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© Sun ensoleillé, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Les moines
Foligno (Ombrie, Italie)
Nº 696
XIIIe et XIVe siècles

Pietro Crisci regarde le soleil en face

En cette fin du XIIIe siècle, la population et le clergé de Foligno, en Ombrie, sont les témoins déconcertés d’un étrange phénomène : Pietrillo, comme ils l’appellent, un demi-fou à leurs yeux, est à genoux sur la piazza del Duomo San Feliciano (la place de la cathédrale), les mains levées. Il prie très longuement en gardant les yeux ouverts, fixés sur le soleil au zénith. Or, comme chacun sait, regarder le soleil en face, déjà seulement une quinzaine de secondes, cause des brûlures rétiniennes irréversibles... Miracle ou sorcellerie ? L’Inquisition s’en mêle…


Les raisons d'y croire

  • Peu après la mort de Pietro Crisci, le 19 juillet 1323, l’évêque de Foligno confie au père dominicain Giovanni Gorini le soin d’écrire une vie de cet homme trépassé en odeur de sainteté. Le religieux s’acquitte si bien de sa tâche que sa biographie, documentée aux meilleures sources, fait toujours autorité et constitue l’ouvrage de référence pour tous ceux qui s’intéressent au bienheureux patron auxiliaire de Foligno. Nous possédons ainsi des témoignages de première main.

  • Nous savons aussi que l’Inquisition a enquêté sur Pietro. Ce tribunal ecclésiastique n’a en réalité pas grand-chose à voir avec le « mythe noir » qu’a construit l’imaginaire collectif… Mais il effectuait son travail avec soin, conscient qu’il en allait du salut des âmes. Si, après avoir été saisie en raison de la scène « d’adoration du soleil », l’Inquisition a relâché Pietro en vantant la pureté de son âme et la solidité de sa doctrine et de sa foi, nous pouvons être assurés que c’est la vérité. Qu’il soit lavé de tout soupçon et autorisé à vivre selon son étrange charisme prouve que sa prétendue folie est en fait le masque d’une sagesse supérieure.

  • Comme il l’expliquera aux inquisiteurs, Pietro, en contemplant le soleil dans une attitude de prière apparente, ne retourne pas au paganisme, mais il adore en fait le Christ « Soleil de justice ». La preuve de ses dires est qu’il fixe l’astre du jour sans en être incommodé, ce qui est incompréhensible, à moins qu’il ne contemple effectivement réellement la Sainte Face, seul soleil qui compte pour lui.

  • Enivré de la richesse de sa famille, Pietro dissipe sa jeunesse dans les plaisirs interdits, jetant l’argent par les fenêtres et provoquant scandales et bagarres. Mais, alors qu’il atteint la trentaine, la mort soudaine de ses parents lui fait brusquement comprendre la vanité de son existence et ses véritables enjeux : le salut ou la damnation éternelle.

  • Entré en possession de son énorme héritage, Pietro, suivant la parole du Christ au jeune homme riche , vend absolument tout ce qu’il possède et ne garde rien pour lui : il distribue tout son argent aux pauvres. Dès lors, les habitants de Foligno vont voir le fils Crisci, qu’ils ont connu couvert d’habits somptueux, aller dans les rues pieds nus, vêtu d’un sac de bure, été comme hiver. Lui qui festoyait dans les tavernes jeûne presque continuellement au pain sec et à l’eau. Il mène une vie érémitique en pleine ville et en priant sans cesse. Un tel retournement, une pénitence si longue et une conversion si durable ne peuvent venir que de Dieu.

  • Il faut aussi admirer qu’un homme jadis riche et puissant s’abaisse ainsi volontairement devant ses amis et ses connaissances sans aucun orgueil ni même amour-propre, recevant ce surnom de Pietrillo, qui comporte une forte dose de mépris et qui signifie à peu près « Pierrot le Cinglé ». Ainsi Crisci réalise-t-il l’idéal des fols-en-Christ, plus fréquent et mieux compris chez les orthodoxes, qui consiste à tout abandonner aux soins de la Providence, quitte à passer pour dément, pour l’amour de Jésus.

  • Lui qui ne possède plus rien veut continuer à donner. Il accepte donc tous les petits travaux qu’on lui propose, jusqu’aux plus rebutants, afin de gagner un peu d’argent et de venir en aide à plus malheureux que lui. Un jour qu’il n’a plus un sou pour secourir une détresse pressante, Pietro pousse la charité jusqu’à l’héroïsme en se vendant lui-même, devenant volontairement un esclave. Seul un très grand amour de Dieu et du prochain peut conduire si loin.


En savoir plus

Pietro Crisci, fils unique d’un riche marchand ombrien de la ville de Foligno, appartient à l’élite de la société italienne de son temps. Quoiqu’il ait reçu une excellente éducation chrétienne, la grosse fortune de sa famille éteint vite en lui toute conscience religieuse. Jusqu’à l’âge de trente ans, il va sans contraintes brûler la fortune paternelle dans une vie de plaisirs et de débauche insensée, s’acoquinant avec les plus mauvais garçons de la région et semant la terreur autour de lui en raison des incessantes bagarres et émeutes qu’il a l’art de provoquer.

La mort soudaine de ses parents lui cause un tel choc, une peine si profonde, que toute sa vie en est retournée d’un coup. Il comprend que toutes les satisfactions dont il s’entoure sont fausses et qu’elles le conduisent à la perdition éternelle. Il décide alors de changer de vie et de faire pénitence.

Ayant vendu et distribué aux pauvres tous ses biens, le voilà lui-même réduit à l’indigence. Crisci passe désormais pour un fou aux yeux de toute la ville, réputation qui s’aggrave quand il se vend lui-même comme esclave afin de trouver de l’argent pour aider un miséreux. Libéré par son maître et n’ayant plus de toit, il est hébergé par charité dans l’escalier du campanile de la cathédrale Saint-Félicien, qu’il ne quittera plus, sinon pour des pèlerinages à Rome et à Assise.

Il est reçu membre du tiers ordre franciscain. Le 19 juillet 1323, il meurt dans l’escalier du Duomo, qui lui servait de logis. La vox populi le porte aussitôt sur les autels, et il est inhumé dans une chapelle de la cathédrale. S’il n’est que bienheureux pour le martyrologe catholique, Pietro est vénéré comme un saint à Foligno, au même titre que sainte Angèle et sainte Claire de Montefalco , ses compatriotes qu’il tentait d’imiter dans leur vie de pénitence. Le septième centenaire de sa mort, en 2023, a donné lieu à une reconnaissance de ses reliques et de grandes manifestations de piété.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Padre Giovanni Gorini, Vita di Pietro Crisci (vers 1390–1400).


En complément

  • Révérend père Barnabo Filippini, Vita del beato Pietro Crisci da Foligno, 1610.

  • Fortunato Frezza, Beato Pietro Crisci, confessore, compatrono di Foligno, 2010. Disponible en ligne .

  • La biographie de Pietro Crisci, sur le site Internet Santi e Beati .

  • Une notice biographique est disponible sur le site Internet Key to Umbria .

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