
Olga, mère de la Russie chrétienne (+969)
Olga fait partie de ces femmes qui ont changé la face du monde. En recevant le baptême chrétien par l’Église d’Orient à la fin des années 950, elle a donné au Christ le monde slave. Mais son baptême aura également transformé en modèle de sagesse cette redoutable princesse varègue qui avait tiré de l’assassinat d’Igor, son époux, une vengeance à rebondissements si effroyable qu’elle est entrée dans la légende. Olga, dite « l’Illuminatrice », assumera pacifiquement jusqu’à sa mort, en juillet 969, l’honneur d’être la première chrétienne de Russie.
Les raisons d'y croire
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Si l’histoire de la princesse Olga, telle qu’elle nous est parvenue à travers la Chronique de Nestor, un texte rédigé deux siècles après sa mort, ressemble à un roman d’aventures, l’existence de cette femme d’exception ne peut être mise en doute, pas plus que les grands événements de sa vie qui l’ont propulsée sur le devant de la scène et fait d’elle un acteur majeur de son temps. D’ailleurs, la princesse est bien mentionnée dans les chroniques byzantines contemporaines (celles de Constantin II, De administrando Imperio).
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Olga grandit dans la foi païenne de ses ancêtres varègues, les Vikings qui se sont installés en Russie et en Ukraine. En 945, lorsque son époux, Igor, prince de Kiev, est assassiné, Olga fait preuve d’une rare détermination pour sauver la couronne de son petit Sviatoslav et pour venger la mort de son mari. Elle s’impose comme régente et attire les Drevliens dans un piège. Elle les massacre avec une cruauté tranquille et répétitive, ne cessant qu’après avoir anéanti leurs élites, brûlé leur ville et réduit femmes et enfants en esclavage. La vengeance d’Olga est si longue et si atroce qu’elle restera dans les annales. Olga est donc alors une femme inaccessible à la pitié et vindicative. Pour elle, le pardon des offenses est une notion incompréhensible et, pis encore, une faiblesse coupable. Nul ne pourrait la penser susceptible de se laisser toucher par la loi d’amour du Christ.
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Pourtant, moins de dix ans après ces drames, parrainée par l’empereur byzantin Constantin VII, Olga reçoit le baptême orthodoxe et le prénom d’Hélène. Les raisons politiques et diplomatiques qui peuvent motiver cette conversion n’expliquent pas le radical changement d’attitude de la princesse régente, qui va désormais gouverner ses États en souveraine chrétienne.
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Olga a sans doute rencontré des missionnaires chrétiens ou bien, émue par ce qu’elle a découvert du christianisme lors de ses séjours à Constantinople, et comprenant que sa vindicte n’a pas apaisé la douleur de la mort de son mari, elle s’est décidée à se convertir.
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Elle fait bâtir les premières églises de Kiev (qui sont aussi les premières constructions en pierre du pays) et modernise le gouvernement, le dotant d’une véritable administration, avec une sagesse qui doit certes beaucoup à son intelligence et à son sens politique, mais qui relève aussi de l’action désormais visible de l’Esprit Saint dans sa vie.
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Le plus étonnant est que cette femme, jadis sans scrupules, ne cherche pas à imposer par la force et la torture à son peuple et à ses proches d’abandonner le paganisme. Elle en a pourtant les moyens. Consciente que le christianisme est une religion de liberté et d’amour, elle évite l’épreuve de force.
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Olga souhaite introduire le christianisme, mais elle se heurte à la résistance de son fils Sviatoslav, fidèle au paganisme : « Comment pourrais-je abandonner mes dieux ? Tous mes guerriers se moqueraient de moi. » Faute de parvenir à convaincre son fils, Olga soutient les chrétiens dans son entourage. Son petit-fils, Vladimir le Grand, se convertira officiellement en 988 et christianisera toute la Rus, assurant l’avenir chrétien de la région, sans effusion de sang.
En savoir plus
Née à Pskov à la fin du IXe siècle, Helga (ou Olga) – prénom germanique qui évoque l’élection divine, la bénédiction des dieux et une forme de vertu – est la fille d’Oleg le Sage, un chef de clan varègue qui s’est implanté dans la région qui deviendra celle de Kiev et que l’on appellera la Rus – cœur et ancêtre de la Russie moderne.
Une légende raconte qu’elle aurait un jour fait passer une rivière au prince héritier Igor, qui, séduit par la belle batelière, aurait voulu en faire sa maîtresse. Olga aurait alors menacé de le jeter à l’eau ou de s’y jeter elle-même si elle n’y parvenait pas, plutôt que de céder à ses avances. Quoique l’histoire soit fausse, elle met en évidence deux traits dominants du caractère de la jeune fille : son sens de la vertu, et un courage qui la rend capable de se défendre en toutes circonstances et sans s’arrêter ni aux moyens ni aux considérations morales. Cela fera d’elle une grande criminelle, puis une grande sainte.
Peu après l’arrivée du prince Igor à la tête du duché de Rus, en 912, Olga lui est donnée en mariage. Elle doit avoir une vingtaine d’années. On ne leur connaît qu’un enfant, le prince héritier Sviatoslav, qui naît alors que sa mère a passé la quarantaine. Qu’Olga n’ait pas été répudiée malgré sa stérilité persistante prouve la profondeur de l’amour que lui porte Igor.
En 945, alors qu’il opère en personne la collecte du tribut annuel, Igor est victime de la trahison de ses alliés drevliens, qui l’attirent dans un guet-apens et l’écartèlent. Olga se retrouve seule avec un fils en bas âge incapable d’assurer la succession paternelle et en grand danger d’être tué à son tour. Se faisant déclarer régente et n’ayant pas les forces nécessaires pour résister aux Drevliens, elle feint d’accepter leur offre de paix et même le mariage qu’ils lui proposent. Puis, elle fait enterrer vivants les premiers ambassadeurs et brûler vifs les seconds, qui sont venus la trouver sans méfiance. Ayant ainsi décapité les élites de l’ennemi, une nouvelle ruse tout aussi cruelle lui permet d’incendier leur capitale et de massacrer leur population.
Olga reçoit le baptême entre 955 et 959, soit à Kiev soit plus probablement à Constantinople, puisqu’elle est parrainée par le basileus Constantin II et son épouse Hélène, dont elle reçoit le prénom. Dès lors, son fils la laissant aux affaires, elle entreprend de transformer le duché de Rus en un véritable État moderne qu’elle dote d’une administration digne de ce nom. Elle construit les premières églises de Kiev et, faute de convertir le prince Sviatoslav, obtient de lui qu’il la laisse éduquer son petit-fils Vladimir dans la foi chrétienne.
Morte octogénaire en juillet 969, Olga, mère de la Russie chrétienne, est canonisée en 1284 par l’Église orthodoxe, qui lui conférera ensuite, pour son rôle d’évangélisation du pays, le titre « d’égale aux apôtres ».
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Louis Paris, Chronique de Nestor, 1834. Disponible en ligne .
En complément
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Jean-Pierre Arrignon, Les Relations internationales de la Russie kiévienne au milieu du Xe siècle et le baptême de la princesse Olga, dans les Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, no°9, 1978. Disponible en ligne .
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Dimitri Obolensky, The Baptism of Princess Olga of Kiev, Byzantina Sorboniensa, 1984, en ligne (en anglais).
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La vidéo d’Arnaud Dumouch : « La vie de sainte Olga de Kiev, à l’origine de la conversion de la Russie ».