
La Guadalupe espagnole (1326)
Bien avant les apparitions de Notre Dame à Juan Diego et le don miraculeux de l’inexplicable tilma à l’Indien, une autre image sainte était déjà vénérée en Espagne et connue depuis le XIVe siècle sous le nom de Vierge de Guadalupe. Ainsi, une série de coïncidences providentielles semble avoir organisé de très loin l’installation du sanctuaire mexicain de Marie, cœur de la conversion des populations indiennes et facteur d’unité entre indigènes et colons espagnols. Notre Dame de Guadalupe d’Estramadure est fêtée le 4 novembre.
Les raisons d'y croire
Le premier document officiel concernant l’image miraculeuse de Notre Dame de Guadalupe, rédigé et cosigné par une dizaine de prélats espagnols, et connu sous le nom de codex 1440 ou 344, date de 1326. Il fait état de la découverte d’une antique statue de la Vierge au bord de la rivière de Guadalupe en Estrémadure (Espagne).
Un vacher, nommé Gilles Cordero, s’apercevant qu’il lui manque une bête, part à sa recherche et la retrouve comme morte mais sans blessure apparente. Alors qu’il s’apprête à écorcher la bête pour récupérer la peau, la vache se redresse et la Vierge Marie lui apparaît. Elle demande au bouvier que le clergé de Caceres creuse à cet endroit pour retrouver sa statue et que soit construit en ce lieu un oratoire.
Il faut cependant attendre la résurrection du propre fils de Cordero pour que le clergé, réticent, se décide à admettre l’hypothèse d’une intervention surnaturelle. En revenant à la vie, le petit garçon affirme à ceux qui l’entourent qu’une « Belle Dame lui a dit de se réveiller et se lever ». Ce miracle incite à entreprendre les fouilles.
Ces fouilles vont livrer ce qui ressemble à une boîte ou à un petit sarcophage en marbre, portant des inscriptions latines, qui se brise quand on veut l’ouvrir. À l’intérieur apparaît une statue de la Vierge et des documents anciens l’authentifiant.
Selon ces documents, la statue, assez abîmée, aurait été offerte en 590 par le pape saint Grégoire le Grand à son ami saint Léandre, archevêque de Séville, afin de l’aider à réintroduire le culte marial en Espagne, alors sous le contrôle des Wisigoths ariens, négateurs de la divinité du Christ, donc de la maternité divine de Marie. En 711, des prêtres sévillans auraient emporté la statue afin de la soustraire aux musulmans pour la cacher dans les montagnes d’Altamira. Tout cela est historiquement vraisemblable.
Les conditions de la découverte n'ont été dénigrées que dans les années 1970, à un moment où il convenait de nier toute réalité aux événements jugés surnaturels. Dans d'autres sanctuaires, des récits similaires racontent aussi une découverte inattendue d’un objet sacré, par l’intermédiaire d’un animal ou de jeunes bergers. La répétition systématique de l'histoire ne permet pas de rejeter d’office ces récits. Il serait très suspect de justifier toujours de la même manière la découverte d’un objet saint : cela trahirait un fâcheux manque d’imagination… Il très possible plutôt que les gens racontent tous à peu près la même chose parce que les événements sont en effet identiques.
De plus, de telles découvertes se sont poursuivies en des époques modernes, jusqu’au XXe siècle, documentées et attestées de manière raisonnée, voire scientifique. L’éventuelle « crédulité des temps médiévaux » ne peut donc être systématiquement invoquée.
Le rôle des animaux – brebis, agneaux, bovins – rappelle, comme dans la Bible, que les bêtes peuvent être plus sensibles que nous aux interventions divines, soulignant la solidarité de la Création qui « gémit toute entière dans les souffrances de l’enfantement » ( Rm 8,22 ), espérant participer un jour à sa rédemption.
Des analyses trop rapides ont conclu un temps que la statue, du type « Trône de la Sagesse », c’est-à-dire représentant Marie assise, l’Enfant Jésus sur les genoux, datait de la fin du XIIe siècle et que cette datation invalidait toute « la légende ». En revanche, d’autres, plus récentes, ont conclu que, certes, l’image avait subi, en raison de sa dégradation, diverses restaurations médiévales, mais qu’elle était taillée dans du cèdre, bois utilisé seulement au Proche-Orient à cette époque et que son travail correspondait à ce que l’on savait des façons des sculpteurs de Palestine ou de Syrie au début de notre ère. Ses origines antiques sont donc attestées.
Un premier oratoire est bâti en 1330 en l’honneur de Notre Dame par le roi Alphonse XI de Castille, qui transformera cet oratoire en église dix ans plus tard, après avoir invoqué la Vierge de Guadalupe sur le champ de bataille en 1340 et remporté la victoire de Salado. Dès lors, la Guadalupe devient l’un des sept grands sanctuaires marials d’Espagne, familier à tous les colons partis pour le Mexique, et d’abord à l’évêque de Mexico, originaire de Castille. Il ne sera donc pas étonné que la Dame se présente sous ce nom.
En fait, la Dame a dit à Juan Diego qu’elle était Coatloppe, mot indien qui ressemble en effet à Guadalupe mais signifie dans la langue maternelle du voyant « celle qui écrase le serpent ». Marie se dit donc la Nouvelle Ève promise dans le livre de la Genèse, celle qui ne cède pas aux mensonges diaboliques et défait les forces du mal en les écrasant de son pied virginal.
Pour les Indiens, l’apparition sur la colline de Tepeyec réalise une vieille prophétie attribuée à Quetzalcoatl, le roi divinisé obligé de disparaître face à ses vainqueurs, qui livreront son royaume aux forces obscures en attendant l’arrivée d’une jeune fille qui détruira le pouvoir infernal. Pour les Espagnols, Marie vient comme la Mère familière qu’ils vénèrent à la Guadalupe. La fusion des deux permettra, après les conversions massives, au lendemain des apparitions, des Indiens libérés par la Vierge des sacrifices humains, union et réconciliation des deux populations dans le catholicisme.
En savoir plus
À la fin du XIIIe siècle, au bord du torrent de Guadalupe, dont le nom signifierait selon les uns « rivière des loups », selon les autres « rivière des ours » et, selon d’autres encore, « rivière encaissée » ou « rivière aux rives sombres », l’on découvre dans des circonstances très improbables un sarcophage de marbre contenant une antique statue de Notre Dame assise, tenant son Fils sur les genoux. Selon les documents qui l’accompagnent, la sainte image aurait été cachée là en 711 ou 714 afin de la soustraire aux musulmans. Offerte par le pape saint Grégoire le Grand à son ami saint Léandre de Séville, la statue serait réputée œuvre de saint Luc l’évangéliste. Le pape aurait rapporté la statue de Constantinople, où il avait exercé les fonctions d’apocrisiaire (nonce) durant plusieurs années.
Originaire du Proche-Orient et datable du Ier siècle, l’image est vite devenue célèbre pour les miracles innombrables qu’elle opère et qui drainent les foules de pèlerins vers elle. Très vénérée des souverains castillans, puis de tous les rois d’Espagne, Notre Dame de Guadalupe se confond en 1531 avec « Celle qui écrase le serpent », Coatloppe, nom que Marie utilise pour se présenter à l’Indien Juan Diego sur la colline de Tepeyec. Ainsi, les deux cultes marials n’en feront-ils plus qu’un, le sanctuaire espagnol, dans la province de Cáceres, bénéficiant de la gloire du sanctuaire mexicain.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Preuve de l’importance attribuée par l’Église au sanctuaire d’Estrémadure, la statue miraculeuse de la Guadalupe a été couronnée solennellement « reine de l’hispanité et des Espagnes » en présence du roi Alphonse XIII et de toutes les autorités civiles et religieuses le 12 octobre 1928. Jusqu’à nos jours, les souverains espagnols s’y sont rendus en pèlerinage et Jean-Paul II en a fait autant, déplorant de n’avoir pas fait ce voyage avant de se rendre au Mexique.
Aller plus loin
Jacques Lafaye, Quetzacoatl et Guadalupe, la formation de la conscience nationale au Mexique, Gallimard, 1974.
En complément
Antonio Ramiro Chico, Nuestra Senora de Guadalupe, de patrona de Extremadura a reina de les Espanas,2012.
L’article 1 000 raisons de croire : « La tilma de Guadaloupe ».