
François de Girolamo lit les cœurs (+1716)
Attiré très tôt par la vie religieuse, puis entré dans la Compagnie de Jésus, Francesco de Girolamo est désireux d’accomplir les desseins du Christ sur lui et renonce aux missions d’Asie, dont il rêvait, pour évangéliser Naples. Ses prédications éloquentes et les multiples prodiges qu’il accomplit lui valent vite une grande renommée. Il consacre quarante années à la « mission de Naples » : prêches publics et œuvres de charité. Francesco meurt le 11 mai 1716 après plusieurs semaines d’atroces souffrances ; il est canonisé en 1836.
Les raisons d'y croire
Le rêve de Francesco est de partir pour les missions d’Asie, mais le Christ, dans une apparition, lui dit : « Naples sera pour toi l’Inde et le Japon » et qu’en fait de martyre, il trouvera les dures épines réservées aux prêtres qui se sanctifient dans leur apostolat. Modèle d’obéissance, le jeune homme accepte les desseins de Dieu sur lui.
Sa réputation et le succès de ses premières prédications irritent ses supérieurs qui, pour le mettre à l’épreuve, lui interdisent de célébrer la messe et de communier plus de trois fois par semaine. Bien qu’être ainsi privé de ce qui est sa raison de vivre lui soit un crève-cœur, le père de Girolamo se soumet. Tant que dure cette pénitence injuste, Jésus lui apporte l’eucharistie les jours où il en est privé. Ce choix du renoncement se révèle un tremplin vers la sainteté.
En 1675, il est chargé de la mission de Naples, qui consiste à prêcher la foi catholique et ses vérités non seulement dans les églises, mais aussi dans les rues de la ville et bientôt de tout le royaume napolitain. Pour mériter la grâce de changer les cœurs de son auditoire, le jésuite s’inflige chaque jour deux séances de discipline, se fouettant pour racheter les péchés de la chair de ceux qui l’écoutent, jeûnant et se mortifiant. Sa sainteté n’est donc pas feinte et il paie de sa personne pour le salut des âmes.
S’il s’attaque d’abord aux vices et péchés de la chair, entrant crucifix à la main dans les maisons closes pour convertir prostituées et clients, il se dévoue aussi à toutes les misères morales, spirituelles et physiques de Naples – galériens, malades hospitalisés, nécessiteux, asiles et refuges –, servant d’aumônier aux écoles, couvents et monastères sans cesser ses prédications. Nul ne comprend comment, humainement parlant, il peut, sans s’épuiser, mener de front tant de tâches.
Il puise ses forces dans sa dévotion mariale et eucharistique, et dans son attachement à son ange gardien, à la sainte enfance et à la passion du Christ. Il vénère spécialement saint Cyr, martyrisé à l’âge de trois ans, au IIIe siècle, avec sa mère, sainte Julitte (ou Juliette). Quand les miracles commencent à se multiplier, Francesco affirme qu’ils sont l’œuvre du petit martyr, non la sienne.
La rumeur, fondée, se répand en ville que le religieux a des extases, des lévitations, qu’il possède le don de prophétie, celui de voir les choses cachées et de lire dans les âmes. Une nuit, il se lève, poussé par une force qu’il ne s’explique pas, part dans un quartier qu’il ne connaît pas, se plante devant une maison et se met à prêcher dans la rue déserte comme en plein jour devant une foule. Une jeune fille se précipite alors vers lui en pleurant : elle s’est enfuie pour rejoindre un homme et, sans Francesco, aurait succombé aux avances de celui-ci. Son étrange intervention a évité ce péché et, plus étrange encore, le suborneur, qui s’était mis à blasphémer en l’entendant, est tombé raide mort… Tout cela est attesté et vérifié.
En plusieurs autres cas, le jésuite manifeste sa capacité à deviner les secrets les mieux enfouis, de sorte que, saisis de frayeur, certains grands pécheurs n’osent plus croiser sa route de peur de voir révéler leurs fautes. Ce sont souvent ceux que la grâce divine poursuit avec le plus d’obstination et qu’il se refuse à abandonner malgré leur obstination.
En 1688, le jésuite prêche à un carrefour et apostrophe quelqu’un qui a l’air d’être un soldat en garnison à Naples : « Toi, viens demain me trouver et te confesser ! » Cette personne se fait appeler Charles Pimentel, mais elle est en réalité Marie-Louise Cassien et sert dans l’armée, travestie, depuis des années. Dans les années 1670, elle et sa sœur ont assassiné durant son sommeil leur père qui les persécutait, ont caché son corps, et, habillées en garçons, ont fui vers la Savoie où elles se sont engagées comme soldats dans les armées ducales.
Marie-Louise Cassien n’est pas, tant s’en faut, la première apostrophée de la sorte. Comme les autres, sa première idée est de fuir. Ainsi qu’elle le racontera, elle n’y arrive pas, toutes ses tentatives de fuite la ramenant vers Francesco, alors même qu’elle pensait quitter la ville avec son régiment. Finalement, quand elle finit par se retrouver au confessionnal avec lui, Francesco lui révèle son véritable nom, les circonstances de l’assassinat de son père, celles de la mort de sa sœur, mais, au lieu de l’écraser sous le poids de ses terribles fautes, il lui demande doucement pourquoi elle s’acharne à fuir loin de l’amour et de la miséricorde du Christ, qui a versé pour elle jusqu’à la dernière goutte de son sang. Telle la Samaritaine face à Jésus, sans considération pour les ennuis qu’elle risque, Marie-Louise confesse la véracité des faits et peut dire : « J’ai rencontré un homme qui m’a dit tout ce que j’avais fait. »
Placée comme domestique chez un frère de Francesco, Cataldo de Girolamo, Marie-Louise le servira jusqu’à sa mort, en 1715, et attestera de nombreux autres prodiges du jésuite dont elle a été témoin : bilocations, résurrection d’un enfant mort déposé dans son confessionnal, prophéties… Sa propre conversion a été totale et sans retour.
Marie-Louise vivra jusqu’en 1727 et fera partie des personnes appelées à témoigner au procès de béatification de François, décédé le 11 mai 1716. Ses dires ont donc été vérifiés et passés au crible. S’ils ont été retenus pour la béatification du serviteur de Dieu, c’est qu’on a pu montrer leur véracité.
En savoir plus
Né le 17 septembre 1642 près de Tarente, en Italie du Sud, Francesco de Girolamo, aîné de onze enfants, appartient à une famille aisée et pieuse. Très vite, l’enfant manifeste une piété, une intelligence et une vertu hors du commun. Il a dix ans quand il obtient son premier miracle : grondé par sa mère qui l’a surpris à prendre du pain sans permission afin de le donner aux pauvres, il lui répond : « Croyez-vous, Maman, que Dieu laisse sans pain ceux qui font l’aumône ? », puis, ouvrant le placard de la cuisine, il le montre débordant de vivres, avec une abondance telle qu’elle paraît miraculeuse.
Entré en religion à seize ans, diplômé en droit canon et civil, Francesco de Girolamo est ordonné prêtre en 1666, avec dispense d’âge – il n’a pas encore les vingt-quatre ans demandés –, puis entre dans la Compagnie de Jésus. Nommé professeur de collège, il subit les brimades des élèves, fils de grandes familles qui le traitent en domestique. Un jour, l’un d’eux le gifle en public. Au lieu de le punir, Francesco s’agenouille et lui demande pardon, bouleversant l’adolescent. Désormais, les jeunes gens, clairvoyants, l’appellent « le saint prêtre ».
À Naples, malgré les menaces, il s’aventure dans les pires maisons pour parler de la miséricorde divine. Son éloquence, inspirée, est telle qu’elle suffit souvent à convertir les débauchés. Il est vrai que des prodiges viennent la soutenir. Un jour, de riches clients d’une maison de passe, exaspérés, s’en vont avant que le jésuite ait fini son exhortation, mais les chevaux de leur attelage choisissent, eux, de rester l’écouter et s’agenouillent devant lui, empêchant le départ de leurs propriétaires.
Un autre jour, il se fait insulter par une courtisane à la mode nommée Caterina. Peu après, repassant devant la maison de cette femme, il s’étonne de voir les volets tirés. On lui répond qu’elle est morte. Bouleversé, Francesco monte dans la chambre où repose la défunte et, la contemplant, demande à haute voix : « Caterina, infortunée, dis-nous où tu te trouves maintenant ? » Et chacun entend la morte répondre d’une voix désespérée : « En enfer, hélas, en enfer !!! »
Un autre jour, un couple de notables lui apporte son nouveau-né pour qu’il le bénisse ; Francesco leur annonce que leur fils sera un grand saint. Cet enfant s’appelle Alphonse de Liguori et sera en effet porté sur les autels.
Lorsque son frère Cataldo est au plus mal, Francesco promet à Marie-Louise Cassien, qui le veille, de venir assister son cadet sur son lit de mort, mais, quand l’événement se produit, le jésuite est lui-même cloué au lit, loin de Naples, incapable de bouger. De nombreux témoins l’affirment. La domestique attestera pourtant sous serment l’avoir trouvé au chevet de son maître. Francisco annonce à son frère qu’il vivra encore huit jours et qu’il reviendra lui dire adieu, ce qu’il fait, prédisant au mourant qu’il ne lui survivra qu’un an. Il en sera ainsi.
Francesco de Girolamo a sans doute réclamé à Dieu la grâce de prendre sur lui les souffrances et les angoisses, méritées en raison de leurs fautes, de certains de ses convertis. Il souffre atrocement plusieurs semaines avant de mourir, le 11 mai 1716, mais refuse tout soulagement. Si on lui conseille de réclamer sa guérison à saint Cyr, il déclare qu’il a passé un accord avec le martyr pour ne jamais bénéficier de son aide et, parlant de ses souffrances, demande « qu’elles s’accroissent à l’infini ! » si c’est pour le salut des âmes.
Il passe ses dernières heures dans l’angoisse, s’accusant de « n’avoir rien fait » et condamnant « sa paresse » comme son plus grand péché. Nul ne doute que le démon, auquel il a arraché tant de pécheurs, le harcèle, car il répète inlassablement : « Je te combats ! Je te combats ! Va-t’en ! Je n’ai rien à démêler avec toi ! » Combat victorieux puisque le vieux jésuite meurt en chantant le Magnificat.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Julien Bach, Histoire de saint François de Girolamo, 1867.
En complément
F.-M. d’Aria, Un restauratore sociale ; storia critica della vita di San Francesco de Girolamo, 1943 (en italien).
La vidéo de la chaîne YouTube PatrieMoine : 11 mai – Saint François de Girolamo .