
Mélanie la Jeune : par le chas d’une aiguille (+439)
Adolescents, Valeria Melania et son cousin, Valerius Pinianus, auquel elle est promise en mariage, héritent, chacun de leur côté, à la mort de leur père, de fortunes colossales. Loin de s’en réjouir, les deux jeunes milliardaires romains, accablés en songeant aux paroles de Jésus – « Il est plus difficile à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille » –, n’ont plus qu’une idée : donner aux pauvres tout cet argent.
Les raisons d'y croire
Grâce à saint Jérôme et à saint Augustin, nous étions déjà bien renseignés sur la vie de Mélanie la Jeune et de son mari, mais, à la fin du XIXe siècle, le cardinal Rampolla, alors nonce en Espagne, découvre par hasard dans un fonds madrilène d’archives ecclésiastiques un manuscrit antique inconnu, Vie de Mélanie la Jeune, rédigé au Ve siècle par le moine Gerontius, qui fut l’un de ses proches durant les dernières années de son existence. Ce texte, nourri de souvenirs personnels, permet de comprendre l’ampleur des sacrifices consentis par le jeune couple et sa confiance absolue en la providence. Leur foi est stupéfiante, comme leur volonté de mettre vraiment et pleinement l’Évangile en application.
Un songe de Mélanie est le déclencheur de leur choix de donner aux pauvres leur fortune. Elle rêve qu’elle doit franchir un mur immense qui lui ferme l’accès au paradis. Elle y réussit non sans peine et trouve, de l’autre côté, la« porte étroite » dont parle l’Évangile, la seule par laquelle il est possible d’entrer dans le Royaume. Le couple comprend que se détacher des biens et de l’affection de ce monde leur permettra de se tourner vers l’au-delà, leur seule véritable patrie.
Mélanie et Pinien veulent vivre leur foi de façon absolue, en renonçant à tous les biens de ce monde, ce qui déconcerte dans l’Empire romain, à la christianisation encore récente. Leurs choix radicaux – renoncer à leur fortune et vivre dans la chasteté – scandalisent beaucoup de gens, même parmi leur famille et leurs amis. Il faut une grande constance pour que Mélanie et Pinien bravent le qu’en-dira-t-on et s’acharnent à aplanir tous les obstacles. Seule une foi totale permet de persévérer ainsi des années dans leur idée.
De plus, la législation de l’Empire romain se durcit, jusqu’à interdire le dépouillement volontaire. Si les riches renoncent à exploiter leurs propriétés foncières et libèrent leurs esclaves – Mélanie, à elle seule, en possède plus de huit mille –, les autorités redoutent une déstabilisation de la société et l’aggravation de la crise. Dans ces conditions, les jeunes gens pourraient penser que Dieu décline leur sacrifice. Mais, être réduits à l’indigence est leur rêve car ils seront sûrs d’entrer au Ciel. Afin de se dépouiller de ses biens, la législation le lui interdisant, le couple va chercher tous les biais légaux possibles.
L’invasion barbare de 405 et le siège et la chute de Rome en 410 vont partiellement les exaucer. Il ne restera rien, en effet, de leur demeure romaine fabuleuse ni de leur autre propriété des environs. Mélanie et Pinien font partie de ceux qui ont le bon sens de quitter la ville avant qu’elle tombe aux mains des Wisigoths. Ils se réfugient en Sicile, puis en Afrique du Nord, à Thagaste, dans l’Algérie actuelle, auprès de saint Augustin, et enfin à Jérusalem. Mélanie s’enferme dans le couvent du mont des Oliviers que sa grand-mère, Mélanie l’Ancienne, a fondé après son veuvage. Elle y vit en recluse, désolée de savoir qu’une partie de son patrimoine, dispersé aux quatre coins de l’Empire, lui appartient encore et qu’elle ne parviendra jamais à mourir pauvre…
En savoir plus
Née en 383 à Rome, Valeria Melania est l’enfant unique de Valerius Publicola et Ceionia Albina. Même s’ils se prétendent descendants de familles nobles de la République, les Valerii sont originaires d’Espagne et se sont installés en Italie lors des grandes crises du IIIe siècle. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont incroyablement riches et poursuivent une politique d’alliances matrimoniales,renforçant les liens du sang entre les familles de l’aristocratie et regroupant des fortunes déjà colossales. Cela explique pourquoi Mélanie est promise dès l’enfance à son cousin Pinien, qu’elle épouse à quatorze ans.
Pourtant, elle veut imiter son aïeule paternelle, Mélanie l’Ancienne, qui, après la mort accidentelle de son époux et de ses deux aînés, quitte Rome, laissant à un tuteur le petit Publicola, pour aller vivre à Jérusalem et y fonder deux monastères. Mélanie la Jeune a donc de qui tenir… Contraints au mariage, et partageant le rêve d’une vie vraiment évangélique et dépouillée, Pinien et Mélanie, qui s’aiment d’ailleurs tendrement, malgré la mort de leurs deux fils, s’en tiennent à leur volonté de vivre dans le saint propos puis commencent à essayer de liquider leurs biens, tâche dont ils ne verront pas le bout.
En effet, personne n’est assez riche pour leur acheter leurs propriétés, alors qu’ils souhaitent utiliser cet argent pour les fondations pieuses dont ils rêvent et pour l’assistance aux pauvres. Leur seule maison de ville, à Rome, est si vaste et si coûteuse, avec ses immenses jardins, ses fontaines, ses meubles somptueux, ses œuvres d’art, sa ménagerie, son théâtre privé, sa domesticité, que même l’empereur n’a pas les moyens de l’acheter, serait-ce très en dessous de sa valeur réelle.
Ils fuient Rome avant qu’elle tombe au pouvoir des Wisigoths en août 410. Ils n’y retourneront jamais. Après un séjour dans leurs terres siciliennes, puis sept ans en Afrique du Nord, près d’ Augustin , le couple s’installe à Jérusalem en 417 et se sépare, Mélanie s’enfermant au couvent du mont des Oliviers fondé par sa grand-mère. Veuve en 432, elle survit à son mari jusqu’au 31 décembre 439 : elle meurt au retour d’un voyage à Constantinople, où l’avait appelée l’impératrice Eudoxie, désireuse de bénéficier de ses conseils.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Gerontius, Vie de Mélanie la Jeune. Disponible en diverses éditions, notamment celle de Sources chrétiennes , 1962.
En complément
Saint Jérôme, Lettres, Sources chrétiennes, Le Cerf. Disponible en ligne en diverses langues.
Sur le site Internet Iconographie Chrétienne, la page dédiée à sainte Mélanie la Jeune, veuve, recluse et fondatrice, et saint Pinien, moine .