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La profondeur de la spiritualité chrétienne
Nº 676

La métaphysique chrétienne est la plus convaincante

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Cette question conduit à reconnaître l’existence d’un Être premier, éternel, cause de tout ce qui existe. Mais quelle vision du monde correspond le mieux à cette réalité ? Le monisme, en niant le monde matériel, méprise notre expérience concrète ; le matérialisme, en niant l’esprit, prive l’homme de son espérance et de sa dignité. Seule la vision judéo-chrétienne affirme à la fois la transcendance de Dieu et la bonté de la création. En Jésus-Christ, Dieu assume le monde matériel, l’élève et le sauve. Par sa résurrection, il révèle que l’homme et le monde sont appelés à la vie éternelle. Ainsi, la foi chrétienne offre la clé la plus cohérente et la plus profonde pour comprendre le réel.


Les raisons d'y croire

  • La raison découvre que l’univers ne peut venir du néant : il suppose un Dieu créateur, source de l’être. C’est ce qu’affirme également la foi catholique : il existe bel et bien un Être premier, éternel, cause de tout ce qui est. Devant Abraham puis Moïse, Dieu s’est en effet révélé comme « celui qui Est. »

  • L’homme ne paraît pas être un simple assemblage de matière. Cette dignité unique que nous ressentons profondément révèle une dimension spirituelle chez l’homme. Elle s’oppose à toute réduction matérialiste, mais elle est bien au cœur de l’anthropologie chrétienne. L’homme est une personne, créée à l’image de Dieu, dotée d’une âme immortelle.

  • L’existence humaine est orientée vers l’éternité : l’homme a une aspiration naturelle à l’immortalité, un refus instinctif de voir en la mort la fin de tout. Cette intuition trouve aussi un accomplissement dans la foi catholique, qui annonce la vie éternelle en Dieu.

  • L’union du spirituel et du matériel culmine en Jésus-Christ, en qui la métaphysique trouve son accomplissement. Il est l’unique point où se rejoignent toutes les dimensions du réel ; en lui, l’Être éternel entre dans l’histoire, l’Esprit infini se fait chair.

  • La résurrection du Christ révèle que la matière elle-même est appelée à la gloire. La foi catholique proclame la résurrection de la chair : notre corps, uni à notre âme, est destiné à une vie nouvelle et éternelle, et non à la disparition.

  • La métaphysique judéo-chrétienne apparaît clairement comme la seule capable de saisir toute la complexité du réel, sans rien négliger de ce qui est bon dans le monde matériel, sans nier les réalités spirituelles. Elle dépasse radicalement les métaphysiques alternatives incomplètes pour offrir une réponse pleinement cohérente à notre expérience humaine.

  • Ainsi le monde a un commencement, un sens et une fin en Dieu. L’histoire n’est pas un cycle sans but ni un chaos aveugle : elle est portée par la Providence vers l’accomplissement du dessein divin, ce que l’espérance chrétienne proclame.

  • Ce que la raison perçoit, la foi catholique l’éclaire et l’accomplit. Entre foi et raison, il n’y a pas de rupture : la foi parachève ce que la raison entrevoit. D’ailleurs, l’Église catholique n’a jamais opposé la foi et la recherche philosophique. Bien au contraire, elle a toujours encouragé les efforts de la raison pour mieux comprendre le réel.


En savoir plus

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Depuis toujours, les grands penseurs se sont accordés sur un point fondamental : « Ex nihilo, nihil fit » – c’est-à-dire : « Du néant, rien ne sort. » Voilà une évidence absolue. L’être ne peut surgir du néant. Les choses n’apparaissent pas spontanément sans cause, elles ont toujours une origine.

De ce constat, les différentes écoles philosophiques tirent la même conclusion : il doit exister un être premier et éternel, un principe à l’origine de tout, sans lequel rien n’aurait jamais pu commencer à exister. Si tous sont d’accord avec cela, les avis divergent sur les caractéristiques de cet être éternel, et c’est sur ce point précis que les différents courants métaphysiques vont se séparer.

Parmi ceux-ci, un seul est pleinement cohérent, un seul rend pleinement justice au réel : le courant métaphysique chrétien.

1. Le courant moniste

Pour les monistes, tout ce que nous percevons – le monde, les personnes, l’amour, même notre propre corps, etc. – n’existe pas vraiment. Seul existe l’Être unique, immatériel, immuable. Voilà le principe premier et éternel ; tout le reste n’est qu’illusion. Quant au monde concret tel que nous l’expérimentons, il n’est qu’une apparence trompeuse, un voile à déchirer.

Mais cette vision se heurte brutalement au réel. Lorsque la douleur frappe, lorsque nous perdons un être cher, pouvons-nous sincèrement penser que tout cela n’est qu’une illusion ? Non, la souffrance, l’amour, la mort nous rappellent brutalement que le monde matériel n’est pas un rêve : il est bel et bien réel.

En niant cette réalité tangible, le monisme conduit finalement à une fuite du monde, à un mépris du corps et de la vie concrète. Il désincarne l’homme et le conduit à une impasse.

2. Le courant matérialiste

À l’opposé, les matérialistes ne nient pas la réalité de la matière ; au contraire, ils ne croient qu’en elle, et, s’il y a une illusion, c’est bien de croire qu’il y a autre chose. Selon eux, le principe premier, l’Être éternel, c’est l’univers matériel. La matière a toujours existé, elle est éternelle, et c’est d’elle que tout est issu.

L’esprit humain, par exemple, n’est qu’une simple fonction biologique du cerveau, une sorte d’illusion créée par des interactions physiques et chimiques. En conséquence directe, l’idée même d’une âme immortelle ou d’une vie après la mort est totalement rejetée.

Mais cette vision heurte frontalement notre expérience humaine la plus profonde. Face à la mort d’un proche, nous ressentons une révolte intérieure à l’idée que tout s’arrête définitivement à la tombe. Cette aspiration universelle à l’éternité, cette intuition profonde que l’existence humaine ne peut pas simplement s’éteindre, révèle une réalité spirituelle que le matérialisme refuse obstinément de considérer.

En réduisant l’homme à une simple combinaison de molécules destinées à disparaître, le matérialisme ne lui enlève pas seulement son espérance d’éternité ; il prive aussi l’existence humaine de son sens ultime.

3. Le courant judéo-chrétien

Précisons d’abord que la métaphysique judéo-chrétienne n’est pas née d’une réaction aux impasses du monisme ou du matérialisme. Elle est apparue indépendamment, et même bien avant ces deux courants, avec Abraham puis Moïse, quand Dieu se révèle comme « celui qui Est ».

Elle partage cependant avec le monisme une intuition essentielle : l’Être éternel, premier principe, est radicalement différent du monde matériel. Dieu est Esprit, transcendant la matière qu’il a lui-même créée. Mais, contrairement aux monistes, elle ne méprise pas le monde matériel : elle lui reconnaît au contraire une réalité et une dignité. Simplement, le monde ne doit pas devenir une fin en soi, mais rester un moyen pour monter vers Dieu.

De même, avec le matérialisme, elle reconnaît la réalité objective du monde matériel. Le monde existe et les plaisirs matériels sont bons. Mais, contrairement aux matérialistes, elle refuse de réduire l’homme à la seule recherche des plaisirs terrestres. Au contraire, ceux-ci doivent servir à s’élever vers Dieu, source ultime du bonheur.

Ainsi, la métaphysique judéo-chrétienne apparaît clairement comme la seule capable de saisir toute la complexité du réel, sans rien négliger de ce qui est bon dans les intuitions matérialistes ou monistes, mais en les dépassant radicalement pour offrir une réponse pleinement cohérente à notre expérience humaine.

Jésus : l’aboutissement ultime

La métaphysique trouve donc en Jésus-Christ son accomplissement. En lui, l’Être éternel entre dans l’histoire. L’Esprit infini se fait chair.

En s’incarnant, Jésus vient confirmer la bonté du monde matériel. Contrairement au mépris du monisme, Dieu ne méprise pas le monde : il y descend. Il ne nous en libère pas en nous y arrachant, mais en y entrant lui-même, pour le sauver de l’intérieur. La matière n’est pas un obstacle, mais un lieu de révélation. Le corps humain, loin d’être une prison, devient temple. En Jésus, Dieu montre que la vie terrestre a un prix, car il l’a partagée.

Mais Jésus ne se contente pas d’assumer notre condition. Par sa mort et sa résurrection, il la dépasse. Il brise les limites du matérialisme. Là où les matérialistes affirment qu’après la mort, il n’y a plus rien, Jésus ressuscité affirme qu’il y a plus : non pas une survie vague ou désincarnée, mais une vie nouvelle, transfigurée, éternelle. Il révèle que la matière elle-même, loin d’être vouée à la disparition, est appelée à la gloire.

En lui, Dieu ne renie ni le corps ni l’esprit, ni le Ciel ni la terre. Il les unit. Il les réconcilie. Jésus est à la fois la vérité de Dieu et la vérité de l’homme. Il est l’unique point où se rejoignent toutes les dimensions du réel. En lui, ce que la raison pressentait de loin devient soudain cohérent, vivant, vrai.

Antoine de Montalivet a étudié la philosophie et la théologie au séminaire diocésain de Fréjus-Toulon.


Au delà

De grands penseurs chrétiens, et en particulier les docteurs de l’Église, ont exploré les questions métaphysiques les plus profondes. Parmi eux, saint Thomas d’Aquin occupe une place unique. Maître incontesté de la métaphysique, il a su porter l’intelligence humaine à son sommet en intégrant harmonieusement l’héritage des plus grands philosophes antiques. Il a notamment accompli ce qui semblait un rêve impossible : réconcilier le platonisme et l’aristotélisme. Par son œuvre, il a montré que la foi chrétienne ne craint pas la lumière de la raison, mais l’accueille et la dépasse. Aujourd’hui encore, sa pensée demeure une source inépuisable pour quiconque cherche à comprendre la réalité dans toute sa profondeur.


Aller plus loin

Joseph Rassam, La Métaphysique de saint Thomas d’Aquin, Artège, 2019.


En complément

Claude Tresmontant, Les Métaphysiques principales, Guilbert, 1999.

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