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Les saints
Rome (Empire romain)
Nº 521
IVe siècle

La grande conversion de Fabiola (+399)

Étrange spectacle, ce matin de 384, devant la basilique romaine Saint-Jean-de-Latran : une jeune femme, crâne rasé, vêtue de guenilles, pâle, émaciée, se couche en travers du porche. Elle pleure à chaudes larmes et, quand arrive le pape Sirice, s’accroche à lui en le suppliant de lui accorder le pardon de Dieu et de la réintégrer dans la communauté catholique. Sirice, touché, lui accorde l’absolution. Cette femme se nomme Fabiola et appartient à la plus haute noblesse romaine. Après avoir fait scandale et publiquement méprisé la loi divine, elle a choisi de se repentir.


Les raisons d'y croire

  • Mariée jeune, et très mal, à un homme de l’aristocratie qui la trompe et la bat, Fabiola divorce dès qu’elle le peut. En droit romain, les femmes peuvent le demander, surtout en cas d’adultère et de mauvais traitements ; elle l’a obtenu et l’Église n’y a rien trouvé à redire. Jamais l'Église n’exige d’une femme battue de rester en compagnie d’un époux indigne. Seul le remariage, considéré comme un adultère si le conjoint est encore vivant, est interdit. Fabiola le sait, mais sa rencontre avec un homme beau, gentil, tendre et attentionné dont elle tombe follement amoureuse la fait renoncer à un chaste célibat. Elle se remarie civilement.

  • En méprisant le qu’en-dira-t-on, Fabiola prouve son caractère déterminé mais surtout sa profonde honnêteté morale, car, pour échapper aux sanctions ecclésiastiques, il lui suffirait de faire ce que font beaucoup : vivre clandestinement sa passion amoureuse. Mais Fabiola a l’hypocrisie en horreur et aime trop son second époux pour ne pas revendiquer leur amour.

  • Fabiola devient donc une femme adultère que son péché retranche de la communion de l’Église. Elle abandonne la pratique religieuse pour vivre sa passion amoureuse, jusqu’à la mort tragique et prématurée de l’homme adoré. Ce drame réveille la foi de Fabiola et lui fait prendre conscience de la gravité de son péché. À la douleur du veuvage s’ajoutent la peur et le désespoir d’avoir causé la damnation de celui qu’elle aimait.

  • Seules la foi et l’espérance chrétiennes permettent à Fabiola de surmonter son chagrin et de ne pas céder au désespoir. Convaincue que la miséricorde divine lavera sa faute et celle de son bien-aimé, elle décide de faire publiquement pénitence pour eux deux, et de le sauver de l’enfer en se sauvant elle-même. Poser un tel acte de confiance en la bonté de Dieu est admirable.

  • Il est pareillement admirable que cette patricienne accepte de se soumettre, par repentir et amour, aux terribles pénitences de la primitive Église. La confession auriculaire n’existe pas encore et le sacrement de réconciliation ne peut être demandé qu’à des conditions drastiques.

  • Fabiola va tout accepter pour obtenir le pardon divin, racheter sa faute et celle de son époux ; elle témoigne ainsi indirectement de la foi de l’Église primitive en l’existence du purgatoire.

  • Après avoir donné à Fabiola son absolution publique, Sirice la réintègre dans la communauté catholique, mais, preuve que sa conversion est totale, la jeune femme va complètement changer de vie. Elle se retire dans la solitude de sa demeure et n’en sort que pour se rendre aux offices ou suivre les enseignements que saint Jérôme, depuis peu installé à Rome, dispense à un cercle de veuves et de vierges chrétiennes du patriciat.

  • Fabiola fait don à l’Église d’une grande partie de sa fortune afin de construire près de Rome le premier hôpital de la ville. Elle s’y rend plusieurs fois par semaine pour soigner les malades, refaire les pansements, changer les draps. Afin d’être plus utile, elle apprend la médecine et la chirurgie. Jérôme témoigne que Fabiola procède en personne à diverses opérations, y compris des amputations, fait la toilette des défunts qu’elle ensevelit, admirant son courage et sa compassion.

  • Ainsi l’épouse adultère, qui a scandalisé jadis, devient-elle le modèle de la veuve chrétienne, admirée pour son dévouement et sa charité. À sa mort, le 27 décembre 399, toute la ville suit son cortège funéraire en l’acclamant comme une sainte.


En savoir plus

Contrairement à ce que l’on croit souvent, Fabiola, ou Fabiole, n’est pas une martyre de la persécution de Dioclétien, à l’aube du IVe siècle, et n’a rien à voir avec l’héroïne imaginaire du roman éponyme du cardinal Wiseman. Elle est née à Rome, à la fin des années 340 ou au début des années 350, dans une très grande famille de l’aristocratie, la gens Fabia, convertie au christianisme lorsque Constantin, après l’édit de Milan, en 313, a affiché sa sympathie pour le christianisme.

Fabiola épouse – comme il convient à une jeune fille de son milieu – le mari que ses parents lui ont choisi. Malheureusement, ce garçon bien né et d’excellente famille se révèle être une crapule qui transforme en cauchemarla vie de sa femme : violences conjugales, adultère public, dettes de jeu, ivrognerie… La malheureuse subit tout. Puis, un jour, après la mort de ses parents, entrée en possession de son très gros héritage familial, possédant les moyens de son indépendance et ne voulant pas voir sa fortune dissipée par son mari, Fabiola demande le divorce. Cela n’aurait pas eu d’importance – le droit civil et l’Église le permettant – si elle avait choisi de vivre dans le célibat, mais la jeune femme fait un autre choix. Et le scandale, public, énorme, fait frémir Rome.

Peu après son divorce, Fabiola rencontre un autre homme, riche et bien né, lui aussi, mais à l’opposé de son premier mari. Elle l’épouse, bien que son compagnon légitime soit encore en vie, ce qui fait d’elle une femme adultère que son péché éloigne de la communion de l’Église. Hélas, leur bonheur est bref : quelques courtes années seulement, avant qu’elle perde son mari dans des circonstances tragiques. Non seulement elle l’a perdu, mais elle pense l’avoir expédié en enfer. Elle ne songe plus qu’à le sauver de la damnation.

Des mois durant, Fabiola, la tête rasée et couverte de cendres, vêtue de haillons, s’agenouille au seuil des églises, qui lui sont interdites, et, en pleurant, implore des prières pour son époux. Les pénitences qu’elle s’inflige sont exigeantes, surtout pour une femme de la très haute noblesse, que son éducation n’incite pas à s’humilier…Amaigrie par les jeûnes, fanée par les larmes, méconnaissable, elle met le comble à son humiliation publique en se jetant aux genoux du pape, en 384,le matin de Pâques, confessant ses fautes devant tous, jusqu’à obtenir la levée de son excommunication. Depuis, elle vit un veuvage austère, ne sortant que pour se rendre à l’hospice qu’elle a fondé où, des journées entières, elle soigne les malades. Elle devient à cette époque la dirigée de saint Jérôme.

En 394, quand celui-ci est chassé de Rome et trouve refuge à Bethléem, où il fonde avec son amie Paula un monastère d’hommes et un autre de femmes, Fabiola se rend en Terre sainte et envisage d’y prendre le voile. La menace d’une invasion des Huns l’oblige à regagner Rome. Elle s’apprête à retourner en Judée lorsque, le 27 décembre 399, elle meurt subitement. Rome lui fait des obsèques triomphales.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au delà

L’Église a porté sur les autels Fabiola, qui, après avoir fait grand scandale à Rome, devient la sainte patronne des divorcés, des infirmières et des chirurgiennes.


Aller plus loin

Saint Jérôme, Lettre à Oceanus, disponible en ligne et en diverses langues.


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