
Transporté à l’étable de Bethléem, puis sur le chemin de Croix
Gaétan de Thiène, gentilhomme de Vénétie (Italie), longtemps employé comme diplomate au service de la Sérénissime, tergiverse avant d’envisager la prêtrise. Pourtant, ce n’est pas faute de piété, puisque, depuis son adolescence, il se fait remarquer par sa grande dévotion et son désir de servir l’Église, mais plutôt par crainte de son indignité. Il est finalement ordonné prêtre à trente-six ans. Il fonde les Théatins en 1524 avec l’évêque de Théate (Chieti), afin de ranimer la ferveur spirituelle du clergé par une vie de prière, de pauvreté et de zèle pastoral. Il meurt à Naples le 7 août 1547 et est canonisé en 1671.
Les raisons d'y croire
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Début 1518, Gaétan de Thiène envoie une lettre circonstanciée à sœur Laura Mignani, une religieuse augustine de Brescia. Née comme lui dans les années 1480, appartenant comme lui à la haute aristocratie italienne, sœur Laura est une conseillère spirituelle pour Gaétan, qu’elle aide à conserver sa vocation dans le monde. Il est habituel qu’il lui confie ses états d’âme et qu’il lui relate ses expériences mystiques, la sachant éclairée et sage en ce qui concerne les choses de Dieu. Elle a d’ailleurs été béatifiée. Grâce à cette correspondance, intégralement publiée dans les années 1550, nous possédons le récit par Gaétan lui-même de l’apparition dont il a bénéficié le 24 décembre 1517 et de celles qui l’ont suivie, les 1er et 6 janvier 1518, lors des fêtes de la Circoncision et de l’Épiphanie.
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Le 24 décembre 1517, l’abbé de Thiène célèbre sa première messe dans la basilique romaine Sainte-Marie-Majeure, précisément dans la chapelle qui abrite les reliques de la crèche. Soudain, voilà que son regard est attiré par une vive clarté qui baigne l’autel et dans laquelle il distingue peu à peu des silhouettes. En regardant mieux, il reconnaît les personnages de la Nativité et s’aperçoit qu’il n’est plus dans la basilique, mais miraculeusement transporté dans l’étable de Bethléem, à l’heure de la naissance du Christ. Il en perçoit les moindres détails et en sent les odeurs. Il peut toucher ce qui l’entoure et n’a aucun doute sur le caractère matériel de ce qui l’environne. Ainsi est-il assuré de ne pas s’illusionner.
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Ainsi qu’il l’écrit à sœur Laura : « À l’heure de sa très sainte naissance, je me suis trouvé dans la véritable et matérielle Nativité. Des mains de la Vierge timide, j’ai reçu ce tendre Enfant, le Verbe éternel. » Comme il n’ose pas s’approcher ni prendre l’Enfant Jésus dans ses bras, saint Jérôme, dont les reliques se trouvent aussi dans la basilique, lui apparaît également et le presse de prendre le nouveau-né. Gaétan s’y décide enfin. Cette hésitation même est une preuve qu’il ne se fabrique pas une vision, mais qu’il se trouve véritablement confronté à quelque chose qui le dépasse et qu’il ne sait pas trop comment gérer.
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Jusque-là, rien dans la vie de l’abbé de Thiène ne le prédisposait à des rêveries mystiques. Il est certes très pieux, mais il a les pieds sur terre. Ses succès universitaires – il a brillamment obtenu ses doctorats de droit civil et canonique et son doctorat de théologie –, sa carrière de diplomate au service de Venise, très efficace, son rôle de protonotaire apostolique, puis la façon dont il gérera ensuite les affaires de l’ordre des Théatins, qu’il a contribué à fonder, et celles de la maison de Naples, démontrent la rationalité parfaite de son esprit. Il n’est nullement un exalté.
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Il n’est pas non plus quelqu’un qui cherche à briller et à se rendre intéressant ; c’est même tout le contraire. Ce qu’il raconte à sœur Laura, qui joue près de lui un rôle discret de conseillère spirituelle, n’est pas destiné à être divulgué ; il ne s’amuse pas à lui inventer des visions et elle n’est pas du genre à prendre pour argent comptant n’importe quel songe ; on peut donc se fier à son récit.
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Pendant ce temps de Noël, Gaétan aura deux autres apparitions de l’Enfant Jésus et de la Vierge Marie. On lui connaît ensuite deux autres visions plus tardives et pareillement marquées d’un caractère matériel : il accompagne le Christ le long de la Via Dolorosa et l’aide à porter sa Croix, puis il embrasse la plaie au côté du Ressuscité et boit le Précieux Sang. Il faut remarquer que toutes ces visions, dans lesquelles il joue un rôle actif et vit réellement les scènes dont il est témoin, ont en commun un aspect eucharistique en lien avec son caractère sacerdotal. C’est parce qu’il est prêtre et que ses mains sont consacrées qu’il peut toucher charnellement l’Enfant Jésus comme il touche les saintes espèces, ou s’abreuver à la plaie du Divin Cœur comme il consomme le vin du calice à la messe.
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Cette dimension eucharistique revêt un intérêt spécial car Gaétan, quand il est entré dans la confrérie du Divin Amour, à Rome puis à Vicence, encore simple laïc, a tenu à mettre la communion fréquente à l’honneur. Ce sera aussi l’un des buts que les Théatins donneront ensuite à leur apostolat, qui prélude au concile de Trente et à la Contre-Réforme.
En savoir plus
Second fils de Gaspard de Thiène et de Maria Porta, Gaétan naît à Vicence, en territoire vénitien, le 1er octobre 1480. Consacré à Marie dès sa naissance, il développe très jeune une intense piété mariale, mais n’en accepte pas moins de suivre la carrière que lui trace son père en se mettant au service de la diplomatie vénitienne. Envoyé à Rome, il attire l’attention du pape Jules II, qui l’honore du titre de protonotaire en espérant retenir ce pieux et brillantgentilhomme au service de la papauté. Rappelé à Vicence par la mort de sa mère, Gaétan y démontre bientôt qu’il préfère les affaires de Dieu à celles du monde en y organisant l’hôpital de la Miséricorde et la confrérie locale du Divin Amour. Appelé à Venise, il s’y consacre pareillement aux œuvres de charité alors que la peste s’y déchaîne, ce qui demande un courage héroïque.
De nouveau envoyé à Rome et ordonné prêtre en 1517, il y fait la connaissance de l’évêque de Théate (Chieti), Gian Pietro Caraffa, futur pape Paul IV. Ils ont en commun un profond désir de réformer l’Église, en commençant par un clergé devenu scandaleux. Avec l’aide de Boniface de Colli et de Gian Paolo Consiglieri, ils fondent ce qui deviendra l’ordre des Théatins, du nom du siège épiscopal de Mgr Caraffa, qui se donne pour but de réformer en profondeur le clergé en le détachant de l’amour des biens matériels, raison pour laquelle Gaétan posera comme principe intangible que les Théatins ne possèdent strictement rien, s’abandonnant entièrement au bon vouloir de la Providence. Ils se donnent pour mission de rendre leur sainteté aux églises, de restaurer les splendeurs de la liturgie, d’encourager la pratique de la confession et de la communion fréquentes, de prêcher, de lutter contre l’hérésie luthérienne, qui se propage dans le monde catholique, de soigner les malades, d’assister les mourants et plus spécialement les condamnés à mort.
Installés à Rome en 1524, les Théatins doivent la quitter dès 1527 lors du sac de Rome par les troupes de Charles Quint – épisode sanglant durant lequel, arrêtés, menacés de mort, frappés, Gaétan et ses compagnons échappent de peu au martyre. Ils parviennent providentiellement à se réfugier à Venise.
Envoyé fonder la maison de son ordre à Naples – entreprise menée au prix de très nombreuses difficultés –, Gaétan, hormis les périodes où il assumera le supériorat général, y passera le reste de sa vie, s’illustrant par son esprit de dépouillement, ses grandes pénitences et ses miracles. Tombé malade en 1547, il offre ses souffrances pour la réussite des travaux du concile de Trente. Il s’éteint à Naples le 7 août. Canonisé en 1669, il est le patron des demandeurs d’emploi et des chômeurs de longue durée.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Père Zinelli, Mémoires historiques sur Gaétan de Thiène, 1553.
En complément
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Anonyme, Histoire du monastère de Brescia, 1764
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Bernard Destutt de Tracy, Vie de saint Gaétan de Thiène, 1774.
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Le podcast de Jean-Luc Moens portant sur Gaétan de Thiène .
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En italien, la page Internet « Santo Gaetano Thiene » dans le Dizionario Biografico degli Italiani, produite par l’Istituto dell’Enciclopedia Italiana.