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© Shutterstock/Sammy Kopecky Photography
Une vague de charité unique au monde
Santiago (Chili)
Nº 721
1901 – 1952

Albert Hurtado donne un toit pour le Christ

La mort prématurée du père Albert Hurtado, emporté par un cancer alors qu’il a à peine cinquante ans, le 18 août 1952, est un deuil national pour le Chili, tant il est vrai que ce jésuite a profondément réveillé les consciences et changé le sort de milliers de malheureux, réduits avant lui à une intolérable misère. Quand son cercueil quitte l’église de Santiago, où ses obsèques ont été célébrées, sous les yeux stupéfaits de la foule des fidèles et des journalistes, une immense croix de nuages blancs apparaît dans le ciel, comme un sceau apposé par Dieu sur la sainteté de cet infatigable apôtre de la charité.


Les raisons d'y croire

  • Dès sa prime enfance, après la mort de son père, la vie d’Alberto Hurtado est marquée par les difficultés et la pauvreté. Il vivra toute son enfance et son adolescence dans la précarité. Beaucoup, à sa place, éprouveraient un besoin de revanche, une envie féroce de s’enrichir et de vivre exclusivement pour eux-mêmes et pour la satisfaction de leurs désirs. Pourtant, Alberto, au lieu de se révolter contre son sort, accepte paisiblement la volonté de Dieu sur lui.

  • Il ressent le désir d’entrer dans la Compagnie de Jésus. Il sait toutefois que cela lui sera très difficile, car il est l’aîné et on attend de lui qu’il pourvoie aux besoins de sa mère et de son jeune frère. Là encore, il accepte, tâchant d’être content quelles que soient les circonstances et de faire toujours et seulement la volonté de Dieu.

  • Alberto réussit à mener de front ses études en droit à l’Institut catholique et une vie professionnelle, indispensable pour subvenir aux besoins des siens. Tous ceux qui le fréquentent disent que ce qu’il fait est épuisant. Pourtant, il trouve aussi le moyen de fonder et d’animer un patronage et un cours du soir. En effet, Alberto se préoccupe d’abord du prochain, et seulement ensuite de lui. Il a déjà deux grandes préoccupations : parler de Dieu à ceux qui l’entourent, et faire connaître et appliquer la doctrine sociale de l’Église. Il a donc une vocation d’apôtre.

  • En 1922, il obtient un doctorat en droit, qui lui promet une belle carrière d’avocat et de riches émoluments qu’il a bien mérités et qui le vengeraient de tout ce qu’il a subi. Mais, libéré de ses obligations familiales, il préfère entrer enfin chez les Jésuites, comme il l’espère depuis si longtemps. L’appel de Dieu est donc plus fort pour lui que les attraits du monde.

  • Il publie un livre, Le Chili est-il un pays catholique ?, dans lequel il dénonce fortement l’injustice sociale, non dans une perspective politique ou révolutionnaire, mais à la lumière de l’Évangile et de la doctrine de l’Église. Hurtado n’a donc pas peur de déplaire quand il estime qu’il est de son devoir de catholique de le faire. Il explique : « Le Christ erre dans nos rues sous les traits d’un pauvre. »

  • Le succès de cet ouvrage, qui secoue l’opinion publique, projette son auteur sous les feux de la rampe. Il devient un conférencier célèbre et un animateur d’émission de radio vedette. D’autres se laisseraient griser par cette réussite et penseraient désormais à gérer leur carrière ; Hurtado, au contraire, s’en sert pour sensibiliser le pays à la misère et notamment aux drames des enfants et des gens de la rue, des dizaines de milliers de Chiliens n’ayant ni toit, ni travail, ni nourriture et vivant dehors par tous les temps.

  • Il ne se paie pas de paroles, mais achète une camionnette avec laquelle il mène lui-même des maraudes dans les rues de Santiago, secourant les plus démunis. Ainsi vit-il vraiment l’Évangile, vêtant, nourrissant, secourant ceux qui en ont besoin. La prière est liée à l’action sociale : pour lui, suivre le Christ, c’est servir les pauvres.

  • Comme dans sa jeunesse, Alberto s’oublie entièrement pour les autres. Quand, en 1951, on lui diagnostique un cancer du pancréas incurable, il déclare, reprenant les mots d’un prêtre ouvrier : « Je préfère mourir usé et jeune que vieux et moisi. » Il ne ralentit pas la cadence, du moins tant que la maladie le lui permet. Même malade, il demeure joyeux et tourné vers Dieu et les autres. Sa sérénité et sa joie face à la souffrance témoignent d’une espérance surnaturelle, difficile à expliquer en dehors de la foi dans le Christ ressuscité.


En savoir plus

Alberto Hurtado naît le 22 janvier 1902 à Vina del Mar, au Chili. Son père, un fermier aisé, meurt dans une course-poursuite contre des voleurs de bétail, alors qu’Alberto n’a que quatre ans. Trompée par de mauvais conseillers, sa mère, Ana, se retrouve dépouillée de ses biens, obligée de quitter l’exploitation et réduite à l’indigence. Elle est contrainte à d’interminables procès pour récupérer l’héritage de ses enfants et son patrimoine ; obtenir justice prendra près de vingt ans. En attendant, elle doit s’installer à Santiago, où elle a de la famille. Avec ses garçons, elle est hébergée tour à tour chez l’un ou l’autre de ses proches au prix d’une constante humiliation, comme des parents pauvres que l’on héberge par charité.

Avec l’aide des Jésuites, elle parvient cependant à offrir des études à ses fils. Alberto doit cependant repousser son désir d’entrer dans la Compagnie de Jésus afin de subvenir aux besoins de sa mère et de son frère. Dans les années 1920, à l’issue d’un interminable procès, les Hurtado obtiennent la restitution de leurs biens. Désormais, Alberto n’a plus à se soucier de faire vivre sa famille et peut entrer au noviciat. Il poursuit alors sa formation en Argentine, en Espagne et en Belgique, où il est ordonné prêtre, à Louvain, en 1934.

De retour au Chili en 1936, le père Hurtado consacre son apostolat aux questions sociales en se fondant sur la doctrine de l’Église. Ses supérieurs lui confient des tâches d’enseignement et de suivi d’œuvres universitaires. Il s’occupe également de l’Action catholique. La publication de son premier livre, en 1941, le rend célèbre. Il se sert dès lors de sa notoriété pour aider les gens de la rue, réveillant les consciences – tel saint Vincent de Paul –, en évoquant cet homme qu’il a ramassé, malade, un soir d’hiver, et qui n’avait pas un toit pour s’abriter et se soigner. En faisant appel à la fraternité chrétienne, il appelle les Chiliens à donner un toit au Christ. C’est le début d’un vaste mouvement de solidarité qui donne naissance à des foyers, Hogar del Cristo, pour les sans-abri du pays, enfants et femmes en particulier. Hurtado fonde un journal, Mesanje, pour répandre sa conception de la justice évangélique. Il pousse aussi à la fondation d’un syndicalisme chrétien pour prévenir l’influence du marxisme auprès des dockers, mineurs et autres travailleurs.

Tant qu’il tient debout, la maladie qui l’atteint en 1952 ne le ralentit pas. Il meurt à la tâche, heureux, le 18 août 1952. Jean-Paul II le béatifie le 16 octobre 1994, puis Benoît XVI le canonise le 23 octobre 2005.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au delà

Le Chili, qui le considère comme un héros national, honore largement sa mémoire. Le 18 août, jour de son décès, est déclaré Journée de la Solidarité.


Aller plus loin

Alberto Hurtado, Un toit pour le Christ, Fidélité, 1992, et ses autres écrits.


En complément

  • Alberto Hurtado, Comme un feu sur la terre, Facultés jésuites de Paris, 2005.

  • Jaime Castellon, Alberto Hurtado, les fondations du Royaume, Lessius, 2000.

  • Sa biographie sur le site du Vatican et l’homélie de sa canonisation.

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