
Sainte Joaquina de Vedruna fonde les Carmélites de la Charité (+1854)
Mère Joaquina du Père-Saint-François fonde à quarante-trois ans, le 26 février 1826, dans la bourgade catalonaise de Vic, en Espagne, un institut religieux dévoué aux soins des personnes malades et des filles dont les parents sont démunis. L’occupation du pays par les troupes napoléoniennes, puis plusieurs années plus tard la guerre civile, qui oppose libéraux et carlistes, mettent les villes et les campagnes à feu et à sang. Mère Joaquina et ses religieuses témoignent, durant ces troubles, du visage compatissant aux misères d’autrui, soignant, soulageant, instruisant et apportant à ceux auprès desquels elles se rendent la paix et la joie du Ciel.
Les raisons d'y croire
Joaquina demande à douze ans à entrer au monastère des Carmélites de l’Incarnation, à quelques pas de la maison familiale de la rue de l’hôpital. Il ne faut pas voir là le résultat de pressions parentales – d’ailleurs, la prieure du carmel reporte son entrée pour s’en assurer. Le témoignage de Joaquina tout au long de sa vie indique clairement que cette aspiration lui était propre. Son mariage, quatre ans plus tard, le prouve d’ailleurs, par l’absurde : son désir de vie religieuse contemplative ne la quitte jamais. Le souhait de Joaquina à douze ans témoigne bien de sa maturité affective, de son intelligence précoce et d’un véritable appel de Dieu à son égard : son engagement ultérieur dans l’ordre des Carmélites de la Charité, congrégation qu’elle fonde elle-même, le prouve.
Après le décès de son mari, en 1816, la vie matérielle est difficile pour Joaquina. Elle veille cependant avec soin sur l’éducation de ses enfants. Sur les six qui atteignent l’âge adulte, quatre entrent en religion et deux fondent une famille. On voit que Joaquina a su éveiller et développer avec fruit en ses enfants l’esprit d’altruisme, le détachement de l’intérêt propre et la volonté de travailler à réaliser ou à atteindre un bien qui dépasse l’individu : la famille et Dieu. Ce désintéressement est évidemment aussi un trait notable de sa propre personnalité.
La famille de carmélites qu’elle fonde trouve dans la charité et dans le dévouement absolu à Dieu et aux âmes sa grande raison d’être. L’institut des Carmélites de la Charité a poursuivi cette œuvre jusqu’aujourd’hui : actuellement, environ 2 500 religieuses, sur quatre continents, se dédient à l’éducation de la jeunesse et aux soins hospitaliers.
Pour parvenir à faire toujours la volonté de Dieu, Joaquina encourage ses Filles à offrir leur cœur et leurs actions quotidiennes à la Sainte Trinité et à Notre Dame du Mont-Carmel, et à s’appuyer sur la sainte Eucharistie (Jésus-Christ vrai homme et vrai Dieu présent en personne au tabernacle, comme vous ou moi à l’endroit où nous nous trouvons en cet instant, mais d’une manière cachée).
La mère Paula Delpuig i Gelabert, qui a succédé à mère Joaquina comme supérieure générale, réunit avec soin tous les témoignages possibles des personnes qui ont côtoyé mère Joaquina. Nous disposons aussi de 172 lettres de correspondance de Joaquina Vedruna. L’enquête sur sa vie et ses écrits a permis de constater qu’elle a mis en pratique les vertus naturelles et chrétiennes à un degré héroïque ; c’est pourquoi elle est déclarée vénérable en 1935.
La confirmation de deux miracles attribués à son intercession a permis au pape Pie XII de présider sa béatification en 1940. Puis, le pape Jean XXIII a canonisé Joaquina Vedruna de Mas le 12 avril 1959 dans la basilique Saint-Pierre.
En savoir plus
Le 16 avril 1783, rue de l’hôpital, dans une famille de l’aristocratie barcelonaise, naît Joaquina de Vedruna Vidal. Son père est notaire à la chancellerie royale de Barcelone. C’est sa mère qui l’éduque, à la maison familiale. Elle épouseà seize ans, en 1799, un jeune ami de son père, notaire lui aussi à la même chancellerie, Teodoro de Mas. Ce dernier est l’aîné de la fratrie d’une famille de propriétaires terriens appartenant à la noblesse rurale de Vic, dans la région d’Osona. Seuls six des neuf enfants du ménage parviendront à l’âge adulte. L’aîné des garçons, Joseph-Joachim, et sa deuxième fille, Agnes, se marieront. Anna et Teresa choisiront la vie religieuse mendiante des Clarisses, au monastère Sainte-Marie de Pedralbes, à Barcelone (actuellement un musée pour la majeure partie de l’édifice).Maria del Carmen et Théodora embrasseront la vie cistercienne (qui est une réforme austère de la vie bénédictine) à l’abbaye Sainte-Marie de Vallbona, dans la comarque d’Urgell (également en Catalogne).
Durant la campagne d’Espagne, de 1808 à 1813, Teodoro combat pour sa patrie. L’armée napoléonienne occupe alors le pays sous l’autorité relative du frère de l’empereur, Joseph, « el rey intruso » comme le désignent alors les Espagnols. Teodoro contracte la tuberculose au cours de ces années, et meurt en 1816. Joaquina quitte alors Barcelone et s’installe dans la maison familiale de son mari, au Mas Escorial, à Vic. En 1819, elle rencontre dans l’église des Capucins de Vic un frère du même ordre, Étienne (Esteve en catalan) d’Olot, de son vrai nom Esteve Fàbregas i Sala, qui devient son directeur spirituel. Avec l’accord de l’évêque de Vic, Pau de Jesus Corcuera i Caserta, il l’encourage à créer un institut religieux dédié au soin des malades et à l’éducation des filles de modeste extraction : les Sœurs de la Pénitence de Saint-François. « Dieu paie au centuple. Si nous voulons obtenir des grâces, nous devons faire le bien », encourage-t-elle. L’évêque préfère finalement placer la nouvelle congrégation sous le patronage de Notre Dame du Mont-Carmel et, le 6 janvier 1826, Joaquina prononce ses vœux religieux à la tête de huit compagnes, qui s’engageront à leur tour trois semaines plus tard. Les premières religieuses s’installent pour la fête de la Purification (la Chandeleur), le 2 février au Mas Escorial. Le 26 février, le nouvel institut est officiellement créé.
En avril 1837, durant la première guerre carliste – qui oppose de 1833 à 1839 les conservateurs à la suite de l’infant Charles, frère cadet de Ferdinand VII, qui revendique la couronne, et les libéraux, partisans de la reine Isabelle II d’Espagne, fille et successeur de Ferdinand VII –, mère Joaquina est arrêtée et emprisonnée pendant cinq jours à Vic en raison de l’implication de Joseph Joaquim dans les rangs carlistes. Elle rejoint ensuite la maison de sa congrégation à Barcelone pour se mettre à l’abri de représailles ultérieures (le noviciat de Vic fermera en juillet 1840), puis l’hôpital militaire de Berga, que tiennent encore les carlistes. Devant l’avancée des troupes des libéraux près de Braga, les religieuses prennent le chemin de l’exil. Mère Joaquina quitte l’Espagne et se réfugie dans le Roussillon. Elle est de retour à Vic en septembre 1843, après avoir visité les communautés de sa congrégation pendant l’année. C’est en effet à la réouverture du noviciat, aux nouvelles fondations et au développement des maisons déjà existantes qu’elle se dévouera désormais. En 1845, elle complète la règle initiale, puis obtient du chanoine du chapitre cathédral, Llucià Casadevall i Duran – le chapitre a auparavant nommé deux vicaires capitulaires pour gouverner le diocèse jusqu’à la nomination d’un successeur à l’évêque défunt – l’octroi définitif de l’habit du Carmel. Les vœux, qui jusqu’alors n’étaient que privés, sont reconnus comme publics, c’est-à-dire définitifs d’un point de vue juridique. Antoine Claret, prêtre diocésain de la province de Barcelone, que son évêque avait chargé de missions paroissiales, parcourt alors la province – c’est le futur saint évêque Antoine-Marie Claret. Mère Joaquina lui demande conseil, et aide pour la formation religieuse des novices, puis s’en remet à lui pour rédiger la forme ultime des constitutions en vue de l’approbation définitive de la congrégation, qui aura lieu en 1850.
Entre temps, le nouvel institut grandit : en Catalogne d’abord, puis dans toute l’Espagne, avant de fonder des maisons en Amérique latine. Les constitutions seront revues de nouveau en 1866 et l’institut prendra alors son nom définitif : les Sœurs Carmélites de la Charité.
Mère Joaquina s’installe à la fin de l’année 1852 à la Maison de la Charité, à Barcelone. Elle est fatiguée et malade, et ne gouverne plus que par échange épistolaire. Une lente paralysie s’empare de ses membres. Avec l’accord de la mère, l’évêque désigne sœur Paula Delpuig i Gelabert pour l’assister dans le gouvernement. Cette dernière succédera à mère Joaquina. Visitée régulièrement par sa fille Agnes, désormais veuve, qui va elle-même s’entretenir avec ses autres filles clarisses à Santa Maria de Pedralbes, veillée attentivement par sœur Veneranda, soutien fidèle de la première heure, elle s’éteint victime du choléra le 28 août 1854, après avoir reçu les derniers sacrements, c’est-à-dire après s’être confessée une ultime fois et avoir reçu l’extrême-onction, sacrement qui, s’il ne rend pas la santé au malade, le prépare à rejoindre en paix son Rédempteur.
Elle est déclarée vénérable (c’est-à-dire qu’après une longue enquête sur sa vie et ses écrits, on constate qu’elle a mis en pratique durant sa vie les vertus naturelles et chrétiennes à un degré héroïque) le 16 juin 1935 par le pape Pie XI. Béatifiée par son successeur Pie XII le 19 mai 1940, elle est canonisée le 12 avril 1959 par Jean XIII.
Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.
Au delà
En fondant de nombreux couvents, écoles et hôpitaux, les carmélites de la Charité ont eu une grande influence au XIXe siècle par leur engagement en faveur de l’éducation et de la santé.
Aller plus loin
Maria Teresa Llach, Joaquima de Vedruna. Cuatro vidas en una, Barcelone, Claret, 2021.
En complément
Joaquina de Vedruna, Epistolario, Vitoria, 1969. Edicion critica preparada por Melchor de Pobladura y Ana Maria Alonso Fernandez, Editorial Vedruna.
Jean XXIII, « Discours aux pèlerins venus à Rome pour honorer les nouveaux saints Charles de Sezze et Gioacchina de Vedruna de Mas », 13 avril 1959. En ligne .
Ana Maria Alonso Fernandez, Historia Documental de las Hermanas Carmelitas de la Caridad, Vitoria, tome I (1968) et II (1971). Le tome III est dû à M.T. Llach et à M. Arumi, Barcelone, Claret, 2005.
Benito Sanz y Fores, Vida de la Madre Joaquina de Mas y de Vedruna, Fundadora de la Congregación de Hermanas Carmelitas de la Caridad y breve noticia de algunas Hermanas del Instituto, Madrid, 1892. Cette biographie, rédigée par l’archevêque de Valladolid à la demande de la mère Paula Delpuig i Gelabert, qui a succédé à mère Joaquina comme supérieure générale, est fondée sur les témoignages des sœurs qui avaient connu la mère Joaquina Vedruna.
Emilio Iturbide, Del matrimonio a la gloria de Bernini : Santa Joaquina Vedruna, fundadora del Instituto de Hermanas Carmelitas de la Caridad : Ejemplo vivo para todos los estados de la vida, Pampelune, Gomez, 1959.
L’article de Maria Teresa Llach i Galilea « Joaquima de Vedrunaarrelada a Vic », 1983, 26 p. Disponible en ligne .
Le site des Carmélites de la Charité présente succinctement les étapes marquantes de la vie de leur fondatrice, et la congrégation aujourd’hui. Il est disponible en plusieurs langues.