Pie XII, Divino afflante Spiritu (1943)

Au cœur des progrès récents des sciences bibliques, l’Église invite à une exégèse rigoureuse et respectueuse des textes sacrés, éclairée par la connaissance des langues anciennes et la méthode critique, afin de mieux saisir la profondeur divine de la Parole inspirée. En contemplant Marie, modèle parfait de foi et d’écoute, cette démarche spirituelle nous ouvre à une compréhension plus lumineuse des Écritures, source vivante de vie chrétienne.


  1. Il n’y a personne qui ne soit à même de remarquer combien, au cours des cinquante dernières années, se sont modifiées les conditions des études bibliques et des disciplines auxiliaires.

Ainsi, pour ne pas parler du reste, au temps où Notre Prédécesseur publiait son Encyclique Providentissimus Deus, c’est à peine si l’on avait commencé l’exploration de l’un ou de l’autre des sites de la Palestine au moyen de fouilles scientifiques.

Maintenant les explorations de ce genre ont grandement augmenté en nombre, tandis qu’une méthode plus sévère et un art perfectionné par l’expérience nous fournissent des résultats plus nombreux et plus certains. Quelle lumière jaillit de ces recherches pour une intelligence plus exacte et plus pleine des Saints Livres, tous les spécialistes le savent, ainsi que tous ceux qui se livrent à ces études. L’importance de ces explorations est encore accrue par la fréquente découverte de monuments écrits, qui sont d’un grand secours pour la connaissance des langues, des littératures, des événements, des mœurs et des cultes les plus anciens.

La découverte et l’étude des papyrus, aujourd’hui si développées, ne sont pas d’un moindre intérêt, car ils nous font mieux connaître la littérature ainsi que les institutions publiques et privées, surtout à l’époque de Notre Sauveur. En outre, d’anciens manuscrits des Livres Saints ont été découverts et publiés avec soin et sagacité ; l’exégèse des Pères de l’Eglise a été plus largement étudiée et plus profondément ; enfin la manière de raconter et d’écrire des anciens a été illustrée de nombreux exemples.

  1. Toutes ces ressources, que notre âge a conquises, non sans un secret dessein de la Providence, invitent en quelque sorte les interprètes des Saintes Lettres et les engagent à user avec allégresse d’une si belle lumière pour scruter plus à fond les paroles divines, les commenter plus clairement, les exposer plus lumineusement.

Que si, avec une suprême consolation, Nous voyons que ces mêmes exégètes ont déjà répondu avec empressement à cet appel et y répondent encore, ce n’est certes ni le dernier ni le moindre fruit de l’Encyclique Providentissimus Deus, par laquelle Notre Prédécesseur Léon XIII, comme pressentant cette floraison nouvelle de la science biblique, a invité au travail les exégètes catholiques et leur a tracé avec sagesse la voie et la méthode à suivre dans ce travail.

Nous aussi, par la présente Encyclique, Nous désirons obtenir non seulement que ce travail soit continué avec persévérance et constance, mais qu’il devienne de jour en jour plus parfait et plus fécond, c’est pourquoi Nous Nous proposons de montrer à tous ce qui reste à faire et dans quelles dispositions l’exégète catholique doit s’adonner aujourd’hui à une tâche si importante et si sublime, voulant aussi donner aux ouvriers, qui travaillent avec zèle dans la vigne du Seigneur, de nouveaux stimulants et un nouvel élan.

  1. À l’exégète catholique, qui se dispose au travail de comprendre et d’expliquer les Saintes Écritures, déjà les Pères de l’Église, et surtout saint Augustin, recommandaient avec force l’étude des langues anciennes et le recours aux textes originaux. (Cf. p. ex. S. JÉRÔME, Praef. in IV Evang. ad Damasum ; P. L., XXIX, col. 526-527 ; S. AUGUSTIN, De doctr. christ. II, 16 ; P. L., XXXIV, col. 42-43.) Cependant, à cette époque, les conditions des lettres étaient telles que rares étaient ceux qui connaissaient même imparfaitement la langue hébraïque.

Au moyen âge, tandis que la théologie scolastique était à son apogée, la connaissance de la langue grecque elle-même était depuis longtemps si affaiblie en Occident que même les plus grands Docteurs de ce temps, pour commenter les Livres Divins, ne se servaient que de la version latine de la Vulgate.

De nos jours, au contraire, non seulement la langue grecque, rappelée en quelque sorte à une vie nouvelle dès le temps de la Renaissance, est familière à presque tous ceux qui cultivent l’antiquité et les lettres, mais aussi la connaissance de la langue hébraïque et des autres langues orientales est largement répandue parmi les hommes cultivés. Il y a maintenant tant de facilités pour apprendre ces langues que l’interprète de la Bible qui, en les négligeant, s’interdirait l’accès aux textes originaux ne pourrait échapper au reproche de légèreté et de nonchalance.

  1. Il appartient, en effet, à l’exégète de chercher à saisir religieusement et avec le plus grand soin les moindres détails sortis de la plume de l’hagiographe sous l’inspiration de l’Esprit Divin, afin d’en pénétrer plus profondément et plus pleinement la pensée. Qu’il travaille donc avec diligence à s’assurer une maîtrise chaque jour plus grande des langues bibliques et orientales, et qu’il étaye son exégèse avec toutes les ressources que fournissent les différentes branches de la philologie.

C’est cette maîtrise que saint Jérôme s’efforçait anxieusement d’acquérir suivant l’état des connaissances de son temps ; c’est à elle qu’aspirèrent avec un zèle infatigable, et non sans un réel profit, plusieurs des meilleurs exégètes des XVIe et XVIIe siècles, bien que la science des langues fût alors très inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. C’est en suivant la même méthode qu’il importe d’expliquer le texte primitif qui, écrit par l’auteur sacré lui-même, a plus d’autorité et plus de poids qu’aucune version, même la meilleure, ancienne ou moderne ; ce en quoi on réussira sans doute avec plus de facilité et de succès si l’on joint à la connaissance des langues une solide expérience de la critique textuelle.

  1. Quelle importance il faut attribuer à une telle méthode critique, saint Augustin nous l’enseigne avec pertinence quand, parmi les préceptes à inculquer à qui étudie les Livres Saints, il met en première ligne le soin qu’il faut avoir de se procurer un texte correct. "La sagacité de ceux qui désirent connaître les Écritures Divines doit veiller en premier lieu à corriger les manuscrits - ainsi s’exprime l’illustre Docteur de l’Église, - afin que les manuscrits non corrigés cèdent le pas à ceux qui sont corrigés." (De doctr. christ. II, 21 ; P. L., XXXIV, col. 46.)

Cet art de la critique textuelle, qu’on emploie avec beaucoup de succès et de fruit dans l’édition des textes profanes, doit servir aujourd’hui, à plus forte raison en vérité, pour les Livres Saints, à cause du respect qui est dû à la parole divine. Le but de cet art est, en effet, de restituer le texte sacré, autant qu’il se peut, avec la plus grande perfection, en le purifiant des altérations dues aux insuffisances des copistes et en le délivrant, dans la mesure du possible, des gloses et des lacunes, des inversions de mots et des répétitions, ainsi que des fautes de tout genre qui ont coutume de se glisser dans tous les écrits transmis à travers plusieurs siècles.

  1. D’aucuns, il est vrai, ont employé la critique, il y a quelques dizaines d’années, d’une façon tout arbitraire, et souvent de telle sorte qu’on aurait pu dire qu’ils agissaient ainsi afin d’introduire dans le texte sacré leurs opinions préconçues ; mais aujourd’hui, il est à peine besoin de le remarquer, la critique possède des lois si stables et si assurées qu’elle est devenue un instrument de choix pour éditer la parole divine avec plus de pureté et d’exactitude, tout abus pouvant être facilement dépisté. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici - car c’est trop évident et trop connu de tous ceux qui s’adonnent à l’étude de l’Écriture - combien l’Église depuis les premiers siècles jusqu’à nos jours a eu en honneur ces travaux de l’art critique.

  2. Aujourd’hui donc que cet art a été si parfaitement discipliné, c’est pour ceux qui étudient les questions bibliques, une tâche honorable, sinon toujours facile, de s’employer à ce que paraissent le plus tôt possible, suivant les opportunités, des éditions soit des Livres Saints eux-mêmes, soit de leurs anciennes versions, préparées par des catholiques selon cette règle qu’au respect le plus absolu pour le texte sacré se joigne l’application de toutes les lois de la critique.

Que tous le comprennent bien : ce travail de longue durée n’est pas seulement nécessaire pour comprendre, comme il faut, le texte écrit sous l’inspiration divine ; il est encore vivement requis par cette piété qui doit nous porter à être infiniment reconnaissants envers la Providence divine de ce qu’elle nous a destiné ces livres comme des lettres paternelles envoyées du siège de sa majesté à ses enfants.

  1. Et que personne ne voie dans ce recours aux textes originaux, conformément à la méthode critique, une dérogation aux prescriptions si sagement formulées par le Concile de Trente au sujet de la Vulgate. (Decr. de editione et usu Sacrorum Librorum ; Conc. Trid. éd. Soc. GOERRES, t. V, p. 91 sq.)

Car c’est un fait appuyé sur des documents certains que le saint Concile chargea ses présidents de prier le Souverain Pontife en son nom - et ils le firent - de faire corriger d’abord le texte latin, ensuite, autant que possible, les textes grec et hébreu (Ib., t. X, p. 471 ; cf. t. V, p. 29, 59, 65 ; t. X, p. 446 sq.), afin de les publier plus tard pour l’utilité de la Église de Dieu. S’il ne fut pas possible de répondre alors pleinement à ce désir, à cause des difficultés du temps et d’autres obstacles, Nous avons la confiance que, maintenant, il pourra y être donné plus parfaitement et plus entièrement satisfaction grâce à la collaboration entre savants catholiques.

  1. Si le Concile de Trente a voulu que la Vulgate fût la version latine "que tous doivent employer comme authentique", cela, chacun le sait, ne concerne que l’Église latine et son usage public de l’Écriture, mais ne diminue en aucune façon - il n’y a pas le moindre doute à ce sujet - ni l’autorité ni la valeur des textes originaux. Au surplus, il ne s’agissait pas alors des textes originaux, mais des versions latines qui circulaient à cette époque ; versions entre lesquelles le Concile, à juste titre, déclara préférable celle qui, "par un long usage de tant de siècles, était approuvée dans l’Église".

  2. Cette autorité éminente de la Vulgate ou, comme l’on dit, son authenticité, n’a donc pas été décrétée par le Concile surtout pour des raisons critiques, mais bien plutôt à cause de son usage légitime dans les Églises prolongé au cours de tant de siècles.

Cet usage, en vérité, démontre que, telle qu’elle a été et est encore comprise par l’Église, elle est absolument exempte de toute erreur en ce qui concerne la foi et les mœurs ; si bien que la même Église l’attestant et le confirmant, on peut la produire en toute sûreté et sans péril d’erreur dans les discussions, dans l’enseignement et dans la prédication. D’où une authenticité de ce genre ne doit pas être qualifiée en premier lieu de critique, mais bien plutôt de juridique.

C’est pourquoi l’autorité de la Vulgate en matière de doctrine n’empêche donc nullement - aujourd’hui elle le demanderait plutôt - que cette doctrine soit encore justifiée et confirmée par les textes originaux eux-mêmes et que ces textes soient appelés couramment à l’aide pour mieux expliquer et manifester le sens exact des Saintes Lettres.

Le décret du Concile de Trente n’empêche même pas que, pour l’usage et le bien des fidèles, en vue de leur faciliter l’intelligence de la parole divine, des versions en langue vulgaire soient composées précisément d’après les textes originaux, comme Nous savons que cela a déjà été fait d’une manière louable en plusieurs régions avec l’approbation ecclésiastique.

  1. Bien fourni de la connaissance des langues anciennes et des ressources de la critique, l’exégète catholique peut aborder la tâche - la plus importante de toutes celles qui lui incombent - de découvrir et d’exposer le véritable sens des Livres Saints.

Que les exégètes, dans l’accomplissement de ce travail, aient toujours devant les yeux qu’il leur faut avant tout s’appliquer à discerner et à déterminer ce sens des mots bibliques qu’on appelle le sens littéral. Ils doivent mettre le plus grand soin à découvrir ce sens littéral des mots au moyen de la connaissance des langues, en s’aidant du contexte et de la comparaison avec les passages analogues ; toutes opérations qu’on a coutume de faire aussi dans l’interprétation des livres profanes, pour faire ressortir plus clairement la pensée de l’auteur.

  1. Que les exégètes des Saintes Lettres, se souvenant qu’il s’agit ici de la parole divinement inspirée, dont la garde et l’interprétation ont été confiées à l’Église par Dieu lui-même, ne mettent pas moins de soin à tenir compte des interprétations et déclarations du magistère de l’Église, ainsi que des explications données par les saints Pères, en même temps que de "l’analogie de la foi", comme Léon XIII les en avertit très sagement dans l’Encyclique Providentissimus Deus (LEONIS XIII Acta, XIII, p. 345-346 ; Ench. Bibl. n. 94-96).

Qu’ils s’appliquent d’une manière toute particulière à ne pas se contenter d’exposer ce qui regarde l’histoire, l’archéologie, la philologie et les autres sciences auxiliaires - comme Nous regrettons qu’on ait fait dans certains commentaires ; - mais, tout en alléguant à propos ces informations, pour autant qu’elles peuvent aider à l’exégèse, qu’ils exposent surtout quelle est la doctrine théologique de chacun des livres ou des textes en matière de foi et de mœurs, de sorte que leurs explications ne servent pas seulement aux professeurs de théologie à proposer et à confirmer les dogmes de la foi, mais encore qu’elles viennent en aide aux prêtres pour expliquer la doctrine chrétienne au peuple et qu’elles soient utiles enfin à tous les fidèles pour mener une vie digne d’un chrétien.

  1. Quand les exégètes catholiques donneront une pareille interprétation, avant tout théologique, comme Nous avons dit, ils réduiront définitivement au silence ceux qui assurent ne rien trouver dans les commentaires qui élève l’âme vers Dieu, nourrisse l’esprit et stimule la vie intérieure, prétendant en conséquence qu’il faut avoir recours à une interprétation spirituelle, ou, comme ils disent, mystique.

Que cette manière de voir ne soit pas juste, l’expérience d’un grand nombre l’enseigne, qui, considérant et méditant sans cesse la parole de Dieu, ont conduit leur âme à la perfection et ont été entraînés vers Dieu par un amour ardent.

C’est aussi ce que montrent clairement et la pratique constante de l’Église et les avertissements des plus grands Docteurs. Ce qui ne signifie certes pas que tout sens spirituel soit exclu de la Écriture ; car les paroles et les faits de l’Ancien Testament ont été merveilleusement ordonnés et disposés par Dieu de telle manière que le passé signifiât d’avance d’une manière spirituelle ce qui devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce.

C’est pourquoi l’exégète, de même qu’il doit rechercher et exposer le sens littéral des mots, tel que l’hagiographe l’a voulu et exprimé, ainsi doit-il exposer le sens spirituel, pourvu qu’il résulte certainement qu’il a été voulu par Dieu. Dieu seul, en effet, peut connaître ce sens spirituel et nous le révéler. Or, un pareil sens, notre Divin Sauveur nous l’indique et nous l’enseigne lui-même dans les Saints, à l’exemple du Maître, les apôtres le professent aussi par leurs paroles et leurs écrits ; la tradition constante de l’Église le montre ; enfin, le très ancien usage de la liturgie le déclare quand on est en droit d’appliquer l’adage connu : "La loi de la prière est la loi de la croyance."

  1. Ce sens spirituel donc, voulu et ordonné par Dieu lui-même, les exégètes catholiques doivent le manifester et l’exposer avec le soin qu’exige la dignité de la parole divine. Qu’ils veillent religieusement, toutefois, à ne pas présenter d’autres significations métaphoriques des choses ou des faits comme sens authentique de la Écriture.

Car si, dans le ministère de la prédication surtout, un emploi plus large et métaphorique du texte sacré peut être utile pour éclairer et mettre en valeur certains points de la foi et des mœurs, à condition de le faire avec modération et sobriété, il ne faut cependant jamais oublier que cet usage des paroles de la Écriture lui est comme extrinsèque et adventice.

Il arrive même, surtout aujourd’hui, que cet usage n’est pas sans danger, parce que les fidèles, et en particulier ceux qui sont au courant des sciences sacrées comme des sciences profanes, cherchent ce que Dieu nous signifie par les Lettres sacrées de préférence à ce qu’un écrivain ou un orateur disert expose en jouant habilement des paroles de la Bible. "La parole de Dieu, vivante et efficace, plus acérée qu’une épée à deux tranchants, si pénétrante qu’elle va jusqu’à séparer l’âme de l’esprit, les jointures et les moelles, qui démêle les sentiments et les pensées des cœurs" (Hebr. IV, 12), n’a pas besoin de colifichets ni d’ornements humains pour émouvoir et frapper les esprits.

Les pages sacrées, en effet, sous l’inspiration de Dieu, abondent par elles-mêmes de sens propre ; douées de vertu divine, elles valent par elles-mêmes ; ornées d’une beauté qui vient d’en haut, elles brillent et resplendissent par elles-mêmes, pourvu que le commentateur les explique si pleinement, si soigneusement, que tous les trésors de sagesse et de prudence

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