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© CC BY 2.5/Rikker04
Les martyrs
Thaïlande
Nº 520
Décembre 1940

Le témoignage des sept martyrs de Songkhon (1940)

En décembre 1940, un groupe de sept catholiques de Songkhon, un village situé dans le nord-est de la Thaïlande, est mis à mort par la police locale. Ils sont fusillés pour leur foi, dans un acte de répression visant à éradiquer toute influence étrangère, particulièrement chrétienne, et à affirmer le nationalisme bouddhiste du régime. Ces exécutions sont une tragédie humaine, mais, bien au-delà, le martyre est un acte profondément spirituel : c’est le témoignage d’une foi vivante capable de transcender les souffrances et la mort par amour de Dieu. Ces sept martyrs ont été béatifiés par l’Église catholique en 1989.


Les raisons d'y croire

  • Les détails et le contexte des répressions contre les chrétiens thaïlandais sont connus grâce à plusieurs documents. L’Église catholique en Thaïlande et la société des Missions étrangères de Paris ont notamment conservé des lettres de missionnaires et des témoignages contemporains aux persécutions. Nous disposons également des rapports militaires et des archives du gouvernement thaïlandais, qui confirment l’existence d’une politique anticatholique, bien que le régime du maréchal Phibun fût intentionnellement discret à ce sujet.

  • Au début du XXe siècle, les catholiques thaïlandais sont conscients du risque auquel ils s’exposent. En effet, les tensions entre l’État thaïlandais bouddhiste et le christianisme sont séculaires : les persécutions sont chroniques depuis le XVIe siècle, date d’arrivée du christianisme en terre de Siam. Depuis le début de la Seconde Guerre mondiale, la persécution contre les chrétiens, qui sont accusés d’être des espions au service de la France, s’intensifie dans toute la Thaïlande. Dans le village de Songkhon, le prêtre est expulsé, les religieuses sont violées, les lieux de cultes sont profanés…

  • En décembre 1940, alors que la police convoque les villageois les uns après les autres pour leur ordonner d’abjurer et de se convertir, une religieuse, sœur Agnès Phila, écrit une lettre adressée au chef de la police : « Hier soir, vous nous avez ordonné d’oublier le nom de Dieu, le seul Seigneur de nos vies et de nos esprits. Nous n’adorons que lui, monsieur […]. Nous professons que la religion du Christ est la seule vraie religion […]. Quand nous serons partis, nous nous souviendrons de vous. S’il vous plaît, ayez pitié de nos âmes. Nous vous en serons reconnaissants. Et le jour du jugement dernier, nous vous retrouverons face à face. Nous sommes : Agnès, Lucia, Phuttha, Budsi, Buakhai, Suwan, Phuma. »

  • Même sous la menace de la mort, les sept martyrs de Songkhon font le choix de ne pas renier leur foi en Christ, montrant qu’il ne s’agit pas d’une croyance abstraite, mais bien d’une réalité vécue. Leur décision rappelle ce que le Christ lui-même a dit : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera » ( Luc 9,24 ).

  • On peut souligner la totale diversité sociale de ces sept chrétiens thaïlandais mis à mort : homme et femmes, religieux et laïcs, âgés de quatorze à cinquante-neuf ans. Mais leur choix face aux persécutions est le même : rester fidèle au Christ et lui donner leur vie. Le courage exceptionnel dont ils font preuve, en restant fermes dans leur foi face à l’injustice et à la violence, vient d’une conviction profonde en l’amour et la vérité de Jésus-Christ.

  • Comme tous les martyrs chrétiens à travers l’histoire, cet événement témoigne de l’espérance chrétienne en la vie éternelle. Jésus a promis à ses disciples : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » ( Jn 11,25 ).

  • Au fil de l’histoire de la Thaïlande, il est étonnant d’observer un renouveau chrétien après chaque vague de répression. Le sacrifice des chrétiens persécutés renforce l’Église et laisse un héritage spirituel fécond. Aujourd’hui, la population chrétienne en Thaïlande reste minoritaire, mais elle joue un rôle essentiel et reconnu dans la promotion de la paix sociale, de la justice et de l’éducation.


En savoir plus

La défiance du pouvoir politique thaïlandais vis-à-vis des chrétiens est visible à plusieurs moments de l’histoire du pays. Le catholicisme a été apporté en terre de Siam par des missionnaires jésuites et franciscains venus d’Asie et d’Europe au XVIe siècle. Bien que le bouddhisme soit la religion officielle du royaume, les missionnaires ont rencontré un certain succès, notamment au sein de l’élite locale. Le christianisme thaïlandais a ensuite connu des périodes de tolérance et d’hostilité, en fonction des changements politiques et diplomatiques.

Initialement favorable aux missionnaires européens et à leurs contributions en matière d’innovations scientifiques, le pouvoir en place voit d’un mauvais œil l’influence croissante des missionnaires catholiques, si bien qu’au début du XVIIe siècle, plus aucun missionnaire n’est admis dans le pays. En 1656, l’arrivée d’un roi favorable aux influences étrangères, Phra Narai permet aux chrétiens de sortir de la clandestinité. Mais, en 1688, une révolution éclate, qui destitue le souverain. Les missionnaires, considérés comme complices du roi Narai, sont envoyés en prison et les chrétiens du pays subissent une nouvelle vague de persécutions.

Excepté quelques brèves accalmies, les chrétiens de Thaïlande sont réprimés tout au long du XVIIIe siècle, soit par les dirigeants du royaume de Siam, soit par les envahisseurs birmans... Au plus fort de ces persécutions, il ne reste que mille chrétiens en Thaïlande. La violence des persécutions a notamment été racontée par Mgr Jean-Baptiste Pallegoix, vicaire apostolique du Siam oriental entre 1841 et 1862. Il a affirmé dans ses écrits qu’« un volume entier ne suffirait pas pour faire le détail des maux que souffrirent, dans toutes les provinces, tant de chrétiens ».

Au début du XIXe siècle, Mgr Jean-Paul-Hillaire Courvezy et son successeur, Mgr Jean-Baptiste Pallegoix, réussissent à renouer durablement l’entente entre la chrétienté et la Thaïlande. Les missions d’évangélisation reprennent et portent du fruit : au début du XXe siècle, une communauté de vingt-trois mille catholiques vivent en Thaïlande et le pays abrite cinquante-cinq églises et chapelles.

La Seconde Guerre mondiale amène une nouvelle période de méfiance entre le pouvoir thaïlandais et l’Église catholique. Le pays se place du côté de l’Axe et déclare la guerre à la France en 1940. Le gouvernement militaire de Phibunsongkhram est alors au pouvoir. Ce régime est marqué par un nationalisme thaïlandais qui exclut les minorités ethniques et religieuses, en particulier les chrétiens, perçus comme trop liés aux puissances étrangères, notamment françaises et portugaises.

C’est dans ce contexte que sept catholiques, qui n’étaient ni français ni prêtres, furent arrêtés en décembre 1940 dans le petit village de Songkhon (district de Wan Yai, sur les rives du Mékong). Philip Siphong Onphitak (catéchiste, trente-trois ans) est attiré hors de chez lui le 19 décembre 1940 et abattu par la police. Il avait écrit une lettre de plainte au shérif de Mukdahan concernant les persécutions subies dans le village. Agnès Phila et Lucia Khambang (deux religieuses des Amantes de la Croix, trente et un et vingt-trois ans), Agatha Phutta (cinquante-neuf ans), Cecilia Butsi, Bibiana Khampai et Maria Phon (respectivement seize, quinze et quatorze ans) sont arrêtées quelques jours plus tard, le 26 décembre, et exécutées par la police, in odium fidei. Pour intimider la communauté chrétienne, la fusillade collective a lieu publiquement en plein jour.

Après les persécutions subies par les chrétiens en Thaïlande et en Asie du Sud-Est, notamment au XIXe siècle, la foi chrétienne a continué d’évoluer et de se renforcer, malgré les défis imposés par l’hostilité religieuse et politique. L’histoire des martyrs, tels ceux de Songkhon, a joué un rôle clé dans la préservation et la croissance de l’Église chrétienne dans la région.

Solveig Parent


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