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Les mystiques
Italie
Nº 576
1601 – 1670

Une fleur au milieu des ruines : Giovanna Maria Bonomo (+1670)

En 1916, les troupes austro-hongroises affrontent l’armée italienne dans les Alpes. Cette « guerre blanche » est particulièrement cruelle. À la mi-mai, la contre-attaque franco-italienne, en pilonnant les positions ennemies sur le plateau d’Asiago, rase intégralement la petite cité du même nom dont le poète D’Annunzio disait qu’elle était la plus jolie des petites villes d’Italie. Lorsque, à la fin des combats, il sera possible d’y revenir, au milieu d’un champ de ruines qui n’a pas laissé une maison ou une église debout, les survivants découvrent, stupéfaits, le seul vestige intact de toute la commune : la statue, solennellement installée en 1908 devant sa maison natale, de la bienheureuse Giovanna Maria Bonomo, morte en odeur de sainteté en 1670 et patronne du bourg.


Les raisons d'y croire

  • Les militaires des deux camps l’attestent : le contrôle du plateau d’Asiago, qui donne accès à la Vénétie, constituait une priorité stratégique telle qu’aucune considération artistique ou humaine ne pouvait empêcher d’écraser la zone sous un déluge d’obus. Toutes les photographies prises ensuite montrent ce bourg de 1 600 habitants anéanti. Il ne reste debout que quelques pans de murs prêts à s’écrouler. C’est un spectacle de désolation. La maison natale de la patronne d’Asiago, Giovanna Maria Bonomo, n’a pas été épargnée, à l’exception d’un bout de façade sur lequel on voit encore la plaque commémorative signalant la naissance en ce lieu de la bienheureuse.

  • Pourtant, juste devant cet amas de gravats, la statue de Giovanna Maria, intacte, tient encore debout sur son socle, comme le montrent les clichés d’époque. L’improbabilité du fait est patente et l’évêque de Vicence l’admettra lui-même, de sorte que l’on parlera de miracle, et c’en est un.

  • Il est vrai que toute la vie de cette fille aura été une suite de prodiges, de miracles et de souffrances. Celui-là fait même petite mine en comparaison. Giovanna Bonomo est la fille d’un marchand aisé d’Asiago, en Vénétie, au XVIIe siècle. Son père tente d’abord de s’opposer à sa vocation religieuse, puis cède.

  • Quelques mois suffisent, après ses premiers vœux, le 8 septembre 1622, pour que sœur Giovanna Maria parcoure très rapidement tous les paliers de la vie mystique et en expérimente presque tous les phénomènes : extases, visions du Christ, mariage mystique avec lui quand elle a vingt ans, bilocations, vue à distance d’événements dont elle ne peut avoir naturellement connaissance, don de prophétie, pouvoirs de thaumaturge.

  • Continuellement absorbée dans la contemplation de la Passion du Christ, Giovanna en vit dans sa chair chaque épisode entre le jeudi et le vendredi soir. Des stigmates apparaissent, qu’elle supplie Dieu de rendre invisibles, tant elle redoute d’attirer l’attention. Cette tentative pour dissimuler les grâces reçues prouve leur réalité, car une faussaire ou une mythomane, au contraire, en tirerait gloire et les exhiberait afin de se rendre intéressante.

  • En dépit de sa discrétion, la rumeur des charismes de la bénédictine se répand dans la ville et bien au-delà, de sorte que Giovanna Maria est sans cesse sollicitée pour des conseils spirituels, des guérisons, etc. Les curieux et les envieux ignorent que la jeune fille les paie de souffrances physiques et spirituelles atroces.

  • À cause de la jalousie de certaines compagnes et de l’incompréhension de son confesseur, Giovanna Maria est privée pendant sept ans de l’eucharistie et de tout contact avec le monde extérieur. L’obéissance et le silence de la religieuse sont une preuve de l’authenticité de son expérience et démontrent qu’elle essaie vraiment de vivre à l’imitation du Christ dans sa Passion : « Et Jésus se taisait. »

  • Les sanctions se poursuivent jusqu’en 1650. Le Ciel va finalement publiquement accomplir un miracle en faveur de Giovanna lorsqu’un matin, à la chapelle, toute la communauté et le prêtre voient l’hostie voler jusqu’à l’exclue et une main invisible – celle, dira-t-elle, de son ange gardien – la communier. Toutes les sanctions canoniques prises contre elle sont alors levées définitivement et les soupçons dissipés ; Giovanna est même élue abbesse en 1657 et reste à ce poste jusqu’en 1664.


En savoir plus

Née le 15 août 1601 chez un riche marchand de la ville, Giovanni Bonomo, Giovanna Maria souffre beaucoup du caractère violent, emporté et jaloux de son père, et de la façon dont il traite son épouse, Virginia Ceschi, fille de la noblesse locale. Mal mariée, malheureuse, celle-ci se réfugie dans la prière et enseigne tôt à son unique enfant les voies de l’oraison et la confiance en Dieu.

En 1615, après la mort de sa femme, le père de Giovanna Maria, sous prétexte qu’il n’a pas les moyens de pourvoir à son éducation, l’abandonne aux soins des clarisses de Trente, qui l’élèvent. La fillette y acquiert entre autres une connaissance du latin si parfaite et si rapide que certains crieront au prodige. Belle, violoniste si remarquable que les gens ne peuvent se retenir d’entrer dans l’église quand elle joue, Giovanna semble jouir de talents surnaturels qui attirent l’attention sur elle dès son enfance. Admise à faire sa première communion à neuf ans, âge très précoce pour son temps, elle prononce ce jour-là un vœu de virginité perpétuelle, car elle a déjà choisi de rester dans le cloître.Ressentant une vive attirance pour la spiritualité franciscaine, elle choisirait volontiers de rester chez les Pauvres Dames de Sainte-Claire. Bien qu’elle en ait informé son père, Bonomo décide de ramener sa fille chez lui et de la marier.

Certaine que Dieu ne la laissera pas se parjurer, l’adolescente obéit. En effet, après quelques mois, Bonomo, comprenant qu’il ne réussira pas à la faire changer d’avis, accepte de laisser Giovanna entrer en religion, à condition de choisir lui-même la congrégation et le couvent. Il fait exprès de l’éloigner des clarisses et la fait admettre chez les bénédictines du couvent San Girolamo de Bassano del Grappa, que la jeune fille ne quittera plus jamais. Il faut constater qu’elle se montre à la fois obéissante et fidèle, et montre une grande confiance en la providence, tout en acceptant la volonté divine qui dépasse ses aspirations personnelles.

Giovanna prononce ses vœux en 1622 et vit dès lors dans la contemplation des mystères douloureux, s’unissant aux souffrances de celui qui contracte avec elle un mariage mystique en 1626. Mais, comme le Christ le dira plus tard à une autre mystique italienne, Gemma Galgani  : « Les seuls joyaux qui conviennent à l’épouse d’un Roi crucifié sont les épines et la croix. » Toute la vie de la religieuse ne sera plus que douleurs physiques, morales et spirituelles, aggravées par la jalousie de certaines compagnes et l’incompréhension de son confesseur.

En effet, à partir de 1638, le nouveau confesseur du couvent, l’abbé Salvoni, la prend en grippe et refuse de croire à la réalité de ses expériences. Pour lui, l’affaire est entendue, et il fait en sorte que tout le monde soit au courant, à San Girolamo comme à l’extérieur, que la religieuse est une folle simulatrice. Giovanna en est très malheureuse mais ne tente pas de se défendre ni d’échapper à cette croix. Le prêtre informe ensuite l’évêque de Vicence, Mgr Bragadin, qu’il inquiète assez pour l’inciter à se rendre à Bassano juger par lui-même. À l’issue de cette visite, en 1643, Mgr Bragadin casse l’élection abbatiale de Giovanna, lui interdit tout contact avec l’extérieur, la privant de parloir et de correspondance, et lui refuse l’eucharistie. Elle accepte cette sentence injuste et ces pénitences cruelles, qui se poursuivent jusqu’en 1650.

Privée pendant sept ans de l’eucharistie et de tout contact avec le monde extérieur, la religieuse doit sa réhabilitation à une communion miraculeuse dont sa communauté est témoin. Elle est élue abbesse, choix auquel l’évêque de Vicence s’était auparavant opposé, et le reste douze ans. Elle meurt en odeur de sainteté le 1er mars 1670. Son procès de béatification est ouvert en 1706, elle est béatifiée par Pie VI en 1783.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

L’article de M.-C. de Ganay dans la revue La Vie spirituelle, ascétique et mystique   La bienheureuse Jeanne-Marie Bonomo  », Lethielleux, juillet 1920.


En complément

  • Girolamo Lombardi, Compendio della vita della beata Giovanna Maria Bonomo, 1783. En italien. Disponible en ligne .

  • Sur la chaîne YouTube Padre Pio TV, la vidéo «  Giovanna Maria Bonomo (Un giorno, un santo ) ».

  • Sur le site Internet Santi e Beati, la notice biographique sur « Beata Giovanna Maria Bonomo, Badessa benedettina » (disponible en italien et en anglais).

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