Je m'abonne
Les martyrs
Irlande et Thuringe (Allemagne actuelle)
Nº 686
640 – 689

L’assassinat de Kilian de Wurtzbourg, un moine irlandais venu annoncer le Christ à Thuringe

Après l’évangélisation de l’Irlande, au cours Ve siècle, les vocations religieuses masculines et féminines se comptent par milliers à travers le pays. Des dizaines d’abbayes se fondent dans les lieux les plus inhospitaliers et d’innombrables jeunes gens choisissent la rudesse et l’inconfort de cette existence pour se rapprocher du Christ. Encore n’est-ce pas assez pour certains d’entre eux qui rêvent de missions d’évangélisation lointaines. La mort pour le Christ, Kilian ira la chercher au fin fond de la Germanie, au nom de la sainteté du mariage.


Les raisons d'y croire

  • La source historique la plus sûre que nous possédions à propos de saint Kilian est le martyrologe de Raban Maur († 822). Elle a le mérite de ne pas le confondre avec deux autres Kilian, plus ou moins ses contemporains, qui menèrent une vie érémitique dans la région de Meaux, près d’autres saints missionnaires irlandais, Faron et Fiacre. Quoique succinct, ce martyrologe s’appuie sur des sources germaniques plus anciennes et permet de reconstituer les grandes lignes et les événements marquants de la vie de Kilian. La vie et la vocation de Kilian et de ses compagnons, Colman et Totnan, sont conformes aux traditions et aux usages du monachisme irlandais du VIIe siècle, qui nous sont bien connus.

  • Animés par un fort appel à partir évangéliser les païens, encore nombreux en Europe, ces moines embarquent pour le continent en quête de territoires à convertir au christianisme. Ils savent qu’ils ne reverront jamais leur patrie et qu’ils vont sans doute au-devant d’une fin tragique. Il faut s’enfoncer toujours plus vers l’est, en des régions presque inconnues, parmi des populations barbares réputées pour leur violence et leur brutalité. Leur décision de partir est donc bien pesée et soupesée. Il faut un grand amour du Christ et des âmes pour prendre de tels risques.

  • Comme les trois moines ont le désir de servir l’Église, ils se rendent d’abord à Rome, vers 686, afin d’obtenir du pape la légitimité de leur mission et de savoir de lui quelles contrées il juge bon d’évangéliser en priorité. C’est donc bien par l’Église qu’ils sont envoyés dans les régions de Thuringe et de Franconie. Là encore, il leur serait loisible de renoncer. Ils ne le font pas.

  • Les débuts sont pourtant prometteurs, puisque Kilian va convertir et préparer au baptême le duc Gozbert de Franconie. Les problèmes vont venir quand Kilian pose comme condition préalable qu’il renvoie sa compagne, la reine Geilana, qui n’est autre que la femme de son frère récemment décédé. Manifestement, dans des circonstances qu’il juge analogues, Kilian suit l’exemple de Jean le Baptiste, qui réclamait qu’Hérode chasse sa belle-sœur, Hérodiade, dont il avait fait sa femme bien qu’elle soit déjà mariée à son frère Philippe. Kilian connaît pourtant la fin de l’histoire et les risques qu’il prend en agissant ainsi.

  • En effet, dans toutes les cultures qui pratiquent la polygamie, l’inceste princier, la répudiation ou le remariage, les exigences de la morale chrétienne concernant les mœurs et le mariage seront toujours et partout très mal reçues, car elles mettent en danger un modèle social ancestral, ainsi que des intérêts financiers et politiques. De nombreux missionnaires, surtout en Extrême-Orient, le paieront de leur vie, mais l’Église préfère renoncer à des conversions princières prometteuses plutôt que prêcher une foi au rabais et accepter des accommodements honteux. La morale chrétienne, parce qu’elle est fondée sur Dieu, est constante et immuable. Elle contraste par cela fortement avec les systèmes moraux humains, instables, qui varient selon les époques, les cultures et les régimes.

  • En apprenant que son mari, sous l’influence de Kilian, s’apprête à la renvoyer, Geilana, humiliée et furieuse, paie deux tueurs à gages pour assassiner Kilian et ses compagnons, puis fait disparaître tous leurs objets personnels afin de faire croire que les missionnaires ont pris la fuite et quitté le pays. Ce crime a lieu dans la ville d’Herbipolis, aujourd’hui Wurtzbourg (sur le Mein), le 8 juillet 689. Une nécrologie locale datant du VIIIe siècle mentionne aussi l’assassinat de Kilian, à cette même date et en ce même lieu.

  • Une convertie, témoin du crime, dénonce le complot et révèle le lieu de la sépulture des martyrs, dont les crânes ont été conservés jusqu’à ce jour. Le reliquaire de saint Kilian est porté en procession chaque année à Wurtzbourg le jour de sa fête. La liturgie liée à ces reliques est ancienne : dès la fin du VIIIe siècle, la fête de la translation figure dans le calendrier et, au IXe siècle, on mentionne déjà leur exposition.


En savoir plus

Kilian naît en Irlande, dans la région de Mullagh, vers 640, dans une famille de l’aristocratie gaélique christianisée. Comme de très nombreux jeunes gens de son milieu, il est élevé par les moines, qui ont repris le rôle d’éducateur des druides. Au terme de ses études, il choisit à son tour la vie monastique. Dans les conditions extrêmes qui sont celles de la vie dans les monastères gaéliques, il s’illustre par sa très grande dévotion à la Passion du Christ. C’est en méditant ce qu’a coûté le salut de l’humanité qu’il décide de partir au risque de sa vie porter l’Évangile aux populations païennes d’Europe centrale.

Kilian et ses compagnons sont reçus un temps à Luxeuil, dans le Jura, où s’est installé leur compatriote Colomban. Ils apprennent de lui ce qu’il y a à savoir sur les contrées dangereuses vers lesquelles ils s’apprêtent à partir, et assimilent suffisamment de rudiments de langue germanique pour pouvoir enseigner et prêcher.

Kilian se rend ensuite à Rome vers 686, pendant le bref pontificat du pape Conon, qui lui confère la dignité épiscopale et lui conseille de se rendre dans les régions de Thuringe et de Franconie, jamais convenablement évangélisées en dépit de leur proximité avec les possessions mérovingiennes.

Sur les rives du Mein, Kilian convertit le duc Gozbert. Mais il ne veut pas donner le baptême à un homme qui a pris l’épouse de son frère. Apprenant que Gozbert va la renvoyer, la reine Geilana profite d’un voyage de son mari pour faire assassiner les trois missionnaires irlandais, qu’elle fait enterrer avec leurs bagages pour accréditer leur départ.

La Tradition dit que Gozbert fut assassiné à son tour pour n’avoir pas voulu châtier sa femme. Quant aux coupables, ils devinrent fous ou se suicidèrent. Il faudra attendre saint Boniface, cent ans après, pour que l’on revienne porter la parole du Christ dans ces régions d’Allemagne.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Le martyrologe de Raban Maur.


En complément

  • Pour le contexte général : Marie-Pierre Terrien, La Christianisation de la région rhénane du IVe au milieu du VIIIe siècle. Corpus et synthèse, Collection de l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité, 2007.

  • La biographie historique de Franz Emmerich, Der Heilige Kilian, Regionarbischof und Martyrer, 1896 (en allemand).

  • Ludwig K. Walter propose un inventaire bibliographique exhaustif des sources relatives à Kilian (passio, nécrologies, martyrologes, articles, monographies…) : St. Kilian : Schrifttumsverzeichnis zu Martyrium und Kult der Frankenapostel und zur Gründung des Bistums Würzburg, 1989 (en allemand).

  • Les manuscrits médiévaux de la Libri Sancti Kiliani de l’université de Würzburg, disponible en anglais et allemand sur la plateforme Franconica.

Précédent
Voir tout
Suivant