perpétuelles pour les âmes des hommes qu’il avait pendus. La décision de justice de Louis ne punit pas seulement le coupable : elle répare aussi ses torts, ce qui est le propre de la justice accomplie.
Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.
Au delà
L’ensemble des réformes menées par Saint Louis établit un cadre juridique plus rationnel et plus équitable qui influence la jurisprudence française pendant des siècles.
Aller plus loin
Jean de Joinville, Vie de Saint Louis, Paris, Classiques Garnier, Jacques Monfrin éditions, 1998. Cette traduction en français moderne, accompagnée du texte original, est disponible en ligne .
En complément
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Guillaume de Nangis, Chronique du règne de Saint Louis, 1226-1270, Clermont-Ferrand, Paleo, 2010.
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Guillaume de Saint-Pathus, Vie et vertus de Saint Louis, Brive-la-Gaillarde, Paraclet, 2009.
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Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1996. Réédition en 2013 dans la collection « Folio histoire », no 205. Le livre a été traduit en anglais chez University of Notre Dame Press, 2009.
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René Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, vol. III : 1188-1291, l’anarchie franque, Paris, Perrin, 1936 (réimpr. 2006).
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Louis Carolus-Barré et Henri Platelle, Le Procès de canonisation de Saint Louis (1272-1297). Essai de reconstitution, Rome, École française de Rome, coll. « Publications de l’École française de Rome » / Paris, de Boccard, 1994.
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Louis Carolus-Barré, « Les enquêtes pour la canonisation de saint Louis et la bulle Gloria laus, du 11 août 1297 », dans Revue d’histoire de l’Église de France, 1971, vol. 57, no 158.
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Jacques Le Goff, « Mon ami le saint roi : Joinville et Saint Louis (réponse) », dans Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56e année, no 2, 2001, p. 469-477. L’auteur répond lui-même aux critiques soulevées à la parution de sa biographie, fondée en grande partie sur celle de Joinville. Disponible en ligne .
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Marie Dejoux (dir.), Saint Louis après Jacques Le Goff. Nouveaux regards sur le roi et son gouvernement, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2025.
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« Secrets d’histoire », par Stéphane Bern, saison 8, année 2014 : « Saint Louis, sur la terre comme au ciel ».