
Dix années de goulag n’ébranlent pas la foi de Vasyl Velychkovsky
Bienheureux Vasyl Velychkovsky (1903 – 1973), évêque de l’Église gréco-catholique ukrainienne, fait preuve d’une fidélité au Christ héroïque face à la persécution soviétique. Emprisonné et torturé pour sa foi, il réussit à transformer sa longue captivité au goulag en mission d’évangélisation. Libéré mais très affaibli par sa détention, il continue de témoigner du Christ, jusqu’à sa mort en exil, le 30 juin 1973, des suites des mauvais traitements subis. Il est béatifié en 2001 par Jean-Paul II.
Les raisons d'y croire
En 1945, l’Église gréco-catholique ukrainienne est interdite par le régime soviétique, et Velychkovsky refuse de rejoindre l’Église contrôlée par l’État. Sa fidélité, face aux persécutions, montre la cohérence et la force de sa foi catholique, qu’il sait être une vérité absolue et non négociable.
Il passe alors dix ans au goulag, subissant tortures, mauvais traitements et humiliations. Il continue à prier, à célébrer l’Eucharistie en secret et à venir en aide à ses codétenus. Les archives historiques démontrent sans aucun doute possible la résistance psychologique et physique de Vasyl, bien supérieure aux capacités humaines habituelles. Sa force intérieure et sa paix surnaturelle ne peuvent qu’être l’action de la grâce et s’expliquent par sa foi vivante en Dieu, qui soutient ses témoins.
Il ne maudit jamais ses geôliers et, après sa libération, il ne cherche ni vengeance ni revanche. Il témoigne publiquement, avec paix et humilité, du pardon et de l’espérance chrétienne. Le pardon accordé aux persécuteurs est un trait spécifiquement chrétien, conforme aux paroles du Christ «Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent» ( Mt 5,44 ).
Son œuvre missionnaire clandestine dure plus de vingt-cinq ans, sans que le pouvoir soviétique réussisse à arrêter son labeur. Alors que son apostolat a été vécu dans un contexte hostile très fort, les fruits de celui-ci sont nombreux, variés et durables. Vasyl parvient à former des prêtres, à évangéliser et à fortifier la foi de son peuple dans des conditions impossibles. La fécondité de sa mission, sans moyens humains visibles, est donc liée à l’action de Dieu lui-même, dans la logique de l’Évangile : « C’est dans la faiblesse que se déploie la puissance de Dieu » ( 2 Co 12,9 ).
De façon globale, la vie de Vasyl Velychkovsky manifeste une unité éloquente entre ce qu’il croit, ce qu’il enseigne et ce qu’il vit, jusqu’au don total de lui-même. Une telle cohérence donne un poids crédible à son témoignage, et sa vie même devient un argument en faveur du Christ.
Le 16 septembre 2002, trente ans après son décès, son corps est exhumé à Winnipeg. Conformément au protocole, la dépouille est examinée par une équipe pluridisciplinaire, médicale et ecclésiastique : à la surprise générale, le corps est entièrement conservé, la masse musculaire est intacte, la peau souple, les yeux encore visibles, comme «s’il avait été enterré la veille». Seule la perte des orteils (conséquence du gel enduré en prison) est constatée. Le procès-verbal d’exhumation contient les éléments d’identification formelle du corps, le relevé de la température ambiante, l’état des tissus, des lividités, de la conservation musculaire et cutanée, le processus de reconditionnement, etc.
En savoir plus
Vasyl Velychkovsky naît le 1er juin 1903 à Stanislaviv (aujourd’hui Ivano-Frankivsk), dans le royaume de Galicie et de Lodomérie, en Ukraine occidentale. Sa famille est pieuse : son père est prêtre orthodoxe et veille à transmettre un enseignement religieux digne de ce nom à ses enfants. Le jeune Vasyl prend rapidement conscience de l’importance de la foi dans sa vie, celle des siens et de son pays. Il n’oubliera jamais cet attachement spirituel au Christ.
Au début de 1918, il s’enrôle dans l’armée ukrainienne pour défendre l’indépendance du pays dans le premier conflit mondial. Mais le métier des armes ne lui convient pas vraiment. Il prie avec ardeur pour tous ses camarades, mais aussi pour les ennemis, et ne songe qu’à secourir chaque blessé et à enterrer dignement les morts.
En 1920, il entre au séminaire de Lviv (Ukraine). C’est le début d’un engagement définitif par lequel il se donne corps et âme à Dieu. Ordonné diacre quatre ans plus tard, il décide de demander son admission chez les Rédemptoristes,dans le village de Holosko, près de Lviv. Sa tentative est couronnée de succès et il devient missionnaire, comme il l’avait tant espéré. Le 9 août 1925, il prononce ses vœux, puis, le 9 octobre suivant, il est ordonné prêtre par l’évêque de Lutsk, Mgr Josyf Botsian. Il se voit confier de multiples tâches, notamment dans la province de Volhynie : catéchèse, enseignement de la théologie, accompagnement des novices, missions dans les campagnes, gestion administrative du monastère de Stanislaviv… Rien ne semble en mesure de l’arrêter. Ses frères en religion observent l’incompréhensible endurance de Vasyl. Tous s’interrogent : quand dort-il ?
Son énergie, sa piété et son discernement hors du commun font de lui le candidat parfait pour accéder aux fonctions de responsabilité au monastère. Élu prieur, il cumule les tâches sans pour autant tomber dans l’hyperactivité : c’est un homme parfaitement équilibré, privilégiant une vie spirituelle d’une abondante richesse malgré le poids du travail temporel.
Après l’occupation de l’Ukraine occidentale par les Soviétiques, en 1939, il poursuit son œuvre apostolique sans jamais perdre confiance en la Providence ni céder à la tentation du désespoir. Les obstacles – idéologiques et militaires – à son apostolat semblent lui passer totalement au-dessus de la tête… On tente de le freiner, notamment par des menaces physiques, mais en vain. Une force invisible le pousse à chaque instant à se dépasser.
Mais l’annexion de la Galicie à l’URSS entraîne sa première arrestation par le NKVD (police politique soviétique) en raison de la persécution exercée contre l’Église grecque-catholique ukrainienne par le pouvoir de Moscou. Loin d’être refroidi par cet épisode, Vasyl estime qu’il doit poursuivre le don total de lui-même à Dieu.
En 1941, il se rend dans le centre de l’Ukraine pour poursuivre son évangélisation. Mais ses activités éveillent les soupçons des nazis. À peine trois jours après son arrivée, il reçoit l’ordre d’évacuer la région sous peine de graves poursuites. Peu importe, il continue et, à compter de ce jour, rentre dans la clandestinité, prenant pour exemple les premiers chrétiens dans les catacombes de Rome. L’année suivante, en pleine guerre, il est nommé supérieur du couvent de Ternopil.
En 1945, Vasyl a échappé aux tueries du conflit. Mais les Soviétiques occupent à nouveau la Galicie. Le 7 août, il est arrêté par le NKVD pour « propagande antisoviétique » et transféré à la prison de Kiev. Après un jugement de pacotille et un chantage l’invitant à se convertir à l’orthodoxie pour avoir la vie sauve, il est condamné à la peine de mort. Pendant trois longs mois, dans l’attente du peloton d’exécution, il enseigne l’Évangile aux autres prisonniers et les prépare à recevoir les sacrements.
Finalement, sa peine est commuée en une peine de dix ans de travaux forcés dans les mines de charbon du nord de la Russie, dans le cercle arctique. S’il vient d’échapper à la mort physique, son calvaire ne fait que commencer.
En effet, les conditions de détention sont épouvantables : absence de soins, disette, travail épuisant, froid glacial… Une fois de plus, Vasyl trouve dans la prière la force de vivre l’Évangile dans un tel contexte. Il distribue ses maigres rations de nourriture à ceux qui en ont le plus besoin et il continue de célébrer la divine liturgie chaque jour, utilisant comme vases sacrés tout ce qu’il peut trouver parmi les rares objets de bois servant à la restauration.
Il effectue intégralement sa peine et n’est libéré qu’en 1955, après avoir passé plus de 3 600 jours dans l’enfer d’un goulag soviétique, sans jamais avoir perdu la foi ni même s’être arrêté de la proclamer !
Son aventure ne s’arrête pas là. De retour à Lviv, il poursuit son apostolat dans la clandestinité, sachant que, si les autorités politiques l’arrêtent une seconde fois, ce sera purement et simplement l’exécution.
Le clergé ukrainien, soumis à de fréquentes pressions, connaît l’héroïsme spirituel de Vasyl et, en 1959, le bienheureux est nommé évêque de l’Église grecque-catholique ukrainienne clandestine. Mais la cérémonie d’ordination doit attendre 1963 : elle a lieu dans une chambre d’hôtel de Moscou et est présidée par le métropolite Josyf Slipyi, lui-même fraîchement libéré et en partance pour le concile Vatican II !
Évêque ou non, la surveillance policière redouble à son encontre. Il se sait constamment surveillé, et même traqué. Mais, comme il l’a toujours fait, il évangélise de plus belle. En 1969, il est à nouveau fait prisonnier et condamné pour avoir rédigé un livre sur Notre Dame du Perpétuel Secours : il est enfermé trois ans dans un « hôpital psychiatrique », lieu de privation de liberté et de déstructuration des personnes considérées comme hostiles au régime en place. Il y vit un véritable martyre. Torturé et drogué, ses jours sont en danger. Mais ses bourreaux sont perplexes : comment Vasyl parvient-il à proclamer sa foi dans un tel univers ?
Une fois libéré, malade, il est exilé hors d’Ukraine. Il passe quelques mois en Yougoslavie, puis à Rome. À l’invitation de l’archevêque ukrainien catholique de Winnipeg, le métropolite Maxim Hermaniuk, également rédemptoriste, Mgr Velychkovsky se rend au Canada (Manitoba), où il est accueilli à bras ouverts. Il y prêche des retraites au clergé local jusqu’au jour de sa mort, le 30 juin 1973, à l’âge de soixante-dix ans.
Trente ans après son décès, le corps de Vasyl Velychkovsky est retrouvé intégralement conservé, à l’exception de ses doigts de pieds, qui étaient tombés et qui ont donc été utilisés pour faire des reliques. Des guérisons (notamment de cancers) et des conversions ont été rapportées par des personnes qui ont prié à côté de ces reliques. Son corps repose dans une châsse en l’église grecque-catholique ukrainienne Saint-Joseph de Winnipeg.
Il est proclamé bienheureux le 27 juin 2001 à Lviv par Jean-Paul II.
Au delà
Patrick Sbalchiero, membre de l’Observatoire international des apparitions et des phénomènes mystiques.
Aller plus loin
La thèse de Kseniya Kavats (2014) : « The Arrest and Imprisonment of Bishop Vasyl Velychkovsky, 1945–1955 ». Fondée sur des archives du SBU (ex-KGB), elle détaille l’arrestation et le procès.
En complément
Le site Internet du sanctuaire de Winnipeg : « Bishop Velychkovsky National Martyr’s Shrine. Canada’s Second Martyr’s Shrine ».
Une notice biographique en anglais est disponible sur le site des Rédemptoristes du Royaume-Uni.
L’article universitaire de John Sianchuk, paru dans Occasional Papers on Religion in Eastern Europe :« Blessed Vasyl Velychkovsky, Father of the Underground Church in Ukraine ».