
Giuseppe Moscati, un saint en blouse blanche (+1927)
Il est des vies qui témoignent d’elles-mêmes de la puissance divine : c’est le cas de celle du médecin Giuseppe Moscati, qui vécut à cheval entre le XIXe et le XXe siècle, dans une société napolitaine en pleine mutation. Sa vocation de médecin est enracinée dans sa foi. Son dévouement auprès des malades, et en particulier des pauvres, associé au brio scientifique de ses idées, a guidé ses décisions tout au long de son intense vie, laissant totalement la grâce divine agir par son intermédiaire. Il se donne corps et âme sans compter, jusqu’à l’épuisement, au chevet des souffrants, sans rien attendre en retour. Sa foi en Dieu était telle que les miracles n’ont pas tardé à se produire.
Les raisons d'y croire
Giuseppe Moscati est un médecin brillant, connu et reconnu par la communauté scientifique. Cependant, il est frappant de constater que c’est sa charité qui le rendit célèbre et digne de confiance. Il ne demandait jamais à être payé par ceux qui ne le pouvaient pas et ne comptait pas son temps pour ses patients, que ce soit à l’hôpital ou à son domicile. Il avait placé un chapeau à l’entrée avec l’inscription : « Celui qui a, qu’il donne, et celui qui n’a pas, qu’il se serve. »
L’époque de Giuseppe Moscati est dominée par des scientistes agnostiques et des francs-maçons ; cependant, son exercice de la médecine est ancré en Dieu et guidé par sa foi. « Les personnes malades sont des figures du Christ. » Prenant Jésus pour modèle, lui qui est venu pour sauver toute l’humanité, Giuseppe souhaite « coopérer à sa bonté inépuisable, pardonnant, se sacrifiant ».
Conformément à l’enseignement de l’Église, Giuseppe transmet à ses élèves sa conscience profonde de l’unité de l’âme et du corps et du retentissement des maux de l’un sur l’autre, et réciproquement : « Rappelez-vous que vous devez prendre soin non seulement du corps, mais des âmes gémissantes qui ont recours à vous. » Cette vision holistique du patient lui permet de mieux soigner.
À plusieurs reprises, il étonne ses confrères ou ses patients par son talent particulier pour poser de bons diagnostics, parfois même à distance ou à contrecourant des traitements proposés habituellement, comme cela a été le cas par exemple pour le célèbre chanteur Enrico Caruso.
Une prescription de teinture d’iode est trouvée sur l’une de ses ordonnances (conservée par le Musée des arts sanitaires et de l’histoire de la médecine, à Naples) en cas d’ulcère duodénal, traitement qui a réellement été utilisé bien plus tard et dont l’efficacité n’a été démontrée qu’en 2005. Giuseppe est aussi parmi les premiers médecins de Naples à tenter de traiter le diabète avec de l’insuline. Sa clairvoyance et ses intuitions médicales s’expliquent parce qu’il laisse opérer la grâce divine en lui.
Il est intéressant de savoir que d’autres saints anargyres (c’est-à-dire les médecins qui soignent les pauvres sans demander de paiement), comme Giuseppe, recevaient des intuitions médicales qui ont depuis été vérifiées scientifiquement : saint Côme et saint Damien, sainte Hildegarde de Bingen, le vénérable Jérôme Lejeune …
Sa foi le rend serein face à la maladie et à la mort, là où la plupart cherchent à tourner les talons. Lors d’une éruption du Vésuve, le 8 avril 1906, il n’hésite pas à se mettre en danger en évacuant d’urgence des personnes menacées. Le bâtiment s’écroule quelques minutes après. De même, pendant la Première Guerre mondiale, Giuseppe soigne plus de trois mille soldats sans se soucier de sa propre santé. D’innombrables personnes doivent leur vie à son intervention courageuse.
Giuseppe Moscati allait à la messe quotidiennement, à la Chiesa del Gesù, toute proche de l’hôpital des Incurables, quelles que soient les circonstances. Il témoignait lui-même que sa force, nourrie par l’eucharistie quotidienne, résidait en Dieu, parlant même d’une « force infinie et mystérieuse, qui vous soutiendra et vous rendra capable de bonnes et vigoureuses intentions […]. Cette force est Dieu ! »
Huit jours avant de mourir, le professeur rend visite à un religieux gravement malade qui se lamente car il tarde à guérir. Moscati l’encourage en disant : « Père, ne perdez pas confiance car d’ici huit jours vous serez guéri et la première messe que vous célébrerez sera pour mon âme. » En effet, le jour fixé, tandis que le religieux guéri s’habille pour la célébration de la sainte messe, on lui communique la nouvelle de la mort de Moscati.
Le matin de sa mort, le 12 avril 1927, Giuseppe avertit une amie de sa sœur Nina de se rendre à quinze heures chez elle pour la consoler parce qu’il sera mort. Moscati rend l’âme ce même jour, à cette heure précise, au cours d’une journée comme les autres, initiée par la messe et ses visites à l’hôpital, puis occupée aux consultations des nombreux malades qui l’attendent chez lui.
Le miracle qui permet la canonisation de Giuseppe Moscati est la guérison en 1978 de Joseph Montefusco, un jeune napolitain qui souffre d’une leucémie aiguë myéloblastique (maladie au développement rapide qui conduit rapidement à la mort).
En savoir plus
Giuseppe Moscati est né le 25 juillet 1880 à Benevento. Jeune, il est confronté à la maladie car son grand frère Alberto souffre de crises d’épilepsie provoquées par une chute de cheval. Sa mort prématurée est sans doute à l’origine de sa vocation pour la médecine, car il passait des heures à son chevet, à s’occuper de lui. Sa famille est surprise par son désir d’être médecin, car il était plutôt prédestiné à une carrière d’avocat, comme son père, mais, pour Giuseppe, cela n’a jamais été une question. Il a très vite ressenti le désir de s’occuper des autres, de trouver une explication aux maux qui les affligent, pour les soulager. Son premier biographe écrit qu’il était pris de tressaillements intérieurs face à la souffrance, le menant naturellement vers l’autre. « Je serais prêt à m’allonger avec un malade dans son lit », dit-il à sa mère qui s’inquiète de son avenir.
La fin du XIXe siècle est l’époque des grandes découvertes scientifiques (notamment par Louis Pasteur), qui aideront la médecine à progresser. Mais se développe également assez vite parmi les étudiants en médecine et les scientifiques l’idée que la science peut se passer de la foi et de Dieu. Voire que la foi obscurcirait l’intelligence scientifique. Moscati est donc un signe pour ce temps : sa vie est justement un trait d’union entre la science et la foi. Par son désir de rester ancré en Dieu, il prouve à travers ses actes et toute sa vie que séparer l’âme du corps brouille l’intelligence.
Il sait pertinemment que l’absence de sens profond à la vie est une source d’angoisse pour l’homme, pour le patient qui lui est confié. Il repère cette angoisse chez les autres afin de les soigner intégralement. Sur ses ordonnances, on trouve non seulement des prescriptions (parfois avant-gardistes), mais aussi des recommandations diététiques ou d’hygiène de vie, et surtout des conseils visant à rassurer ou à encourager le patient sur son état de santé : « Ce n’est rien de grave ! », « Essayez de ne pas vous fâcher », « Tâchez de vous réconcilier… »
Son brillant cursus d’universitaire, de médecin et de chercheur a évidemment imposé le professeur Moscati aux autorités dans ce domaine. Il fut en effet médecin-chef des Hôpitaux Réunis des Incurables, professeur universitaire de physiologie humaine et de chimie physiologique, directeur de l’Institut d’anatomie et d’histologie pathologique, rédacteur de nombreuses publications scientifiques… En 1911, il est sollicité par le ministère de la Santé publique pour trouver des solutions à une épidémie de choléra qui sévit et effraie tout le monde dans la ville. Moscati propose un plan d’assainissement des eaux et d’élimination des ordures qui est immédiatement adopté.
Il est reconnu internationalement et des offres de travail à l’étranger lui sont proposées, qu’il refusera toujours pour être auprès des pauvres, se sentant appelé à être leur médecin avant tout, à Naples, ville portuaire où, à cette époque, encore beaucoup de maladies sont mal soignées : « Le sourire de mes patients vaut plus que des meubles et des tableaux. » Sa charité va si loin qu’il vend totalement le mobilier de son appartement pour obtenir de l’argent pour ses patients, ce qui lui sera reproché un temps par ses proches.
Il réussit parfaitement à mettre ses connaissances au service de l’autre ; c’est pourquoi, par exemple, il lui semble inconcevable de former les étudiants en médecine ailleurs qu’à l’hôpital, où ils sont au contact des malades. Il est tout aussi inconcevable pour lui de refuser de soigner des malades qui n’ont pas les moyens. Il refuse sciemment tout paiement de la part des pauvres, qui ont toujours constitué la majeure partie de sa patientèle, à cause des nombreux bidonvilles de Naples.
La relation qu’il établit avec le patient est très profonde et inspire aujourd’hui les soignants qui défendent une médecine hippocratique et cherchent à imiter le Christ dans leur accompagnement des malades. « Rappelez-vous qu’en optant pour la médecine, vous vous êtes engagé à une mission sublime. Avec Dieu dans le cœur, persévérez en pratiquant les enseignements de vos parents, l’amour et la pitié envers ceux qui souffrent, avec foi et enthousiasme, sourd aux louanges et aux critiques, disposé seulement au bien. »
Sa bonté ne lui attire pas que des faveurs. Les vies exemplaires et héroïques attirent souvent leur lot d’attaques et de tentatives de découragement. Mais voici ce qu’il répondait : « Quoi qu’il arrive, souvenez-vous de deux choses : Dieu n’abandonne jamais personne. Plus vous vous sentez seul, négligé, méprisé, incompris, plus vous serez près de démissionner sous le poids de graves injustices, plus vous sentirez une force infinie et mystérieuse, qui vous soutiendra et vous rendra capable de bonnes et vigoureuses intentions, et vous serez étonné par ces forces quand la sérénité reviendra. Cette force est Dieu ! » On peut percevoir combien sa force résidait en Dieu, nourrie par l’eucharistie quotidienne.
À sa mort, sa dépouille est transportée à travers la ville, entourée d’une foule immense et inattendue, ce qui oblige les autorités à bloquer les routes. « Tous les citoyens se rassemblèrent avec respect autour du corps de Giuseppe Moscati, représentés dans toutes ses classes, des plus humbles aux plus élus », écrivent les journaux du jour.
Giuseppe Moscati est béatifié le 16 novembre 1975 et canonisé le 25 octobre 1987 (soixante ans après sa mort). En vue de la canonisation, Rome a examiné la guérison totale du jeune Joseph Montefusco, atteint d’une leucémie fulgurante. Le pape Jean-Paul II, en présence de plus de 100 000 personnes, proclame et admet officiellement Giuseppe Moscati au nombre des saints par cette déclaration : « L’homme qu’à partir d’aujourd’hui nous invoquerons comme un saint de l’Église universelle représente pour nous la réalisation concrète de l’idéal laïc chrétien. Joseph Moscati, médecin chef de clinique, chercheur fameux dans le domaine scientifique, professeur universitaire de physiologique humaine et de chimie physiologique, a embrassé de multiples activités avec tout l’engagement et le sérieux que demande le service de la délicate profession de laïc. À ce point de vue, Moscati est un exemple non seulement à admirer, mais à suivre, surtout par le personnel de santé. Il représente même un exemple pour ceux qui ne partagent pas sa foi. »
Elisabeth de Sansal, pigiste, a étudié la bioéthique pendant quatre ans à Rome.
Au delà
En recommandant à ses étudiants de ne pas se contenter de prescrire des médicaments pour le corps, mais « d’aller jusqu’à l’esprit », au lieu de se « borner aux froides prescriptions à adresser au pharmacien », Giuseppe Moscati vivait en profondeur la médecine hippocratique. Ce fut un témoin de la vérité qui sous-tendait l’exercice d’une médecine respectueuse de la vie tout entière de l’homme et de ses dimensions corps-âme-esprit.
Le serment d’Hippocrate date du IVe siècle avant Jésus-Christ et ne découle donc pas du Décalogue chrétien, mais bien de la loi naturelle inscrite dans le cœur de chaque homme. Le serment encore prêté aujourd’hui par les médecins est une nouvelle version édulcorée qui varie au gré des lois nationales et des cadres éthiques rediscutés, niant désormais la reconnaissance d’une loi naturelle universelle. La vie de Giuseppe Moscati est la preuve vivante de la stérilité de cette médecine.
Moscati mettait d’ailleurs en garde en 1924 contre des pratiques eugénistes : « Le mouvement moderne sur l’eugénisme [...], parti d’une conception très élevée, celle de protéger la race humaine de la décadence [...], propose, pour atteindre ce but, des moyens dont certains semblent porter atteinte à la liberté humaine, à l’éthique de la vie, ou sont anti-physiologiques. Ce n’est pas sans beaucoup de scepticisme que l’on apprend de telles propositions pour éliminer les faibles[...]. Les soi-disant chromosomes savent mieux se regrouper que ne leur ordonnent les eugénistes ! N’empoisonnons donc pas l’amour, qui éclot dans deux cœurs tendres, espoir de la race, avec des intrusions de recherches médicales qui brisent un enchantement, et troublent un état d’esprit. » Le primum non nocere (« en premier, ne pas nuire ») est vidé de sa substance par la médecine qui mène à l’acceptation de l’élimination de certains êtres humains (avortement, euthanasie).
Aller plus loin
Parmi les premières biographies de Giuseppe Moscati : Alfredo Marranzini, Giuseppe Moscati, un esponente della scuola medica napoletana, Edizioni Orizzonte Medico, 1980.
Un résumé en français se trouve dans la lettre de l’abbaye Saint-Joseph de Clairval .
En complément
Giorgio Papasogli, Giuseppe Moscati, il medico santo, Edizioni Paoline, 1991.
Ercolano Marini, Il prof. Giuseppe Moscati della Regia Universita di Napoli, Giannini e Figli, 1929.
Un article du site Internet QuiCampiFlegrei (en italien) présente des photos de son lieu de travail : « San Giuseppe Moscati, il medico santo e il museo a lui dedicato ».
La vidéo d’Arnaud Dumouch : « La vie de saint Giuseppe Moscati, patron des médecins et des étudiants en médecine (1880 – 1927) ».
Le reportage (en italien) de L’Altra Campania : « Giuseppe Moscati, il santo in camice bianco ».
L’excellent film italien L’amore che guarisce (L’amour qui guérit), disponible sur YouTube (le réalisateur s’est permis de romancer quelques amitiés, mais les aspects de foi et de morale de Giuseppe sont fidèles.)
Pour les personnes du monde de la médecine et de la recherche qui souhaiteraient plus d’informations scientifiques :
Une publication scientifique (en italien) de Marco Cascella permet de réaliser la portée scientifique des travaux de Giuseppe Moscati.
Giovanni Ponti, Felice D’Onofrio, Cristel Ruini, Umberto Muscatello, Aldo Tomasi : « Giuseppe Moscati : un homme, un médecin et un scientifique », Acta Med Hist Adriat 2015, 13(1):171-80.
Giovanni Ponti, Aldo Tomasi : « Giuseppe Moscati (1880 – 1927) : une approche holistique de la médecine », J. Med Biogr 2014, 22:80-82.