
Saint Hervé, l’aveugle clairvoyant (+568)
« Seigneur, faites que cet enfant ne voie jamais la fausse et trompeuse lumière de ce monde ! », s’écrie Rivanone, la mère de saint Hervé, lorsqu’elle se découvre enceinte. Hivarnyon, le jeune père, corrige aussitôt ce vœu terrible en ajoutant : « Mais donnez-lui dès ici-bas de voir celle de l’éternité.» Tous deux seront exaucés. Aveugle de naissance, leur fils possédera un don de clairvoyance hors du commun.
Les raisons d'y croire
Le document que nous possédons au sujet de saint Hervé, la Vita sancti Hervei, est un texte tardif du XIIe siècle. Mais cela ne suffit cependant pas à discréditer l’existence de ce saint, un des plus populaires de Bretagne : cette Vie est probablement inspirée par des textes plus anciens qu’elle a remplacés.
L’existence d’Hervé est attestée puisque, dès sa mort, un culte lui a été rendu avec la permission de l’évêque de Saint-Pol-de-Léon, et que les moines de son monastère ont pris soin d’emporter ses reliques lors des invasions normandes pour les mettre à l’abri à Nantes. Le personnage n’est donc pas une figure légendaire.
Les conditions de sa naissance ne sont pas banales et rappellent des conceptions miraculeuses bibliques. Bien d’autres saints ont bénéficié de grâces divines exceptionnelles avant même de naître. En effet, ses parents ont tous deux fait vœu d’entrer en religion, mais Dieu les a conduits l’un vers l’autre et, par des rêves répétés et identiques, les a incités à se marier, car ils engendreront un saint. L’on retrouve la même exigence dans le récit du mariage des parents de saint Bernard et, sous un autre aspect, plus près de nous, dans l’union de Louis et Zélie Martin .
Le récit de l’éducation d’Hervé, né aveugle, est conforme aux usages bretons du VIe siècle (éducation par des parents nourriciers, études longues auprès d’un sage, héritier des druides) ; or, tout cela n’existait plus lors de la rédaction la Vita, au XIIe siècle. Il faut donc conclure qu’elle puise à des sources antiques.
Malgré ses talents de barde, Hervé renonce à faire carrière et se met à l’école de l’ermite Urfol. Mais, un jour, un loup dévore l’âne de la petite communauté. Hervé convoque alors le coupable et lui ordonne de se mettre à leur service, ce que le loup accepte sans résistance. Ce trait qui se retrouve dans la vie de saint Martin, de saint François et dans bien d’autres est loin d’être fatalement mensonger. Il rappelle que, dans la création encore préservée de la faute originelle, l’harmonie entre l’homme et les bêtes était parfaite ; les saints la restaurent.
La naissance de la communauté religieuse qui entoure Hervé est conforme au droit de l’Église et se fait avec la permission de l’évêque du lieu, non loin de Lesneven. Elle se fait dans des circonstances miraculeuses et originales : les moines ont jeté leur dévolu sur un champ déjà ensemencé, ce qui fera perdre au propriétaire sa semence et sa récolte à venir. Hervé lui promet de rendre ce qui allait être perdu au temps de la moisson « en épis mûrs et secs», ce qu’il réussit à faire, sans rien planter, ni rien acheter.
Hervé possède aussi le don de faire jaillir des sources partout où le besoin s’en fait sentir. Elles portent encore son nom et marquent le territoire où il vécut, l’ancrant dans la réalité.
Hervé n’a pas renoncé à son don pour la poésie et la musique. On conserve de lui au moins un cantique, Ar baradoz (« Le Paradis »), qui, au moment de sa mort, a été entendu par toute la communauté, chanté mystérieusement par un chœur invisible aux moines.
En savoir plus
Hervé naît au VIe siècle près de Plouzévédé, dans le Finistère. Son père, Hivarnyon, est un jeune barde de grand talent qui a séjourné, en ce début du VIe siècle, à la cour du roi franc Childebert et l’a quittée, dégoûté des vains succès du monde. Sa mère, Rivanone, avait aussi fait vœu d’entrer en religion. Hervé sera leur unique enfant. Ils se voueront à Dieu après la naissance de leur fils. Les plans divins ne sont pas toujours ceux des hommes, mais ceux-ci restent libres de les suivre ou pas.
À la mort de son père, il est confié au barde Arzian, qui lui enseignera le métier paternel, dans lequel le jeune aveugle semble avoir surpassé Hivarnyon, pourtant réputé l’un des poètes les plus talentueux de son temps. Mais il choisit finalement à son tour de se consacrer à Dieu et se retire auprès d’un ermite, son oncle maternel Urfol. Il est assisté d’un jeune garçon qui l’aide dans son quotidien d’aveugle, notamment pour les travaux des champs.
Attirés par la réputation de sainteté d’Hervé, par ses charismes et ses miracles, des jeunes gens le rejoignent, avec lesquels il va fonder un minihy, un ensemble monastique où la vie religieuse est si parfaite que le diable en prend ombrage. Un démon de l’ivrognerie va s’introduire dans la place et tenter, tout en singeant la sainteté, de corrompre les moines. Sa clairvoyance et ses pouvoirs d’exorciste vont permettre à Hervé de le démasquer avant qu’il arrive à ses fins. Hervé ne cherche pas à s’élever et refuse de dépasser le rang d’exorciste, le dernier degré des ordres mineurs, alors que l’évêque voudrait lui conférer le sacerdoce.
Si Hervé ne se plaignit jamais de sa cécité, on lui attribue la guérison de plusieurs aveugles et on le prie encore pour recouvrer la vue.
Trop bien cachées pendant la Révolution, l’essentiel de ses reliques n’a jamais été retrouvé. Il est le patron des chanteurs et des musiciens.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Saïk Falhun, Job an Irien et Bernard Tanguy, Saint Hervé. Vie et culte, Minihi Levenez, 1990. La Vita sancti Hervei (vel Hoarvei) a été traduite en français et breton dans l’ouvrage ci-dessus.
En complément
René de Laigue, Saint Hervé, Rennes, Bahon-Rault, 1909.
Hervé Calvez, Saint Hervé, Brest, 1926.
Joseph Chardronnet, Le Livre d’or des saints de Bretagne, Armor éditeur, 1977.