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La profondeur de la spiritualité chrétienne
Europe
Nº 524

Le christianisme fut un moteur essentiel de l’abolition de l’esclavage

L’esclavage est, malheureusement, l’un des faits les plus universels. Son abolition est une page marquante de l’histoire humaine. Cette transformation fondamentale n’est pas apparue spontanément dans la civilisation occidentale ; elle a débuté dans un contexte, historique et géographique, très précis : celui de l’Europe moderne. Si les causes sont multiples, le facteur religieux, c’est-à-dire la foi chrétienne, a joué un rôle central dans cette abolition. Les enseignements du Christ, portés par des générations de chrétiens engagés, ont progressivement amené les consciences au rejet moral de l’esclavage, puis à son abolition.


Les raisons d'y croire

  • L’esclavage est présent à toutes les époques et dans toutes les civilisations. Pourtant, c’est uniquement dans le contexte précis d’une culture chrétienne que se met en place le processus d’abolition.

  • Dans l’Ancien Testament, nous trouvons déjà l’affirmation de l’unité de la race humaine à travers le récit de la création d’Adam et Ève ( Genèse 1,27 ). Cette perspective contraste radicalement avec les systèmes de valeurs des sociétés antiques, qui divisent les êtres humains en différentes races, établissant une hiérarchie entre elles.

  • De façon plus claire encore, le Nouveau Testament insiste maintes fois sur l’égalité des hommes devant Dieu. Saint Paul, par exemple, exhorte Philémon à traiter l’esclave Onésime comme un frère en Christ ( Lettre à Philémon 16 ), c’est un réel renversement des valeurs que présente l’Évangile : « Il n’y a plus ni esclave ni libre, car vous êtes tous un en Jésus-Christ » ( Galates 3,28 ).

  • À toutes les époques, on trouve des chrétiens qui vivent de façon complète l’Évangile et, inspirés par leur foi, œuvre en faveur de l’abolition de l’esclavage : Grégoire de Nysse († 395), sainte Valérie la Jeune († 399), saint Patrick d’Irlande († 460), sainte Bathilde († 680), saint Pierre Nolasque († 1256), Louis X († 1316), le pape Pie II († 1464), le pape Paul III († 1549), Bartolomé de las Casas († 1566), Richard Baxter († 1691), Samuel Seward († 1730), John Newton († 1807), William Wilberforce († 1833), saint Antoine-Marie Claret († 1870), le pape Grégoire XVI († 1846), le cardinal Charles Lavigerie († 1892), pour n’en citer que quelques-uns…

  • À titre de comparaison, dans les sociétés arabo-musulmanes où la charia s’applique, aucune initiative abolitionniste n’a émergé avant le XIXe siècle. L’abolition dans ces régions résulte davantage de l’influence extérieure des nations occidentales et de leur héritage chrétien.


En savoir plus

La Genèse, le premier livre de la Bible, s’ouvre avec le récit de la création du monde et de l’être humain. Ce texte est essentiel, car il présente la pensée de Dieu et permet aux humains de comprendre en quoi celle-ci se distingue des conceptions véhiculées par les récits mythologiques des autres peuples. Parmi les points essentiels, nous trouvons l’affirmation de l’unité de la race humaine à travers le récit de la création d’Adam et Ève.

Cette unité de la race humaine s’oppose à toutes les théories, anciennes et modernes, qui divisent l’humanité en différentes races, souvent hiérarchisées entre elles. Ces théories constituent l’un des principaux éléments qui permettent de justifier l’esclavage. Ainsi, nous pouvons dire que, même si la Bible n’interdit pas immédiatement l’esclavage, ce qui était inconcevable à l’époque où les textes ont été écrits, l’anthropologie – c’est-à-dire la vision de l’être humain – communiquée par la Bible est très défavorable à l’esclavage.

Les lois de l’Ancien Testament encadrent l’esclavage et imposent des conditions restrictives visant à limiter les violences arbitraires dont pourraient être victimes les esclaves. Elles facilitent aussi leur libération sous certaines conditions. C’est dans cette continuité que se situent les exhortations de l’apôtre Paul. Il rappelle aux maîtres terrestres que les esclaves et eux-mêmes ont, au Ciel, un même maître, qui ne fait aucun favoritisme ( Éphésiens 6,9 ).

Après les apôtres, l’Église a continué dans cette voie. Le rachat des esclaves, pour les libérer, a toujours été un acte de charité important pour les chrétiens. De même, les maîtres étaient incités à bien traiter leurs esclaves. Certains Pères de l’Église sont même allés plus loin. Ainsi, Grégoire de Nysse (IVe siècle), un des grands docteurs de l’Église, dans ses Homélies sur l’Ecclésiaste, s’est prononcé contre le principe même de l’esclavage. Il accompagne sa parole par des actes en affranchissant, tout comme son ami Grégoire de Nazianze, de nombreux esclaves. Au cours des siècles suivants, quelques groupes chrétiens minoritaires se sont opposés à l’esclavage.

En 1315, le roi de France Louis X, qui est chrétien, proclame dans une ordonnance que tout esclave qui touche le sol de France est automatiquement libéré. Même si cette loi ne sera par la suite pas toujours appliquée, et même amendée, elle pose un principe essentiel et exceptionnel dans l’Histoire.

Au début de l’époque moderne, l’esclavage est sujet à débat entre théologiens. Sans en prôner l’arrêt complet, de plus en plus de restrictions et de limites sont imposées. Ainsi, dans la lignée de saint Thomas d’Aquin, qui estime, dans sa Somme théologique, qu’un bien « mal acquis » doit être restitué, des théologiens dominicains, comme Francisco Garcia, affirment que les esclaves « mal acquis » doivent être libérés, parfois même avec des compensations !

Plusieurs textes pontificaux, émanant notamment des papes Pie II (lettre Rubicensem du 7 octobre 1462) et Paul III (bulle Veritas ipsa du 2 juin 1537), condamneront aussi l’esclavage, même si leur portée est discutée. Cependant, il faut là encore reconnaître que les puissances séculières de l’époque, notamment la Couronne d’Espagne, ont fait pression sur la papauté pour qu’elle retire sa condamnation, ou au moins la sanction d’excommunication qui l’accompagnait, et qu’elles obtiendront temporairement gain de cause. Ces condamnations pontificales ont toutefois permis de créer des précédents, et la papauté condamnera définitivement la traite en 1839.

Dès la fin du XVIIe siècle, le théologien Richard Baxter se montre catégorique. Dans son ouvrage majeur, A Christian Directory, écrit en 1673, il dénonce les chasseurs d’esclaves comme des ennemis de l’humanité et menace les planteurs, qui en profitent, de sanctions divines. Ces condamnations théologiques s’accompagnent de démarches politiques. En 1688, plusieurs chrétiens récemment immigrés aux États-Unis présentent une pétition pour abolir l’esclavage en Pennsylvanie. Même si cette pétition n’aboutit pas, le débat est lancé. En 1700, Samuel Seward (1652 – 1730), juge à la Cour supérieure du Massachusetts, s’appuie sur les généalogies bibliques pour dénoncer l’esclavage comme contre-nature.

Les protestations s’amplifient au XVIIIe siècle dans le sillage des « Réveils religieux ». De nombreux chrétiens influencés par ces différents Réveils s’engagent dans la lutte contre la traite négrière et l’esclavage. Parmi les figures les plus connues, nous pouvons mentionner John Newton, l’auteur d’Amazing Grace, et son ami William Wilberforce, qui a combattu aux côtés de Thomas Clarkson pour abolir la traite négrière, puis l’esclavage, dans l’Empire britannique. Cette campagne aboutit à une double victoire en 1807, tout d’abord, pour la traite négrière,puis, en 1833, pour l’esclavage. La plupart des États européens ont pris des décisions similaires durant ces mêmes décennies.

David Vincent est doctorant en histoire des religions et anthropologie religieuse à l’École Pratique des Hautes Études.


Au delà

Là où l’Évangile a été accueilli, il a positivement transformé les cœurs, les sociétés et les lois.


Aller plus loin

Olivier Grenouilleau, La Révolution abolitionniste, Paris, Gallimard, 2017.


En complément

  • L’émission Au risque de l’histoire sur ktoTV : «  L’Église et l’esclavage  ».

  • ZORN Jean-François, « Le combat anti-esclavagiste chrétien au XIXe siècle », Bulletin de la SHPF, SHPF, Paris, 1993, Tome 127, p. 635-652

  • Olivier Grenouilleau, Christianisme et esclavage, Gallimard, 2021. Certains chapitres peuvent être consultés en ligne .

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