
Michel Garicoïts lève une armée contre l’Antéchrist (+1863)
Le XIXe siècle est extrêmement difficile pour l’Église française : la Révolution a détruit les églises, les œuvres religieuses, beaucoup de congrégations religieuses n’existent plus... Pour l’abbé Michel Garicoïts, jeune prêtre basque, il s’agit même d’un signe supplémentaire de la proximité de la fin des temps. C’est afin de lever une armée contre celles que réunissaient les précurseurs de l’Antéchrist qu’il fonde à Bétharram, près d’un ancien sanctuaire marial, une compagnie de prêtres missionnaires. Ces derniers prennent volontairement en charge la mission de rechristianiser les campagnes et d’éduquer les jeunes. Michel Garicoïts, saint de l’Église catholique, est fêté le 14 mai.
Les raisons d'y croire
La vie de Michel Garicoïts est jalonnée d’une succession d’obstacles à la réalisation de sa vocation et de ses projets pastoraux. Enfant, il a un caractère difficile et violent : souvent tenté de mésuser de sa force, il est capable de brutalité envers plus faible que lui, vole à l’occasion et ne se soucie guère du bien du prochain… Mais Michel apprend à canaliser sa violence, à se soucier des autres et à ne plus voler, d’abord grâce à l’éducation apportée par sa mère, ensuite parce que Dieu, après sa première communion, se révèle à lui. Dès lors, par amour de l’eucharistie, il aspire au sacerdoce. Rares sont les enfants capables, si jeunes, de prendre conscience du mal qu’ils font et de se donner les moyens de s’amender. Il faut des grâces spéciales, proportionnées aux vues de Dieu sur le futur adulte.
Mais d’autres obstacles se dressent alors devant lui : son faible niveau scolaire – car il a très peu fréquenté l’école – et l’impossibilité pour ses parents, paysans très pauvres, d’offrir des études à leur fils. Il s’agit d’obstacles classiques mis par les forces du mal sur la route des futurs saints. La providence y remédiera. Ainsi, afin de s’instruire, Michel emporte des livres quand il va garder les bêtes, et sa grand-mère a également l’idée d’aller, à pied, à plus de vingt kilomètres de chez elle, rencontrer un prêtre afin qu’il aide son petit-fils. Il faut une foi immense aux uns et aux autres pour accepter des sacrifices, dont peu sont capables, afin de répondre aux vues de Dieu, et non à des rêves de réussite humaine.
C’est parce qu’il accepte, tout en étudiant, de servir de domestique, d’abord au prêtre qui l’héberge puis au séminaire, que Michel parvient finalement à combler son retard scolaire, à prouver ses capacités intellectuelles et à se faire ordonner en 1823. Cela démontre chez lui une grande humilité et un refus hors norme de la paresse. Dès lors, le jeune homme avance rapidement dans la voie des vertus contraires à ses défauts d’enfance, en cultivant la douceur, la tendresse, la simplicité et surtout l’obéissance.
Michel prend pour devise ces mots du psaume 39 qui se réfèrent au Christ, seconde personne de la Sainte Trinité qui accepte de s’incarner pour sauver l’humanité : « Me voici pour faire ta volonté. » Ce faisant, il met en évidence ce qui lui paraît l’arme décisive contre le démon : l’obéissance à la volonté divine est l’exact contraire de l’esprit mondain de révolte et d’indépendance. À ses yeux, et les suites de la Révolution l’ont prouvé, cet esprit conduit au culte égoïste de soi, puis au rejet de la loi de Dieu par l’homme qui, à l’instar de Lucifer, aspire en sa folie à prendre la place de Dieu et chasse le Créateur hors de sa création. Michel pense que c’est là-dessus que se lèvera et s’imposera l’Antéchrist. Cette analyse très pertinente est prophétique.
Michel invite donc à l’obéissance et à l’humilité, prenant pour exemple l’abaissement divin dans l’Incarnation, mystère pour lequel il nourrit un amour singulier et sur lequel il avoue avoir reçu des lumières particulières. Il prend aussi exemple sur le « fiat » de la Vierge Marie à l’annonce de l’ange. L’accomplissement de la volonté de Dieu est donc au cœur de sa réflexion.
Cette acceptation entière de la volonté de Dieu lui permet de transformer positivement les épreuves. Ainsi, alors qu’il a été nommé directeur du grand séminaire diocésain de Bétharram, et qu’il a remarquablement réussi dans sa mission, il accepte sans protester que ses séminaristes soient tous déplacés à Bayonne, tandis que lui reste seul dans des bâtiments déserts… Au lieu de se plaindre, il profite de l’occasion pour restaurer le vieux sanctuaire marial ruiné par la Révolution, pour y ramener des pèlerins et raviver la dévotion à Marie dans tout le Sud-Ouest. Il tire donc un bien d’un mal.
L’affluence des pèlerins lui fait prendre conscience de la déchristianisation postrévolutionnaire et de la nécessité d’y remédier par l’enseignement, la catéchèse et les missions. Cela l’amène à envisager la fondation d’une congrégation missionnaire qui puisera à la spiritualité du Sacré Cœur. Dans une révélation, il entend Dieu lui demander de réunir « ces soldats d’élite pour les ministères les plus difficiles dont personne ne veut ». Il lui demande aussi de « marcher en tête avec le drapeau du Sacré Cœur en criant l’Ecce venio [je viens] de mon Fils ».
En savoir plus
Michel Garicoïts naît le 15 avril 1797 à Ibarre, au Pays basque. Il est l’aîné de six enfants. Très pieux, ses parents sont allés se marier en Espagne afin d’échapper à la législation révolutionnaire et de contracter ainsi un mariage légitime ; ils ont aussi pris des risques héroïques pour soustraire les prêtres aux persécuteurs.
La vocation sacerdotale de leur fils est donc une récompense de leur fidélité dans l’épreuve. Michel luttera toute sa vie pacifiquement contre les idées de la Révolution, avec le souci constant de ramener les âmes à Dieu et de retarder l’arrivée de l’Antéchrist, qu’il voit à l’œuvre.
Nommé vicaire à Cambo après son ordination en 1823, il encourage à la dévotion, jugée contre-révolutionnaire, au Sacré Cœur et au Cœur immaculé de Marie. Très influencé par Ignace de Loyola, Garicoïts fait de l’obéissance une vertu essentielle – une des vertus les plus difficiles à conquérir et à garder. Il dira plus tard à ses prêtres et religieux que, si un supérieur lui donnait l’ordre, alors qu’il est loin de chez lui, de partir au bout du monde, il obéirait aussitôt sans même retourner faire ses adieux et prendre ses affaires.
Sa piété et ses vertus sont très grandes et reconnues par ses contemporains, notamment par sa hiérarchie ecclésiastique. Cependant, Michel se juge bien éloigné de la perfection et ce n’est qu’après sa rencontre, en 1828, avec Jeanne-Élisabeth Bichier des Âges, fondatrice des Filles de la Croix, qu’il estimera avoir, à son exemple, commencé à progresser dans le bien. La restauration du sanctuaire de Bétharram et de son pèlerinage est regardée comme une préparation, avec trente ans d’avance, aux apparitions de Lourdes. Michel sera d’ailleurs l’un des premiers à y croire et à soutenir Bernadette, qu’il rencontre plusieurs fois.
La qualité de ses conseils avisés nourrit sa réputation de sainteté. Certains affirment l’avoir vu léviter en célébrant la messe. Son obéissance est si parfaite qu’il acceptera de donner à ses missionnaires de Bétharram une règle réécrite par l’évêque, alors même qu’il la trouve contraire à ses ambitions. S’appliquant à lui-même ce qu’il enseigne à ses religieux et à ses prêtres : « Dieu ne veut pas de soldats fainéants mais des combattants et des vainqueurs », il s’épuise à la tâche, malgré deux accidents cardio-vasculaires dont il guérit de façon miraculeuse. Il s’éteint le 14 mai 1863 en implorant la miséricorde divine. Il est canonisé en 1947, en même temps que Jeanne-Élisabeth Bichier des Âges.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Michel Garicoïts, Correspondance. Sept volumes disponibles en ligne .
En complément
Urbain Crohare, Une âme forte, le vénérable Michel Garicoïts, Tarbes, Lesbordes,1921.
Gaétan Bernoville, Un saint basque, le bienheureux Michel Garicoïts, Paris, Gigord,1936.
Pierre Duvignau, Un maître spirituel au XIXe siècle, saint Michel Garicoïts, Beauchesne, 1963.