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© Shutterstock/Andrey Zhar
Les martyrs
Alexandrie (Égypte)
Nº 664
202

Basilide, converti par sa prisonnière (+202)

En 202, l’empereur Septime Sévère publie un édit de persécution contre les chrétiens dont la prolifération dans l’empire l’inquiète. Comme il séjourne alors à Alexandrie, le préfet d’Égypte, pour lui plaire, va renchérir dans la cruauté et la violence. Parmi ses victimes, une toute jeune esclave, Potamienne. En allant au supplice, celle-ci prédit à son gardien qu’il la rejoindra bientôt car, par sa compassion, il a trouvé grâce aux yeux du Seigneur. Basilide ne fait qu’en sourire avec gentillesse mais, trois jours plus tard, une apparition va tout changer.


Les raisons d'y croire

  • Grâce aux archives du martyr Pamphile, l’évêque de Césarée, Eusèbe, dispose d’une somme prodigieuse de documents concernant les débuts de l’Église en Orient et les premiers martyrs. Cette documentation lui permettra de rédiger son Histoire ecclésiastique, ouvrage fondamental. Il consacre ainsi un grand chapitre aux événements d’Alexandrie en 202. Origène, mort vers 253, confirme aussi l’épisode de la conversion miraculeuse dans un passage du Contre Celsus.

  • Potamienne est gravement coupable aux yeux de la loi et du préfet Laetus : non seulement elle reconnaît être chrétienne mais cette esclave de quinze ans refuse aussi de céder aux exigences de son maître et de coucher avec lui. Or, un esclave n’étant en droit qu’un « objet qui parle », il est impensable qu’il se refuse aux exigences sexuelles de son propriétaire. En osant se dire maîtresse de son corps et désireuse de conserve sa virginité, la fillette se rebelle et mérite un châtiment exemplaire. Le juge va donc la condamner à un supplice horrible : être ébouillantée lentement avec de la poix en fusion que l’on fera couler sur elle des pieds jusqu’à la tête.

  • La plupart des gens qui assistent à l’audience approuvent cette sentence cruelle. Ils se permettent d’insulter la condamnée ou tentent de la frapper. Basilide est le seul des gardes à intervenir pour protéger la jeune fille, ce dont elle lui est reconnaissante, au point de lui promettre d’intercéder au Ciel pour sa conversion.

  • Sans doute le martyre de Potamienne a-t-il ébranlé visiblement Basilide, car l’on commence dès lors à le suspecter et on le met à l’épreuve en exigeant qu’il prête serment devant les idoles. « Il déclara alors qu’il lui était impossible de jurer car cela lui était formellement interdit puisqu’il était chrétien et le confessait. On crut d’abord qu’il plaisantait, mais comme il persévérait avec obstination, on le déféra au juge qui le fit mettre aux fers. »

  • La conversion subite du jeune homme est incompréhensible et les chrétiens eux-mêmes ne peuvent l'expliquer car il n’est pas des leurs. Ils lui demandent le pourquoi de son changement d’attitude. « Il répondit que, trois jours après son martyre, Potamienne lui était apparue pendant la nuit, avait posé une couronne sur sa tête et lui avait annoncé qu’ayant demandé qu’il reçoive la grâce, le Seigneur l’avait exaucée et que Dieu accueillerait bientôt Basilide. »

  • Il semble bien s’agir d’une apparition car, plus loin, parlant d’autres conversions miraculeuses, Eusèbe emploie un autre verbe lorsqu’il s’agit de signifier « rêver ». Basilide va donc au martyre sur la base d’un fait pour lui parfaitement tangible et non sur la foi d’un songe.

  • Psychologiquement parlant, en effet seule une intervention miraculeuse peut justifier son comportement et l’inciter à confesser le Christ jusqu’à la mort. Son « ardeur est soudaine et extraordinaire ». Le phénomène n’est donc pas banal.

  • D’ailleurs, l’Église le croit puisqu’elle lui confère aussitôt le baptême.

  • Origène, en relatant les faits, précise : « Rien ne m’empêchera de dire que beaucoup se sont convertis comme malgré eux, leur cœur ayant été changé du tout au tout après une apparition diurne ou nocturne, si bien qu’en place de la haine qu’ils portaient à notre foi, ils l’ont aimée à mourir pour elle ; nous connaissons nombre de ces changements dont nous fumes témoins de nos propres yeux. Il serait vain de les raconter un à un car nous ne ferions qu’exciter les railleries des incroyants qui les feraient passer pour des contes et inventions de notre imagination. Mais je prends Dieu à témoin que je dis la vérité. Il sait que je ne veux pas accréditer la divine doctrine de Jésus-Christ par de fallacieuses histoires mais uniquement par la vérité et des arguments incontestables et évidents. » Les auteurs de l’Antiquité ne jugeaient pas cette histoire moins étrange que nous ; ils n’ont pas cherché à l’accréditer sans vérifications et réflexions.

  • Les témoignages de nombreux musulmans convertis au XXIe siècle rapportent des circonstances analogues qui obligent à prêter foi aussi à ce récit antique.


En savoir plus

D’abord assez favorable au christianisme, l’empereur Septime Sévère change d’avis quand il commence à craindre pour l’unité de l’empire et que les chrétiens pactisent avec les ennemis de Rome. Il promulgue alors en 202 un édit qu’il croit tolérant interdisant aux chrétiens de faire du prosélytisme et de convertir sous peine de mort, mais c’est leur demander l’impossible car les chrétiens n’ont de raison d’être qu’en partageant la bonne nouvelle ; la persécution sanglante est donc inévitable.

Elle prend de terribles proportions en Égypte parce que l’empereur y séjourne et en Afrique car il est originaire de Libye. Les efforts du préfet Laetus mettent en évidence l’existence d’une communauté jeune et active aux fortes bases intellectuelles qui est à l’origine de la théologie chrétienne. L’affaire Potamienne apparaît aussi comme la première revendication pacifique d’une esclave à n’être pas traitée comme un simple objet, un jouet sexuel destiné au plaisir de son maître.

Cela explique d’ailleurs la sévérité cruelle du supplice, la jeune fille remettant en cause l’ordre social établi, alors même que l’Église ne considère pas comme pécheurs les esclaves obligés de sacrifier leur virginité et leur chasteté aux caprices de leurs propriétaires. Potamienne met en application jusqu’à la mort l’enseignement de Paul : « Dans le Christ, il n’y a plus ni esclaves ni hommes libres. »  Elle prouve aussi qu’un simple geste de compassion peut obtenir des grâces de salut même à un persécuteur.

D’après Eusèbe, l’attitude de Basilide, le garde en question, pose question. Ce policier est païen mais il s’est inscrit au Didascalé, l’université catholique d’Alexandrie pour en suivre l’enseignement. On ne sait pas s’il s’agit chez lui de curiosité intellectuelle pour le christianisme ou s’il s’y est infiltré pour dénoncer les étudiants et le directeur. En tout cas, c’est bien cet homme qui est saisi de compassion envers Potamienne car son courage l’a ému. Mystérieusement et totalement converti en l’espace d’une nuit, les convictions de Basilide sont inébranlables. Refusant de ses rétracter et de renier sa nouvelle foi, il est décapité et cueille la palme du martyre comme l’avait promis Potamienne. Il est fêté le 30 juin.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique. Disponible en ligne .


En complément

  • Anne Bernet, Les chrétiens dans l’empire romain, Tallandier, 2013.

  • Plusieurs récits des martyrs d’Alexandrie disponible en ligne .

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