
Le mysticisme amplement documenté de Lydwine de Schiedam (+1433)
Lydwine de Schiedam est une sainte et une mystique hollandaise de la première moitié du XVe siècle. Elle passe la plus grande partie de sa vie alitée, malade et gratifiée de charismes extraordinaires, qui font d’elle une personnalité à part. Visions, bilocations, stigmates, inédie : Dieu multiplie les expériences invraisemblables en sa faveur, invitant à voir en elle un témoin de l’amour du Christ. Humble et charitable, elle fait l’unanimité parmi ses contemporains. Le pape Léon XIII l’a canonisée en 1890, et elle est désormais fêtée le 14 juin, date anniversaire de la translation de ses reliques.
Les raisons d'y croire
La vie de sainte Lydwine de Schiedam est étonnamment bien documentée grâce à plusieurs sources historiques, notamment des biographies contemporaines et des témoignages de son entourage. Jean Brugman († 1473), contemporain et compatriote de Lydwine, rédige la Vita Lidewigis vers la fin de la vie de Lydwine ou peu après sa mort en rencontrant des témoins oculaires de sa vie. Cette œuvre contient de nombreux éléments concrets et des détails biographiques fiables.
Quinze ans après la disparition de Lydwine, le chanoine néerlandais Thomas a Kempis († 1471) écrit aussi sa vie, en y ajoutant les interprétations des phénomènes mystiques vécus par Lydwine. Cet auteur est une immense référence spirituelle puisqu’il est l’auteur du livre chrétien le plus vendu au monde après la Bible : L’Imitation de Jésus-Christ.
De plus, les archives locales mentionnent l’existence de Lydwine, de sa famille et les soins médicaux qui lui ont été prodigués. Les chroniques religieuses des Pays-Bas du XVe siècle mentionnent l’ampleur de sa renommée après sa mort et la croissance du culte autour de sa tombe.
À partir de 1398 et jusqu’à sa mort en 1433, soit pendant trente-cinq ans, Lydwine avale une hostie consacrée tous les quinze jours et ne prend absolument aucune autre nourriture. Le 21 juillet 1421, les autorités municipales de Schiedam promulguent un document décrivant ce prodige. Les autorités ecclésiastiques observent rigoureusement la jeune femme. À cette date (donc depuis vingt-trois ans), Lydwine ne boit qu’une « seule pinte de vin diluée avec de l’eau, du sucre ou de la cannelle à pipe» par semaine, une quantité très inférieure à ce qu’un être humain doit absorber de liquide pour rester en vie.
Une autre anomalie physiologique est inscrite dans le rapport de juillet 1421 : la sainte n’a pas dormi depuis sept ans ! Cela aussi est strictement impossible sur le plan naturel.
Ses visions de Jésus et de Marie sont d’une richesse et d’une précision rares. Elle a également des visions du paradis, du purgatoire et de l’enfer. Elle voyage intérieurement jusqu’à Rome et Jérusalem. Au cours de l’une de ses visions, elle est blessée par une épine qui rentre dans son pied. Lorsqu’elle sort de l’extase, la blessure est visible.
Des témoins ont prêté serment au sujet des bilocations de la sainte. Ainsi, sa présence est avérée en deux endroits en même temps : son corps alité se trouve bel et bien dans sa chambre, à Schiedam, tandis que son « double » voyage bien loin de là. Les personnes qui rencontrent ce « double » sont unanimes : il s’agit bien de Lydwine, mais dans un état meilleur que d’habitude, comme si elle avait été guérie. Par exemple, vers 1425, lors d’une fête religieuse, Lydwine est vue en extase, les mains levées en train de prier, par tous les fidèles présents à la messe en l’église Saint-Jean de Rotterdam, à environ dix kilomètres de Schiedam. À cette époque, Lydwine est pourtant physiquement incapable de se déplacer, d’où la surprise et la certitude que c’était bien une bilocation.
Quelques années avant sa mort, et après de nombreuses années de souffrances offertes à Dieu, les plaies du Christ apparaissent sur ses mains, ses pieds, son flanc et autour de sa tête, lors d’une longue extase où elle paraît participer physiquement à la Passion du Christ.
Rien de tout cela ne relevait de l’œuvre du diable car, chez Lydwine, tout prouve que ces manifestations extraordinaires ont un sens spirituel et une consistance évangélique. Lydwine est avant tout une femme de prière, d’union à Dieu, de participation aux souffrances de Jésus sur un mode exceptionnel. Aucune de ses paroles, aucune de ses visions, ni aucune de ses révélations privées ne sont contraires à l’enseignement de l’Église.
Elle-même subordonne totalement ces faits extraordinaires à la foi en Jésus et à la charité, qui surpasse tout. Femme d’une immense humilité, on ne l’a jamais entendue mentionner elle-même ses prodiges et encore moins en tirer le moindre avantage.
Sainte Lydwine de Schiedam est reconnue pour avoir accompli plusieurs miracles après sa mort, par intercession, c’est-à-dire à travers les prières que les fidèles lui adressent, notamment sur sa tombe, devant ses reliques. Ces miracles ont joué un rôle important dans la diffusion de son culte et dans sa reconnaissance comme sainte en 1890.
En savoir plus
Lydwine de Schiedam (Lidwina van, ou Lidewij) est la fille de Peter Janszoon et de Pieternel. Elle voit le jour à Schiedam, en Hollande méridionale, le dimanche des Rameaux 1380. Elle est l’unique fille de la famille, qui comptera neuf enfants.
La fillette, intelligente et pieuse, aime prier et se recueillir dans la nature. Elle a assurément un tempérament contemplatif qui soulève des interrogations dans son entourage.
Vers l’âge de douze ans, son père souhaite la marier, comme le veut la coutume de l’époque. Sa mère pense qu’elle est trop jeune. Lydwine annonce alors qu’elle ne se mariera à aucun homme, hormis Jésus-Christ, qu’elle veut servir de son mieux. Elle supplie alors Dieu de lui envoyer une maladie incurable afin qu’elle devienne peu attrayante aux yeux du monde.
Le jour de la Chandeleur (2 février) 1395, tandis qu’elle s’amuse à glisser sur la glace, elle a un instant de distraction et tombe. Le choc est violent. Elle ne peut se relever. Elle s’est cassé une côte du côté droit. Quelques jours plus tard, une tumeur apparaît sur ce même côté. La veille de la Saint-Jean (23 juin) de la même année, la tumeur s’ouvre. Commence pour elle une période de maladie qui va durer trente-huit ans. À partir de 1398, elle ne quitte plus son lit. Jusqu’à sa mort, en 1433, elle ne remet pas une seule fois le pied à terre.
Parallèlement à cette pathologie, la future sainte souffre mille maux dont la plupart sont inexplicables : fièvres apparaissant et disparaissant sans cause, malaises, insomnies, pertes de mémoire… Des vers de la taille d’un petit doigt se mettent à sortir de son corps, son bas-ventre est dans un état effrayant. Elle perd régulièrement d’importantes quantités de sang, ne s’alimente plus guère…
Pourtant, elle vit, prie, se confesse, communie et reçoit des visiteurs. Le 21 juillet 1421, le conseil municipal de Schiedam rédige une charte, confirmée le 5 août par Jan van Beieren, comte de Hollande, qui décrit son état à cette époque. Son régime alimentaire n’en est plus un : de 1395 à 1398, il lui arrivait encore de manger parfois un quartier de pomme et un morceau de pain et de boire un peu de lait sucré. Après cette date, c’est l’inédie : la sainte n’avale qu’une hostie consacrée non pas de manière quotidienne, mais une fois tous les quinze jours ! En juillet 1421, cela fait sept ans qu’elle n’a pas dormi.
Petit à petit, elle perd la vue. Pour la déplacer, les gens prennent mille précautions, tant elle est diminuée. Mais elle ne cesse de prier et de confier à Dieu ses souffrances pour la conversion des pécheurs. Elle reçoit des visiteurs venus parfois de loin. À Schiedam, elle acquiert une réputation de sainte.
Son confesseur joue un rôle important auprès d’elle, en lui parlant des douleurs du Crucifié. Au fil du temps, la vie mystique de Lydwine s’organise autour de deux pôles : l’eucharistie et la Passion. Chaque vendredi, et à l’occasion de certaines grandes fêtes liturgiques, elle accompagne Jésus jusqu’au Golgotha… Un soir, les stigmates du Christ s’impriment sur son corps.
Dieu fait des miracles en son honneur. Une cruche d’eau est remplie soudainement d’un vin délicieux. La sainte possède un petit sac de tissu dans lequel elle conserve quelques pièces qu’elle donne aux pauvres qui viennent à elle.
Trois jours après Pâques 1433, Lydwine rend son dernier soupir. Elle est inhumée le vendredi 17 avril dans le petit cimetière de Schiedam. Ce jour-là, une foule considérable l’accompagne. Dès 1434, le conseil municipal construit une chapelle sur sa tombe. En 1615, ses reliques sont transférées à Bruxelles. Elles sont ramenées dans sa ville natale en 1871. Le pape Léon XIII proclame sa sainteté en 1890. Les reliques de la sainte sont régulièrement portées en procession à travers Maastricht (Pays-Bas) et depuis 2010 dans les rues de Schiedam, montrant l’attachement que les catholiques hollandais portent aujourd’hui encore à la sainte.
Elle est aujourd’hui la patronne des patineurs sur glace, des personnes handicapées et alitées, et des infirmières.
Patrick Sbalchiero, membre de l’Observatoire international des apparitions et des phénomènes mystiques.
Au delà
Lydwine est l’une des premières saintes laïques dans le monde catholique. Son mode de vie, ses maladies, sa participation à la Passion du Christ, sa charité envers les plus pauvres, son accueil de celles et de ceux venus lui demander une prière ou un conseil, sans distinction de rang social ou d’état professionnel, préfigurent plusieurs grandes figures mystiques contemporaines, comme la bienheureuse Anne-Catherine Emmerich. La portée spirituelle de Lydwine dans l’histoire de la mystique catholique est majeure.
Aller plus loin
Bernard Forthomme, « Lydwine de Schiedam, sainte (Schiedam, 1380 – 1433) », dans Les Femmes mystiques. Histoire et dictionnaire, sous la direction d’Audrey Fella, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2013, p. 592-595.
En complément
Thomas a Kempis, Vita Lidiwigis virginis (1448), dans Œuvres complètes, éditées parMichael Johannes Pohl, Fribourg, 1905, p. 315-453, et traduction anglaise, S. Lydwine of Schiedman, Virgin, Londres, Burns et Oates, 1912.
La Vie de la Très saincte et vrayment admirable Vierge Lydwine, tirée du latin de Jean Brugman, de l’ordre de Saint-François, et mise en abrégé par Messire Michel d’Esne, évesque de Tournai, Douai, Baltazar-Bellière, 1608.
Acta Sanctorum, Société des Bollandistes, avril, t. 2, Anvers, 1675, p. 270-365.
Dom Jean-Baptiste Pitra, La Hollande catholique, Paris, Bibliothèque Nouvelle, 1850.
Abbé Coudurier, Vie de la bienheureuse Lydwine, vierge, modèle des malades et des infirmes, Paris, Ambroise Bray, 1862.
Joris-Karl Huysmans, Sainte Lydwine de Schiedam (1901), réédition, Lyon, 2002.
Hubert Meuffels, Sainte Lydwine de Schiedman, 2e éd., Paris, Victor Lecoffre, 1925.
C.W. Bynum, Holy Feast and Holy Fast. The Religious Significance of Food to Medieval Women, Berkeley, University of California Press, 1987.
Koen Goudriaan, « La vie de Liduina et la dévotion moderne », Annuaire d’histoire médiévale, 6, 2003, p. 161-236.