
Le christianisme et les droits de l’homme
Se fondant sur l’affirmation biblique que tout être humain est créé à l’image de Dieu, le christianisme aboutit à la reconnaissance de la dignité de chaque être humain. Jésus, par son attitude envers les exclus et son enseignement de l’amour du prochain, manifeste cette dignité universelle. Les premiers chrétiens ont combattu certaines pratiques antiques inhumaines et ont promu l’égalité morale. L’Église a aussi initié des œuvres sociales fondées sur la charité. C’est en Europe occidentale, dans ce contexte marqué par plus d’un millénaire de christianisme, que les droits de l’homme sont apparus. Toutefois, les racines chrétiennes des droits humains sont souvent méconnues aujourd’hui.
Les raisons d'y croire
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Dans l’Antiquité, les sociétés ne reconnaissaient pas l’égalité et la dignité de tous les hommes au sens universel. Les hiérarchies sociales, l’esclavage, la domination patriarcale et l’exclusion de certains groupes étaient la norme. Au contraire, la Bible explique que Dieu a créé tout être humain à son image ( Gn 1,27 ), ce qui confère à tous, sans distinction, une valeur intrinsèque, indépendante de son sexe, de son origine ou de sa condition.
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Jésus-Christ manifeste concrètement la dignité commune à tous en accueillant les exclus (lépreux, femmes, étrangers), en guérissant sans discrimination et en traitant chacun avec respect et compassion. On peut citer l’exemple de sa rencontre avec la femme samaritaine ( Jn 4 ).
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De même, l’apôtre Paul enseigne que tous sont égaux devant Dieu, sans distinction d’ethnie, de statut social ou de sexe, posant les bases de la fraternité humaine universelle : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ » ( Ga 3,28 ).
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Ainsi, les premiers chrétiens se sont opposés aux pratiques inhumaines du monde antique (abandon des enfants, jeux violents du cirque, etc.), affirmant la valeur de chaque vie humaine.
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Les œuvres de charité de l’Église sont aussi le fruit de ces enseignements de l’Évangile. Les chrétiens ont mis en place de nombreuses institutions pour les pauvres, les malades, les orphelins, qu’ils soient chrétiens ou non, traduisant concrètement leur vision de l’égalité et de la solidarité.
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Des figures de chrétiens engagés, comme Bartolomé de Las Casas et William Wilberforce ont lutté contre les attaques à la dignité humaine au nom de leur foi, plaidant pour la dignité et les droits des peuples opprimés.
En savoir plus
C’est en Europe occidentale, dans une civilisation marquée par plus d’un millénaire de christianisme, que sont apparus les droits de l’homme. Si ce constat historique est unanime, une question se pose : ces droits de l’homme sont-ils le fruit de cette civilisation chrétienne ou seraient-ils apparus ici et à ce moment pour d’autres raisons ?
La dignité humaine au cœur du message chrétien
Le christianisme est l’aboutissement de la révélation divine faite au peuple d’Israël. Jésus est celui qui accomplit la Loi (la Torah) et les prophètes. Or, dès les premiers versets de la Torah, nous trouvons une affirmation essentielle, qui est le fondement même des droits de l’homme : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, homme et femme il les créa » ( Gn 1,27 ). Dieu a créé l’être humain, tous les êtres humains, à son image. Cette affirmation confère à tout être humain, sans distinction, une valeur intrinsèque, indépendante de sa naissance, de son statut social ou de ses mérites.
Aujourd’hui, cela peut nous paraître évident, justement parce que même nos concitoyens non-croyants sont influencés par les valeurs chrétiennes, mais, pour les anciennes civilisations, cela ne l’était pas. De nombreux systèmes de pensée établissent des hiérarchies en fonction de l’origine ethnique, du sexe, du milieu de naissance ou d’autres critères.
Même si nous l’oublions facilement, l’affirmation du récit de la Genèse – selon laquelle l’image de Dieu (en hébreu tselem Elohim) ne dépend ni du sexe, ni de l’âge, ni des capacités – est donc exceptionnelle. Or, c’est cette affirmation qui constitue le fondement théologique de la notion moderne de dignité humaine, reprise notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui affirme en son préambule : « La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine… »
L’exemple suprême de Jésus
Cette affirmation de la Genèse n’est pas restée théorique. Nous voyons tout au long de l’histoire d’Israël les prophètes de Dieu se lever pour dénoncer les abus de certains de leurs concitoyens qui, s’éloignant de la Loi de Dieu, accaparaient injustement les richesses, plongeant d’autres personnes dans la misère. Mais c’est sans aucun doute Jésus qui manifeste le mieux cette vérité.
Il accueille les exclus de la société : lépreux, femmes adultères, collecteurs d’impôts, étrangers.
Il guérit sans distinction et reconnaît la foi chez des personnes en marge (comme le centurion romain ou la Cananéenne).
Il pose un regard personnel sur chacun : il les appelle par leur nom, dialogue avec eux, les restaure dans leur humanité.
L’œuvre de l’Église
Cet exemple donné par Jésus a ensuite été poursuivi par ses disciples. Certes, il ne s’agit pas de prétendre que ceux-ci ont été parfaits : les chrétiens n’ont pas toujours agi en cohérence avec les enseignements de Jésus. Toutefois, dès le début, ils bouleversent certaines habitudes du monde antique qui, aujourd’hui, nous paraissent, à tous, « barbares ». Nous pouvons citer comme exemple l’exposition des enfants (pratique consistant à abandonner un nouveau-né), qui est un véritable fléau au sein de l’Empire romain. Or, les chrétiens vont lutter contre cela en affirmant la pleine humanité d’une personne dès sa conception. De même, les Pères de l’Église ont souvent lutté contre les jeux du cirque, qui exaltaient la violence en la mettant en scène, parfois jusqu’à la mort des protagonistes.
L’égalité morale et la fraternité universelle
Au-delà de la dignité individuelle, le christianisme a joué un rôle fondamental dans la diffusion de l’idée selon laquelle tous les êtres humains sont égaux devant Dieu. Cette égalité n’est pas seulement sociale ou politique, elle est avant tout morale et spirituelle.
L’apôtre Paul exprime cette vérité dans sa Lettre aux Galates : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ » ( Ga 3,28 ). Ce verset témoigne d’une fraternité universelle fondée non sur des identités collectives, mais sur une commune appartenance à Dieu. Cette idée a nourri l’idéal chrétien d’une communauté humaine unifiée par l’amour et non par la domination.
Cette égalité a aussi des implications concrètes : chacun doit se sentir responsable de l’autre, quels que soient ses liens sociaux, ethniques ou religieux. Le commandement central du christianisme résume cela ainsi : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ( Mt 22,39 ). Mais Jésus va plus loin encore, en explicitant qui est le « prochain ». Dans la parabole du bon Samaritain ( Lc 10 ), il enseigne que le prochain n’est pas celui qui appartient à notre peuple, notre foi ou notre culture, mais celui dont nous prenons soin, et celui qui prend soin de nous, même s’il est étranger ou méprisé.
C’est ainsi que, dès les premiers siècles : les chrétiens développent des œuvres de charité (hôpitaux, orphelinats, aides aux pauvres) à destination des autres chrétiens, mais aussi des païens. Ce témoignage a d’ailleurs abouti à des conversions. La conception chrétienne de l’égalité morale et de la fraternité a ainsi préparé le terrain aux valeurs essentielles qui fondent les droits de l’homme : la solidarité universelle, la non-discrimination (raciale, sociale, religieuse) et la coresponsabilité humaine dans un monde globalisé.
Au nom de leurs convictions religieuses, de nombreux chrétiens se sont engagés au cours de l’Histoire et peuvent être considérés comme des précurseurs. Animées par leur foi enracinée dans une vision biblique de la dignité humaine, ils ont été des acteurs concrets de justice, parfois au prix de leur réputation, de leur liberté ou de leur vie. Nous pouvons par exemple citer Bartolomé de Las Casas (1484 – 1566). Ce dominicain espagnol, témoin des abus commis lors de la colonisation de l’Amérique latine, est devenu un fervent défenseur des peuples autochtones. Il dénonce publiquement les exactions des colons et plaide pour une évangélisation respectueuse de la liberté et de la dignité des indigènes. Il est l’un des premiers à affirmer que les indigènes ont des droits naturels égaux à ceux des Européens. Ou encore William Wilberforce (1759 – 1833), artisan de l’abolition de l’esclavage. Parlementaire britannique et chrétien convaincu, Wilberforce consacre sa vie à l’abolition de la traite négrière. Inspiré par sa foi, il voit l’esclavage comme une offense à Dieu et à l’humanité.
David Vincent , doctorant en histoire des religions et anthropologie religieuse à l’École Pratique des Hautes Études.
Au delà
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Notons que la tradition chrétienne a toujours associé aux « droits » les « devoirs ». Or, cet équilibre n’a pas été retenu et la Déclaration des droits de l’homme occulte cette contrepartie pourtant essentielle.
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Si l’on ne se rend pas compte des racines chrétiennes des droits de l’homme, on est tenté de considérer comme des évidences universelles certaines valeurs qui sont en réalité le fruit du christianisme. En conséquence, on ne peut comprendre pourquoi des personnes appartenant à d’autres civilisations ne partagent pas ces mêmes valeurs.
Aller plus loin
Vatican II, Gaudium et spes et Dignitatis humanae (disponibles sur le site du Vatican).