Vue d'ensemble sur la réforme
Au cœur d’un XVIe siècle marqué par une Église en crise et une papauté souvent dévoyée, Marie demeure pour Luther un modèle de foi humble et de service, incarnant la théologie de la croix où Dieu se révèle dans l’abaissement et la confiance. En redécouvrant cette dimension mariale, ce contenu invite à approfondir le rôle spirituel de Marie comme mère de l’Église et chemin d’unité au-delà des divisions historiques.
Le contexte du XVI° siècle : un clergé peu instruit, une papauté dissolue.
À cette époque, le clergé est peu instruit, la messe est en latin, et le peuple ignore la Bible, alors les saints et leurs reliques prennent une importance disproportionnée, à la limite de la superstition.
Pire, les papes et nombre de prélats vivent comme les princes de la Renaissance italienne, au milieu des richesses et des concubines, perdant toute autorité et provoquant le scandale. Tout le monde n’est pas corrompu et il y a chez les catholiques certains efforts sincères de réforme, de sobriété, de pureté morale et évangélique, mais les papes renoncent à donner l’exemple. C’est dans ce contexte que se situent Luther, Calvin et Zwingli, et la réforme en rupture avec la papauté.
Luther entre aussi en contestation contre la logique des écoles théologiques :
Pour Luther, Dieu ne se révèle pas selon la raison, mais en opposition avec la raison humaine. Il ne se révèle pas « de face » mais « de dos ». Il se concentre sur la « Theologia crucis », la théologie de la croix ; Marie est la servante du Seigneur qui participe à son abaissement, sa kénose. Le Magnificat est une des meilleures illustrations de la théologie de la croix, de la logique paradoxale de Dieu qui regarde le rien de Marie pour accomplir de grandes choses, chemine incognito dans l’histoire pour renverser les puissants et élever les humbles.[1]
À la différence de Luther († 1546), Zwingli et Calvin ont très rarement parlé de Marie.
Les réformateurs n’étaient pas « contre » Marie. C’est dans les décennies qui ont suivi la réforme que Marie est devenue l’emblème de l’opposition. Aujourd’hui, au fur et à mesure que la pensée des réformateurs est redécouverte, il devient davantage possible de parler à nouveau de Marie.
Leur réforme a mis l’accent sur :
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La Bible (mais la Bible seule, au risque de « choisir » des versets).
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Le Christ (le christo-centrisme).
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La foi.
Marie et vierge et mère de Dieu :
Luther défend la virginité et même la virginité perpétuelle de Marie.[2] Marie est le lieu où transparaît le mystère des deux natures du Christ dont elle est la mère.
Luther fait dire à Marie : « personne ne doit honorer ou louer en moi la Mère de Dieu, mais louer en moi, Dieu et son œuvre. »[3]
Luther insiste aussi sur la foi de Marie :
« Voilà donc que la foi est source d’amour et de joie dans le Seigneur et que, de l’amour, découle une disposition heureuse, qui s’élance librement au service dévoué du prochain. [...] D’une telle foi, la bienheureuse Vierge Marie a donné l’exemple... » [4]
Marie est mère de l’Église :
« Elle est mère de l’Église de tous les temps, étant mère de tous les fils qui naîtront du Saint Esprit. »[5]
Luther maintient trois grandes fêtes mariales[6] :
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l’Annonciation, (le 25 mars)
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la Visitation[7]
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et la Purification[8]
C’est sans doute en entrant dans l’intimité spirituelle du réformateur que nous comprendrons le mieux les chemins d’unité.
La question fondatrice de Luther est : comment puis-je trouver grâce aux yeux de Dieu ? Où trouver les raisons de croire au salut ? En l’homme ? Mais jamais une vie ne peut s’élever à la hauteur de Dieu ! En Dieu ? Mais sa justice ne peut que foudroyer l’homme ! Lorsqu’on lui assure que ses actions méritantes lui vaudront le ciel, Luther se rappelle que son maître spirituel saint Augustin doutait déjà au IVe siècle de la sincérité des œuvres prétendues bonnes.
Il est notable que de son côté, et 150 ans plus tard, Louis Marie Grignion de Montfort se pose exactement les mêmes questions (SM 6). Son invitation à coopérer avec Dieu en agissant en toute chose par Marie, immaculée, rejoint les remarques protestantes sur les difficultés et les exigences d’une éventuelle coopération humaine avec Dieu.
Nous pressentons bien que Marie a sa place sur le chemin de l’œcuménisme vécu de manière spirituelle.
[1] S. de Fiores, Une histoire de la mariologie, dans : Aa Vv, Marie, l’Eglise et la théologie, dirigé par D. de Boissieu, P. Bordeyne, S. Maggioni, Desclée, Paris 2007, p. 82-83
[2] Cf. entre autres, Luther WA t. 27, p. 242.4 (1528) ; t. 27, p. 475.25-26 (1528) ; t. 29, p. 169.8 (1539).
[3] WA. 7, 575.8-12
[4] Luther, Traité de la liberté chrétienne, Œuvre, t. II, Genève, Labor et Fides, 1966, p. 296-298
[5] Luther, WA 4, 234.5-8
[6] Luther, WA 26, 22.25-223.1
[7] L’évêque de Prague Jean Jenstein introduisit la fête dans son propre diocèse, en 1386, à peine huit ans après le grand schisme entre deux papes, Urbain VI Rome et Clément VII à Avignon, et il supplia Urbain VI de l’introduire dans toute l’Église, afin de mettre un terme au scandale de la division.
[8] La fête de la Purification, comme on disait alors, 2 février, s’appelle aussi l’hypapante ou Présentation de Jésus au temple.
Synthèse F. Breynaert
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