
Madame de l’Espérance (+1868)
Il y a bientôt deux cents ans, la jeune supérieure du Refuge Notre-Dame de la Charité de Tours, congrégation fondée par saint Jean Eudes pour le rachat des « filles perdues », s’installe à Angers avec le projet, appuyé par l’évêque, de fonder une maison qui révolutionnera l’assistance aux femmes en détresse. Mère Marie de Sainte-Euphrasie Pelletier, en se vouant à cet apostolat méprisé, transformera, à travers le monde entier, le sort de milliers d’adolescentes et de jeunes femmes arrachées à une vie d’opprobres et de souffrances pour les ramener au Christ.
Les raisons d'y croire
Il se peut que l’expérience pénible de l’emprisonnement vécue par ses parents pendant la Terreur ait sensibilisé Virginie au sort des détenues, qui sera plus tard l’une des préoccupations de son apostolat. Ainsi Dieu tire-t-il un bien d’un mal. De même, la souffrance et le sentiment d’abandon que l’adolescente éprouve à la mort subite et prématurée de sa mère lui permettront ensuite de comprendre ce que ressentent les filles qu’elle recueille, souvent privées de tout appui familial et de toute tendresse.
Certaine d’être appelée par le Christ à la vie religieuse, Virginie Pelletier prend le voile en 1814 au Refuge Notre-Dame de la Charité de Tours. Cette congrégation a été fondée au XVIIe siècle par saint Jean Eudes afin de venir en aide aux prostituées désireuses de quitter le trottoir et aux filles en détresse financière, proies faciles pour les proxénètes. Ces maisons ont disparu à la Révolution avec l’interdiction des ordres religieux, et leur renaissance est lente et difficile, car les municipalités y voient « des asiles du vice » et les donateurs sont peu attirés par ces œuvres, estimant d’autres causes plus méritoires. Beaucoup jugent inconvenant d’être ainsi au contact de prostituées et de voleuses. Il faut donc à mademoiselle Pelletier une forme de charité spécialement méritoire pour choisir de s’y dévouer.
Le rôle des religieuses est uniquement de prier pour le salut des âmes des jeunes femmes qui habitent avec elles. Cependant, Virginie, devenue en religion sœur Marie de Sainte-Euphrasie, abrégée en Marie-Euphrasie, aspire vite à une vie plus apostolique où, tout en priant pour celles qui lui sont confiées, elle pourra les aider concrètement. La chance d’expérimenter ses idées lui est offerte par le diocèse d’Angers quand on lui propose de reprendre le refuge de la ville, qui se trouve en difficulté. Dévouées aux « femmes et enfants blessées par la vie », puis surtout aux adolescentes livrées à elles-mêmes et en danger moral, les religieuses ne cessent de mettre en application les consignes éducatives de la fondatrice : « Notre institut ne doit connaître que les voies de l’amour. »
Marie-Euphrasie, constatant chez de nombreuses « repenties » les signes d’authentiques vocations religieuses, ose leur proposer d’entrer, au sein de la maison, dans une communauté propre, celle des Madeleines. Après quelques années, en 1835, la fondation angevine fonctionnant parfaitement, l’œuvre est reconnue par Rome.
Toujours avec la même sainte audace, Marie-Euphrasie ose envoyer ses filles là où aucune religieuse n’est censée s’aventurer : dans les marchés aux esclaves africains et américains, notamment en Louisiane, pour empêcher que les petites filles noires soient arrachées à leurs mères et vendues, dans les ports européens d’où embarquent les candidats à l’émigration, ceux d’Amérique et d’Australie, où débarquent les immigrés, afin d’aider les jeunes femmes isolées, dans les prisons de femmes… Les maisons du Bon Pasteur deviennent ainsi une planche de salut partout dans le monde. L’une des bienfaitrices de l’œuvre, la comtesse d’Andigné, surnomme joliment mère Pelletier, « Madame de l’Espérance », car c’est bien ce qu’elle incarne pour tant d’âmes en détresse.
D’autres diocèses, en France et à l’étranger, réclament l’ouverture de maisons du Bon Pasteur. Mère Marie-Euphrasie multiplie ainsi les fondations, n’hésitant jamais à se rendre elle-même sur place. Sa charité est inépuisable et, si l’on s’étonne qu’elle se dévoue à tant de causes à l’étranger, elle rétorque : « Ne me dites pas que je suis française : je suis de tous les pays où il y a des personnes à aider ! » Elle possède donc un charisme au sens propre du terme catholique, autrement dit universel. Lorsque mère Marie-Euphrasie meurt, le 24 avril 1868 à Angers, son œuvre compte cent-dix maisons sur les cinq continents.
En savoir plus
Le premier miracle que Dieu fait en faveur de celle qui s’appellera dans le monde Rose Virginie Pelletier est de lui permettre de naître. En effet, la survie de ses parents, le docteur Julien Pelletier et son épouse, Anne Mourain, arrêtés en janvier 1794 lors de la prise de l’île de Noirmoutier par les Républicains, ne peut s’expliquer que par une protection providentielle puisque l’île, qui servait de refuge aux blessés royalistes et à leurs familles, sera pendant des semaines le théâtre de massacres de prisonniers. Accusé d’avoir soigné des blessés vendéens, allié par mariage à des notables locaux qui n’ont jamais fait mystère de leurs sympathies contre-révolutionnaires, le docteur Pelletier ne devrait pas échapper au peloton d’exécution – sa femme non plus –, mais, contre toute attente, le couple est transféré dans une prison du continent, dans laquelle on les oublie assez longtemps, alors que la Terreur se déchaîne et que les « colonnes infernales » sillonnent le territoire vendéen, ce qui leur permet ainsi d’échapper à la mort, chance qu’auront fort peu d’habitants de Noirmoutier.
Née à Noirmoutier le 31 juillet 1796, Rose Virginie Pelletier éprouve après la mort de sa mère le sentiment d’abandon qui en résulte, ainsi que le désir de se dévouer à celles qui ont manqué d’amour, de secours et de compassion.
Elle entre en 1814 au couvent du Refuge de Notre-Dame de la Charité de Tours – ordre fondé par saint Jean Eudes,dont les religieuses, contemplatives, prient pour le rachat des femmes de mauvaise vie. Cependant, Virginie, devenue en religion sœur Marie de Sainte-Euphrasie, abrégée en Marie-Euphrasie, constate assez vite les manquements et les erreurs de l’institution. Les religieuses n’ont pas de contact avec les détenues, puisque leur rôle est uniquement de prier pour le salut de leur âme. Subventionnés par l’État, les refuges tendent à devenir des maisons de force où l’on enferme sous la contrainte et où l’on maintient en détention des femmes en détresse, parfois séparées de leurs enfants, sans véritable souci de réhabilitation sociale, par le travail et l’apprentissage d’un métier, et morale, tout en leur dispensant l’éducation religieuse dont les générations post-révolutionnaires ont été privées. Marie-Euphrasie est révoltée par ces méthodes et brûle d’en essayer d’autres, en se mettant pour de bon au service de ces femmes.
En 1825, ayant pu tenter l’expérience à Angers, la jeune supérieure refuse que sa maison soit une prison et que les pensionnaires y soient détenues sous la contrainte. La jeune supérieure de vingt-neuf ans peut se mettre à la tâche et ajouter à la vocation propre des Refuges l’œuvre originale du Bon Pasteur. Faisant cohabiter sœurs contemplatives et sœurs apostoliques – les unes priant pour la conversion des filles, les autres s’employant à leur redressement –, elle veut arracher ses filles, parfois à peine sorties de l’enfance, à la prostitution, au vol, à l’alcoolisme et autres maux d’une société qui ne prend pas en charge ses cas sociaux et ne connaît que la répression. Elle appelle à ne « jamais, jamais humilier » les pensionnaires, mais à s’ingénier toujours à les relever et à leur rendre l’estime de soi. Des milliers d’adolescentes devront aux asiles du Bon Pasteur d’avoir échappé aux dangers qui les menaçaient et d’avoir pu, en possession d’un travail et d’une éducation morale, mener des vies normales, honnêtes et heureuses.
Ces sauvetages ont un prix élevé et, bien avant les souffrances du cancer qui l’emporte le 24 avril 1868, mère Marie-Euphrasie peut se donner cette devise qui résume toute une vie au service du Christ dans les plus humiliées de ses enfants : « Attends, tais-toi, prie, souffre et espère. »
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Abbé Émile Georges, Sainte Marie-Euphrasie Pelletier, fondatrice de la congrégation du Bon-Pasteur d’Angers, 1942. Traduit en anglais : Life of Saint Mary of Saint Euphrasia Pelletier.
En complément
Acta apostolicae Sedes, tome 32, année 1940, pages 169-174. Disponible en ligne (en latin).
Gaétan Bernoville, Une apôtre de l’enfance délaissée, sainte Marie-Euphrasie Pelletier, 1945.
Marie-Dominique Poinsenet, Rien n’est impossible à l’amour. Vie de sainte Marie-Euphrasie Pelletier, Éditions Saint-Paul,1968.
Heralds of Gospel, Saint Mary Euphrasia Pelletier. En ligne .