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Les martyrs
Suisse et Tibet
Nº 715
1910 – 1949

Maurice Tornay prédit son martyre

Très jeune, Maurice Tornay, un fils d’agriculteurs suisses, entend l’appel de Dieu et rêve de quitter le monde pour se consacrer à la prière, et, par ce biais, au salut des âmes. À vingt et un ans, en 1931, il réalise ce désir en entrant au noviciat des chanoines du Grand-Saint-Bernard. Il ne devrait plus quitter son monastère, mais, contre toute attente, la Providence va le destiner à une autre mission : l’évangélisation du Tibet. Peu avant son départ, en 1936, il écrit à sa sœur Anna sa conviction d’y trouver le martyre. Il accepte cette perspective dans l’espoir que son sang soit semence de chrétiens.


Les raisons d'y croire

  • Le jeune Maurice Tornay, selon le témoignage de sa sœur, va connaître, encore enfant, un retournement précoce et définitif à la suite de sa première communion. « Il est devenu gentil », dira-t-elle. Cela signifie que, dès lors, il lui importe de plaire à Dieu et de faire sa volonté. Rapidement, il sait qu’il veut entrer en religion et vivre pour Dieu seul. Il comprend aussi la valeur infinie de la prière et qu’elle peut opérer des prodiges, tant pour ses proches que pour la conversion des païens.

  • Le jeune Tornay ressent un goût très vif pour la vie contemplative. Il devrait donc vivre toute sa vie dans le cloître, au milieu de ces Alpes suisses qu’il aime tant. Cependant, au début des années 1930, les Missions étrangères de Paris, qui se consacrent à l’évangélisation de l’Extrême-Orient, s’adressent aux chanoines du Grand-Saint-Bernard pour leur demander des religieux jeunes et robustes, habitués à la haute montagne, afin de prendre en charge leurs apostolats du Tibet. Même si cela ne correspond pas à l’avenir qu’il s’imaginait, Tornay accepte de partir lorsque ses supérieurs le lui demandent. Il renouvelle son vœu de faire la seule volonté de Dieu et de « tout offrir ».

  • Entamée au XIXe siècle, l’évangélisation du Tibet est une mission spécialement ingrate. Aux conditions pénibles et très particulières de la vie en très haute montagne s’ajoutent les difficultés à entrer dans ce pays fermé où les Occidentaux, surtout les chrétiens, ne sont pas les bienvenus. L’hostilité des bouddhistes est réelle, active et déterminée. De surcroît, les conversions sont difficiles et rares. Il y a donc peu, voire pas de contreparties ni de consolations dans cet apostolat. Tornay le sait, mais il accepte néanmoins de partir, toujours dans son optique de sacrifice et d’oubli de soi pour le bien des âmes et l’obéissance parfaite.

  • À peine a-t-il prononcé ses vœux solennels, le 8 septembre 1935, qu’il embarque pour la Chine. Bien que la situation politique, très agitée dans cette partie du monde, laisse espérer une amélioration du sort des missionnaires européens, il annonce à sa sœur sa conviction profonde de ne jamais revenir et de trouver le martyre au Tibet.

  • Le chanoine Tornay est nommé curé de la paroisse catholique tibétaine de Yerkalo. Il est confronté à une immense solitude, au froid et à la misère, dans un pays en proie à la guerre, où l’on meurt de faim au sens exact du terme. Il se fait mendiant pour survivre et aider ses paroissiens, mais, malgré ces conditions de vie à la limite du supportable, il tient bon, convaincu d’accomplir la volonté de Dieu et de sauver des âmes.

  • L’hostilité du chef de la lamaserie locale est virulente : la prédication de Tornay et les conversions qu’il opère dérangent. Le chanoine fait l’objet de menaces de mort qui ne sont pas à prendre à la légère. Ses supérieurs l’en avertissent, sans l’amener à changer de conduite. Il faut une grande foi et beaucoup de courage pour s’obstiner quand d’autres jetteraient l’éponge.

  • Le lama local réussit d’abord à l’éloigner de Yerkalo, puis carrément à le faire expulser au Yunnan. Ce pourrait être l’occasion de mettre honorablement un terme à cette expérience et de retourner en Suisse. Tornay s’y refuse. Il ne veut pas abandonner sa paroisse : il mettra tout en œuvre au cours des mois suivants pour retourner au Tibet, montrant qu’il attache plus de prix au salut des âmes qu’à sa propre vie.

  • Il est finalement assassiné le 11 août 1949 par des moines de la lamaserie alors qu’il essayait encore de rentrer au Tibet. Son pressentiment de mourir martyr ne l’a pas trompé.


En savoir plus

Né le 31 octobre 1910 à La Rosière en Suisse, Maurice Tornay est élevé pieusement par des parents agriculteurs qui ne s’opposent pas à sa vocation d’entrer chez les chanoines du Grand-Saint-Bernard. En 1931, à vingt et un ans, il entre au monastère. Cependant, il accepte de renoncer à cette vie qu’il a choisie et qu’il aime, comme en attestent sa correspondance et ses écrits, quand ses supérieurs lui proposent, en vertu d’un accord qu’ils ont avec les Missions étrangères de Paris, de partir, lui, habitué à la haute montagne, évangéliser le Tibet. Bien qu’il sache cette mission difficile, pénible, dangereuse, et qu’il lui en coûte de quitter les siens, Tornay accepte, désireux de faire la volonté de Dieu et de sauver les âmes. De la sorte, il poursuit le programme qu’il s’est fixé : « Ma vocation est de quitter le monde et de me dévouer complètement au service des âmes afin de les conduire à Dieu et de me sauver moi-même. »

Ayant prononcé ses vœux solennels en 1935, il part pour la Chine et passe plusieurs années au Yunnan, à la frontière entre la Chine et le Tibet, afin d’apprendre le chinois et de se familiariser avec les usages locaux. Il est ordonné prêtre par l’archevêque d’Hanoï le 24 avril 1938. Il éprouve très douloureusement l’absence et l’éloignement des siens en ce grand jour, mais il sublime sa peine afin de leur obtenir des grâces. Il est nommé curé de Yerkalo, au Tibet. Alors que la guerre fait rage dans la région, les conditions de vie sont très rudes. Pourtant, Tornay résiste à la faim, à la solitude et aux menaces. Mais sa prédication et les conversions qu’il opère dérangent le lama local. Le monastère bouddhiste vit en partie d’un impôt qu’il prélève sur les paysans de la région. Animé par un très grand sens de la justice et ne voulant pas que ses fidèles continuent à entretenir de leur argent un culte non chrétien, Tornay les incite à ne plus payer. Le lama réussit d’abord à éloigner le chanoine de Yerkalo en le déportant de force dans une zone qui ne compte aucun chrétien, puis à le faire expulser au Yunnan.

La Chine entamant son annexion du Tibet, Tornay croit pouvoir faire appel de cette décision auprès du gouverneur de Nankin, mais celui-ci n’a aucune autorité dans l’affaire et cette malencontreuse tentative fait classer le chanoine Tornay comme agent chinois... Il est plus que jamais indésirable au Tibet. Il a alors l’idée d’en appeler au Dalaï-Lama, à Lhassa, et de défendre devant lui son droit imprescriptible à prêcher l’Évangile. Sa tentative pour gagner Lhassa en se mêlant à une caravane tourne court malgré son déguisement. Il est derechef expulsé.

Ses échecs répétés ne le découragent pas : il veut être libre de prêcher le Christ, quel que soit le prix à payer. Bien qu’on le lui déconseille, il décide de refaire une tentative au cours de laquelle, alors qu’il franchit le col de Choula, il est assassiné avec son coolie par des moines bouddhistes qui leur tirent dans le dos. On est le 11 août 1949. Tornay ne reverra Yerkalo que pour être inhumé dans le jardin de la mission. Jean-Paul II l’a béatifié en 1993.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Maurice Tornay, Écrits valaisans et tibétains, Brépols, 2018.


En complément

  • André Bonet, Les Chrétiens oubliés du Tibet, Presses de la Renaissance, 2006.

  • Claire Marquis-Oggier et Jacques Darbellay, Courir pour Dieu. Le bienheureux Maurice Tornay (1910 – 1949), martyr au Tibet, Éditions du Grand-Saint-Bernard, 1999.

  • En ligne, le site des chanoines du Grand-Saint-Bernard propose un dossier sur Maurice Tornay.

  • Un site Internet est dédié au bienheureux.

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